Couvrez ce saint que je ne saurais voir

Couvrez ce saint que je ne saurais voir

Soixante ans après l’appel «historique» de l’Hiver 54, les médias continuent de voir en l’abbé Pierre le héros dont, en leur cœur, bien des croyants on fait un saint. 

 

 

Abbé Pierre mystique

On pouvait s’attendre à ce que le 1er février 2014 soit l’occasion, pour les médias, d’évoquer, soixante ans après, l’appel de l’abbé Pierre invitant à l’insurrection de la bonté.  L’anniversaire a bien été honoré, ici ou là, mais sur le mode mineur. Sans doute est-ce là la rançon à payer aux lois de l’information. Comment le souvenir du vieux prêtre aurait-il pu rivaliser avec la queue de comète des amours présidentielles ou la folle rumeur sur les cours d’éducation sexuelle à l’école maternelle ?

 

Se souvenant des jours qui suivirent la mort du fondateur d’Emmaüs, le 22 janvier 2007, celui qui fut son dernier secrétaire particulier confiait : «Partout on voyait, on entendait l’abbé Pierre et moi, j’avais l’impression que l’homme dont on parlait, n’étais pas celui dont je préparais l’enterrement.» (1) L’observation n’a pas pris une ride. Sept ans plus tard, c’est toujours la même image d’insurgé, de bâtisseur, de défenseur des sans-abri qui refait surface, comme figée pour l’éternité à l’instant même de sa mort.

 

Du «castor méditatif» de ses années de scoutisme, l’opinion et les médias n’ont jamais retenu que le militant du droit au logement. Ils ont, avec persévérance, négligé de s’interroger sur l’origine de son engagement : cette «brûlure d’Assise» où, à l’âge de quinze ans, le jeune Henri Grouès a eu cette intuition «que l’adoration était la plus totale communion universelle et, en même temps, source d’action».(2) Bref lui, qui, adolescent, rêvait d’être un héros et un saint, n’est parvenu à imposer que l’évidence du combattant de l’extrême, du saint laïc, au sens où Camus écrivait : «Si j’avais à écrire, ici, un livre de morale, il aurait cent pages et quatre-vingt dix-neuf seraient blanches. Sur la dernière, j’écrirais : «Je ne connais qu’un seul devoir, et c’est celui d’aimer.» (3)

 

Or l’héroïsme ne doit qu’aux vertus personnelles d’un homme, d’une femme, là où la sainteté se reçoit d’une totale confiance en Dieu. Et l’on ne peut rien comprendre de la destinée du fondateur d’Emmaüs, si l’on ne prend pas acte du fait que sa vie fut un miracle. Parce que sa constitution fragile et maladive, semblait le condamner à l’immobilisme ou à l’échec. A deux reprises, au cours de sa vie, il s’est entendu dire : il faut vous résigner, vous ne pourrez plus jamais rien faire. La première fois à l’âge de 26 ans, en quittant le monastère des capucins où il avait cru mourir… la seconde, vingt ans plus tard, au sortir de l’hôpital psychiatrique suisse où l’avait conduit le burn-out consécutif au surmenage de l’Hiver 54.

 

C’est dans la prière, l’adoration, la célébration quotidienne de l’Eucharistie, que tout au long des 94 ans de sa vie l’abbé Pierre a trouvé la force d’accomplir ce qu’il percevait être sa mission : à travers le service du frère, du plus souffrant, devenir croyant crédible pour rendre crédible le Dieu d’amour.

 

Si la sainteté de l’homme échappe aux médias, elle continue à faire problème dans les milieux ecclésiastiques où l’on n’apprécie guère une forme d’évangélisation qui se soucierait comme d’une guigne de gagner de nouvelles âmes à l’Eglise. Or, pensait l’abbé Pierre, c’est l’amour du frère, seul, qui nous fait entrer dans le Royaume, donc dans l’histoire du Salut. Et s’il est posé qu’il n’y ait «hors de l’Eglise point de Salut» alors, il faut admettre que qui est dans le Salut est aussi, d’une certaine manière, dans l’Eglise. On comprend les réserves que de tels propos continuent de susciter ici ou là ! Sauf pour le «petit peuple croyant» qui, lui, a toujours perçu la parfaite cohérence qui existait entre l’intuition qu’il a de l’Evangile et la vie, simple et bonne, de cet ami de Dieu.

 

  1. Laurent Desmard, La messe de l’abbé Pierre, DDB éditions 2009.
  2. Abbé Pierre, Dieu merci, Bayard, p.50
  3. Albert Camus, Carnets, Folio, Tome 1, p.62.

 

Cet article a d’abord été  publié dans le numéro de  TEMOIGNAGE CHRETIEN du  7 février 2014

14 comments

  • Oui un Saint qui a même osé montrer ses faiblesses!
    Etonnant que l’institution ne fasse pas le rapprochement avec un saint François D’Assise ……

    Mais l’homme de la rue, plein de bon sens, ne s’y trompe pas
    La radicalité de sa vie est évangélique au sens fort
    Quand on cherche une nouvelle évangélisation on a un des chemins ……….
    Jésus de Nazareth serai-il aujourd’hui déclaré Saint ?
    Je demande pardon à celles et ceux qui pourraient être choqués par ces mots

    Mais Dieu reconnaîtra les siens !

  • « C’est dans la prière l’adoration, la célébration quotidienne de l’Eucharistie que l’Abbé Pierre a trouvé la force d’accomplir ce qu’il percevait de sa mission… »
    malheureusement ses héritiers ont presque totalement oublié cet aspect des choses.

    • Voilà un beau jugement à l’emporte-pièce, très évangélique, certainement mûri dans la prière et la méditation eucharistique… Merci Monsieur Bargialli.

      • Si c’est votre opinion dont la charité saute aux yeux de manière éblouissante,vous avez parfaitement raison de l’ exprimer,mais habitant à 2 pas d’une des plus grandes communautés EMmaûs de FRANCE et connaissant un compagnon de cette Communauté je sais de quoi je parle.Bien entendu cela n’empêche nullement cette Communauté de faire du bon travail ,mais elle est devenue une ONG comme une autre

        • @ Dominique et Catherine. Je ne veux pas jouer les rois Salomon. Je pense que l’une et l’autre sensibilités existent au sein des communautés Emmaüs. Mais je ne peux pas donner tort à Dominique. Cette crainte de voir Emmaüs devenir « une ONG comme les autres » est formulée de manière très explicite dans notre livre : Le secret spirituel de l’abbé Pierre (Ed. Salvator)

  • Pour se rendre compte de l’évolution d’Emmaûs il suffit de se rendre sur leur site et de constater que dans leur présentation ne figure aucune allusion ni à L’Eglise bien sûr ,ni même à l’Evangile.
    Bien sûr cela ne retire rien à la valeur de ce mouvement ,mais cette évolution est-elle conforme au souhait de son fondateur ne peut-on pas se le demander?

    • @Dominique. Sur ce point je suis moins choqué que vous car l’abbé Pierre n’a jamais voulu faire d’Emmaüs un mouvement confessionnel. Il est sur ce point tout à fait clair. Pour les raisons même que j’explicite dans mon article. Pour lui l’amour du frère fait entrer tout homme (ou femme) dans le Royaume comme il est dit dans les Béatitudes. Et d’une certaine manière dans le Salut. Il lui importait peu de « convertir » les gens, d’en faire des baptisés. On peut d’ailleurs penser que c’est la cause essentielle de la « distance » et de la « méfiance » de nombre d’évêques à son égard. Mais il était convaincu que les « pauvres » qu’il côtoyait pensaient – à tort ou à raison – que l’Eglise n’était pas faite pour eux, que cet univers leur restait étranger… Et pour lui, Mt 25 suffisait à le convaincre qu’au jour du Jugement, le Christ ne les rejetterait pas, même non baptisés, s’ils s’étaient montrés être « le prochain » de ceux qui avaient faim et soif, qui étaient nus, prisonniers, étrangers… On peut se sentir ou non à l’aise avec cette façon de voir, la contester, mais c’était la sienne.

      En revanche je vous rejoins sur le fait qu’indépendamment même de la teneur aconfessionnelle de ces statuts, totalement validée par l’abbé Pierre, ce qui a été sa motivation profonde et le « moteur » de son combat ne semblent plus aujourd’hui partagés par ceux qui portent la responsabilité du mouvement.

  • René Poujol, vous rapportiez, vous- mêmes, lors de l’émission récente sur KTO dans la série « La foi prise au mot » sur l’Abbé Pierre que ce dernier, très justement, ne faisait pas de différence entre la présence du Christ dans les Saintes Espèces en référence à cette parole de Jésus : « Ceci est mon corps, ceci est mon sang » ET la présence du Christ dans le plus souffrant en référence à cette autre parole de Jésus : « Ce que vous avez fait au plus petit des miens (le malade, le prisonnier, l’étranger…), c’est à MOI que vous l’avez fait ». Le jugement de Dieu est par ailleurs très clairement exprimé dans Matthieu 25. Et Jésus nous a très clairement commandé d’aimer Dieu ET (non pas ou) notre prochain. Il ne nous a pas laissé le choix !!!…

    Comme nombre de chrétiens le font, opposer ces 2 présences du Christ de façon claire ou très subtile, « en creux », par allusion… c’est être, selon moi, de « mauvaise foi »… qui plus est catholique !

    Pour continuer dans une certaine provocation et pour être plus clair, prier, méditer (exercices spirituels nécessaires, vitaux pour un chrétien, comme les a abondamment pratiqués l’Abbé Pierre) ne demandent pas toujours autant d’efforts que… porter secours concrètement à la « chair du Christ », caresser « les plaies du Christ » dans le pauvre, le souffrant…

    Attention de ne pas détourner la phrase du pape François « l’Eglise n’est pas une ONG » pour nous dédouaner, en toute « bonne » conscience, de la charité concrète, exigeante envers Christ notre prochain souffrant.

    Les chrétiens se sont souvent montrés plus concernés par des sujets de « morale », sociétaux… que par l’aide à apporter aux plus démunis et l’engagement concret à leur égard. Le titre de votre article le laisse d’ailleurs à penser ainsi que le nombre moindre de commentaires sur cet article que sur d’autres thèmes mis en ligne.

    Le pape François nous rappelle avec force, à temps et à contretemps, que Christ est présent dans le Saint Sacrement ET dans notre frère souffrant, rejeté, exclu.

    • @Jean. Bien observé. Rien de tel que d’évoquer de manière un peu critique la MPT pour susciter des débats véhéments. Mais le combat pour la justice ne semble pas, en effet, mobiliser les foules. Il faudra bien un jour s’interroger sur la désertion des catholiques pour l’action politique alors qu’ils son tellement présents dans l’associatif, le caritatif, l’humanitaire… Peur de se salir les mains ? De devoir accepter des compromis ?

    • Jean,imaginez je vous prie qu’il n’est pas toujours aussi facile que vous semblez le croire de se tenir en silence devant le Saint Sacrement.Il n’est évidemment pas question de se confire en dévotion sans rien faire d’autres ,et encore, quand on pense par exemple à Thérèse que faisait elle d’autre que prier sans cesse?
      Oui, le Christ est présent dans le Saint Sacrement ET dans notre frère souffrant,c’est indiscutable,mais quant à moi je pense que la prière peut être aussi une façon d’aider notre frère souffrant en dépit des apparences.Qui plus est le frère souffrant peut aussi être un tout proche dont tout le monde ignore la souffrance.
      Je sais bien qu’il est de bon ton de regarder avec un brin de condescendance ceux et celles qui vont passer une heure devant le Saint Sacrement,mais qui sommes-nous pour en déduire automatiquement que ces personnes-là ne font çà que pour « acheter leur Salut ». Qu’en savons-nous?

  • Et puis cette idée d’être « bon Chrétien » du fait de nos oeuvres est-elle réservée uniquement à une certaine catégorie d’individus ou ne nous menace-t-elle pas tous par hasard?

  • AIMONS Dieu ET notre prochain AUTANT que nous le pouvons, sans peur ni inquiétude car Dieu est AMOUR. Ayons confiance dans la Miséricorde et le Pardon du Christ pour notre difficulté, notre insuffisance à AIMER.

    1 Jean 4, 16-21
    « Dieu est amour ; celui qui demeure dans l’amour demeure uni à Dieu et Dieu demeure en lui. Si l’amour est parfait en nous, alors nous serons pleins d’assurance au jour du Jugement ; nous le serons parce que notre vie dans ce monde est semblable à celle de Jésus-Christ. Il n’y a pas de crainte dans l’amour ; l’amour parfait exclut la crainte. La crainte est liée à l’attente d’un châtiment et, ainsi, celui qui craint ne connaît pas l’amour dans sa perfection.
    Quant à nous, nous aimons parce que Dieu nous a aimés le premier. Si quelqu’un dit: « J’aime Dieu », et qu’il haïsse son frère, c’est un menteur. En effet, s’il n’aime pas son frère qu’il voit, il ne peut pas aimer Dieu qu’il ne voit pas. Voici donc le commandement que le Christ nous a donné: celui qui aime Dieu doit aussi aimer son frère ».

  • Dans l’Evangile, il est clair que nous serons jugés sur l’amour, la charité et la reconnaissance de notre humanité.
    Cette quasi omniprésence des adorations Eucharistiques dans beaucoup de paroisses en devient ridicule dès 3ans ….je crains fort que cela soit très païen. Ne chosifions pas l’Hostie.
    Permettez moi de dire qu’il est plus facile de bâtir une adoration Eucharistique car cela ne demande aucun effort de la part des ordonnés.
    Par contre, partager l’Evangile, approfondir une foi, accompagner des obsèques en écoutant une famille en détresse, c’est un peu plus difficile.
    Comme cette nouvelle habitude, pour certains prêtres, de fermer les yeux lors d’une messe est un contre témoignage. La raison évoquée : être concentré. Ils disent « leur » messe, alors qu’ils devraient la célébrer avec une communauté en la présidant
    Comment célébrer « avec » et, physiquement, vouloir se séparer ?
    Il y a une incohérence ou plutôt une volonté d’être à part.
    J’ai envie de leur dire : relisez l’Evangile
    jamais le Christ n’a demandé de l’adorer
    maintenant pour ceux qui seraient tentés de répondre trop facilement
    il m’arrive de me poser devant le Saint Sacrement ,
    que dit le Christ de la prière : retirez vous dans votre chambre dans un tête à tête
    je ne suis pas sûre que cela soit le cas des adorations.

  • Ce que je demande c’est de ne pas juger de l’extérieur les pratiques des autres.Laissons donc ceux qui veulent pratiquer l’Adoration le faire même si cela ne vous convient pas sans jugement .
    Le Christ n’a peut être pas demandé de l’adorer ,mais, que je sache il n’a pas pour autant aboli le premier commandement.
    Quant aux « ordonnés « comme vous dîtes trouver des volontaires réguliers pour ces temps d’adoration demande tout de même des gros efforts de persuasion. car s’engager à venir chaque semaine à la même heure passer une heure devant le Saint Sacrement eh bien çà demande un certain effort.Je ne parle pas pour moi car je ne m’y suis pas engagé.
    Sommes-nous donc là pour juger les autres ?Savons-nous ce que ce temps passé devant le Seigneur leur apporte?Qu’est-ce qui nous permet de décréter que c’est bien évidemment nul,que c’est de l’idolâtrie et rien d’autre?
    En résumé croyons-nous à l’efficacité de la prière.Et puisque le sujet de ce fil est l’Abbé Pierre il semble bien que lui il pratiquait l’Adoration ce qui ne l’empéchait pas d’agir auprès des autres c’est le moins qu’on puisse dire.

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