Réponse à Frédéric Lenoir

Dans un petit ouvrage passionnant, le théologien jésuite Benard Sesboüé, répond avec courtoisie mais fermeté aux thèses défendues par Frédéric Lenoir dans son livre Comment Jésus est devenu Dieu. Pour lui, cette « réduction du christianisme » est « suicidaire » pour le croyant.

 

La parution du livre de Bernard Sesboüé m’avait échappé. Un déjeuner chez mon éditeur (DDB) pour évoquer quelques projets et la sortie, récente, de Sylvanès histoire d’une passion écrit avec mon ami le père André Gouzes (il faudra que je revienne sur cette réactualisation dans un blog prochain)… et me voilà reprenant le métro, ce « petit livre » en poche. Dévoré en deux jours. Un vrai bonheur d’intelligence théologique et de pédagogie. Ce qui ne surprendra guère les lecteurs habituels de Bernard Sesboüé.

 

Tenons-nous en à l’essentiel de sa réfutation des thèses de Frédéric Lenoir pour lequel la « divinisation de Jésus » ne se serait imposée dans l’Eglise qu’aux IVe et Ve siècles, sur décision de conciles convoqués, en fait, par les empereurs romains pour des motifs essentiellement politiques (voir mon blog du 9 octobre). A son « partenaire », l’auteur objecte : « La confession de Jésus Christ, fils de Dieu et Dieu, appartient au Nouveau Testament, et cela bien avant le témoignage de Jean ». Et de citer Saint-Paul dont les épitres sont les textes les plus anciens du NT ; mais aussi les Evangiles qui multiplient les « signes » de la divinité de Jésus : il remet les péchés, prétend corriger la loi de Moïse, s’adresse à Dieu en termes filiaux « abba » (p.28 et suivantes) … autant de signes validés, a posteriori, par la Résurrection. Quant à la conscience Trinitaire, les apôtres n’ont-ils pas rapporté l’injonction de Jésus lui-même : « Allez, enseignez toutes les nations, les baptisant au nom du Père, du Fils et du Saint-Esprit » Mt 28,19 ( p.70)

 

Quant au rôle des empereurs, mis en avant par Frédéric Lenoir, Benard Sesboüé ne le conteste pas mais estime nécessaire de le remettre à sa juste place : « Le point important, pour les empereurs, était de maintenir l’unité et la paix de leur empire car tout conflit religieux avait des conséquences politiques qu’ils ne pouvaient négliger. Le contenu dogmatique ou la vérité de la foi leur importait peu. » (p.175) Autant dire que les différents théologiques, démontre l’auteur, ont bien été tranchées… par des théologiens.

 

Mais à mes yeux, la partie la plus éclairante – la plus passionnante – de la démonstration de Bernard Sesboué, est de montrer pourquoi et comment l’Eglise en est venue à « devoir formuler » les dogmes sur la nature divine de Jésus. Je le cite ici : « La divinité du Christ et le mystère de la Trinité sont l’objet d’une foi très ferme au début du IVe siècle. Ce sont cependant des affirmations paradoxales et, de ce fait, l’objet d’une  recherche constante d’intelligibilité. LA FOI VEUT COMPRENDRE CE QU’ELLE CROIT (c’est moi qui souligne). Un autre fait capital est à prendre en compte : la foi qui s’est exprimée jusqu’alors dans un langage à dominante scripturaire et sémitique (…) s’est développée de manière très majoritaire dans le milieu hellénistique. Les chrétiens sont désormais des Grecs et des Latins et ILS VEULENT RENDRE COMPTE DE LEUR FOI DANS LE CADRE DE LEUR CULTURE (id) en se servant des catégories culturelles philosophiques de cette culture. En d’autres termes, IL FALLAIT TRADUIRE DANS UN LANGAGE COMPLETEMENT NOUVEAU (id) la foi véhiculée jusqu’à présent dans la tradition de type biblique ». (p.112-113) Pardon pour la longueur de la citation.

 

La mis en perspective de Bernard Sesboüé est éclairante pour la compréhension du passé, mais peut-être aussi pour celle du présent. Lorsqu’il note, en conclusion, qu’au cours des premiers siècles, hormis avec Arius, la divinité du Christ n’a jamais été remise en cause mais que : « C’est la manière de comprendre l’incarnation qui divisait les chrétiens », on peut se demander s’il en va différemment aujourd’hui. Et si la requête de nos contemporains, dans le monde occidental, n’est pas la même que celle des communautés hellénistiques du IVe siècle : pouvoir  » rendre compte de leur foi dans le cadre de leur culture ». Une culture qui « a du mal » avec les formulations classiques contenues dans le catéchisme romain auquel, pourtant, nous renvoie Benoît XVI, en appui de sa nouvelle évangélisation (voir mon blog du 13 octobre ).

 

Au final, le succès de librairie de l’ouvrage de Frédéric Lenoir, dans son « relativisme » même, n’est-il pas, d’une certaine manière, révélateur d’une quête renouvelée de réappropriation de la foi dans le langage d’une nouvelle culture  ? Lorsque Paul VI, dans Evangelii Nuntiandi soulignait que l’action évangélisatrice devait  « chercher constamment les moyens et le langage adéquats pour proposer ou reproposer la révélation de Dieu et la foi en Jésus Christ » (n°56, cité par Benoît XVI dans son motu proprio) n’avait-il pas l’intuition de cette requête ? En ouverture de son livre, Bernard Sesboüé convient : « On peut reconnaître que la catéchèse chrétienne, depuis que les grandes questions modernes sur l’identité du Christ se sont introduites sur la place publique, ne s’est pas préoccupée suffisamment de présenter la pédagogie de la révélation de Dieu en Jésus de Nazareth. » (p.16)

 

Le paradoxe serait donc qu’à l’heure même où des rapprochements théologiques significatifs s’opèrent entre Eglises, mettant un terme à des divisions parfois multi-séculaires (Sesboüé en fournit maints exemples), le dogme paraisse pour une part incompréhensible à un nombre croissant de catholiques, pour des motifs essentiellement culturels.

 

Ecoutons une dernière fois Bernard Sesboüé : « A la fin du IVe siècle la foi chrétienne en la divinité du Christ et en un seul Dieu qui est Père, Fils et Saint-Esprit n’a pas changé. Elle a seulement surmonté victorieusement le danger d’une fatale hémorragie de sens. Le paradoxe chrétien est bel et bien maintenu. La foi a su trouver à se dire de manière rigoureuse et culturellement compréhensible aux esprits Grecs et Latins. Ce travail a été laborieux et difficile, mais on peut parler à son sujet d’une « inculturation » réussie. En même temps, les chrétiens ont pris conscience d’une manière plus réfléchie du contenu vivant de leur foi. » (p.139) Là est sans doute – et encore – , quinze siècles plus tard, le « vrai défi » de la nouvelle évangélisation.

16 comments

  • Bernard Sesboüé n’est pas le seul à parler de la nécessité d’une nouvelle inculturation, mais il le dit si bien.

    Et cette question n’est pas anodine : si je parle de façon incompréhensible, je ne peux être certain que d’une chose, c’est que je serai incompris ou mal compris.

    C’est bien ce qui se passe :
    * si l’on observe les effets destructeurs de « bévues » de communication romaines (Brésil, etc… ) ou belges (SIDA = justice immanente) ou françaises (la jupe…) , ou
    * si l’on débite des passages du catéchisme de l’Église catholique hors du cercle très étroit de ceux qui peuvent encore comprendre cette culture d’un passé si lointain pour nos contemporains …

    C’est pour cela qu’il est urgent que l’Église – cad, vous et moi – parlions dans la langue d’aujourd’hui à nos contemporains, ce qui serait bigrement plus facile si nos évêques nous donnaient tous l’exemple, poussés qu’ils y seraient par les responsables du Vatican.

    Au fait, ça fait très longtemps que je n’ai pas vu d’alouettes rôties tomber directement du ciel dans mon assiette… Alors il vaut apparemment mieux ne pas attendre cette inculturation de nos pasteurs pour se mettre au boulot…

  • D’accord pour dire que notre foi au christ doit pouvoir se dire dans le langage d’aujourd’hui. Mais comme au IVe siècle, nous devons resister à la tentation de le faire en supprimant tout ce qui pourrait sembler genant pour nos contemporains. En d’autres termes, aucune inculturation de la foi chrétienne ne peut se faire en faisant abstraction de la divinité du christ, de sa mort et de sa resurrection. Cela reste un défi pour les chrétiens de toute époque.

  • Je trouve que René Poujol dans son commentaire sur le livre de Frédéric Lenoir et dans celui-ci manie magnifiquement l’ambiguïté, par souci d’inculturation sans doute… ; et l’ancien directeur de la rédaction d’un des plus importants journaux catholiques demande au Vatican et aux évêques d’adopter eux aussi un langage ambigüe ; pourrait-il ne pas rester dans les abstractions et nous dire comment dans le langage d’aujourd’hui on peut formuler que le Christ est Dieu ? Mais cela même appartient-il sans doute à un langage déculturé ?

    Le relativisme se fonde en effet en grande partie sur cette croyance que toute réalité peut et doit être exprimée dans les catégories du ou des langages à la mode ; c’est méconnaître que n »importe quel langage ne peut pas exprimer n’importe quelle réalité; le langage mathématique exprime un aspect très spécifique de la réalité; les catégories de la psychanalyse, comme celles de bien d’autres langages privilégiés voire exclusifs de la culture actuelle, sont foncièrement inaptes à exprimer des réalités « ontologiques ». Ces langages en outre sont prégnants de présupposés philosophiques, qui ne peuvent porter les réalités théologiques les plus fondamentales. Or la pensée doit tendre à se conformer au réel et non au langage.

    Selon la réalité à exprimer le langage se précise; c’est vrai en science, en philo, en théologie; et au contraire lorsque un type de réalité n’est plus envisagé, comme c’est le cas dans notre culture pour les réalités théologiques ultimes, le langage (discours et conceptions) devient étranger à ce type de réalité. Le langage (au sens que le mot a dans cette problématique de « langage d’aujourd’hui »), a certes une part de convention, mais il n’est en rien neutre par rapport aux réalités à exprimer.

    Le problème de fond derrière les thèses de Frédéric Lenoir est celui des présupposés (philosophiques) subjectivistes qui dominent la culture : c’est la raison individuelle ou collective, qui dans un devenir historique produit la pensée; les conceptions qui en résultent sont historiquement et culturellement inéluctables; elles sont LE langage d’aujourd’hui; dans cette façon de voir historico-subjectiviste, le rapport véridique à la réalité n’entre pas en ligne de compte. Le langage, c’est-à-dire les conceptions qu’il porte, devient premier. Ceux qui disent qu’il faut adopter le langage compréhensible aujourd’hui, disent en fait qu’il faut s’en tenir aux conceptions jugées acceptables dans la culture régnante. Mais puisque le langage (les conceptions) changent forcément avec le temps, qu’importe finalement ce que l’on croit ?

    Il me semble que René Poujol ne devrait pas juger de haut l’enseignement du « Vatican » et lire attentivement « fides et ratio ».

    Le fond de la thèse de Frédéric Lenoir n’a vraiment rien d’original : il dit que les conceptions théologiques sont le résultat des réflexions des croyants et des circonstances politiques; comprenez qu’elles ne proviennent pas foncièrement d’une révélation transcendante. Et c’est bien un meurtre de la foi, car celle-ci repose sur la révélation divine.

  • Je voudrais reprendre à rebours le raisonnement de P.Juvenel.

    Il est conforme à la raison de ne pas accepter ce qui est incompréhensible. Les catégories philosophiques qui ont servi pour les définitions dogmatiques du IV° siècle nous sont inaccessibles, sauf à faire de l’archéologie de la pensée.

    Est-il inconcevable que la raison puisse reprendre le travail des Pères du IV° siècle afin de le traduire dans des catégories accessibles aux esprits du XXI° siècle. En quoi cela serait-il relativiste?

    La vérité n’est relative ni à une langue ni à des concepts qui eux sont marqués par un temps et une culture.

    C’est l’honneur de la raison humaine, don du Créateur que de se saisir à chaque époque des moyens de faire retentir la vérité.

    Ne pas le faire, n’est pas signe de relativisme mais de paresse. C’est d’ailleurs le jugement que l’on peut porter sur le Catéchisme de l’Église catholique de 1992, rectifié 1998.

    Il est paresseux; il compile, empile cite, remâche… Où est la puissance du christianisme là-dedans? Où est le souffle du Salut. De vieux mots des concepts éculés, usés jusqu’à la trame. Ce n’est pas en lisant le Catéchisme qu’on risque, comme le centurion au pied de la croix de lever les yeux vers le jeune homme supplicié et de confesser: « Oui, vraiment, cet homme était le Fils de Dieu ».

  • Oui, Catherine, ne pas faire l’effort de traduire dans la langue d’aujourd’hui la Bonne Nouvelle, c’est refuser d’annoncer l’Évangile.

    Je sais qu’il faut tout à la fois :
    * garder fidèlement le dépôt (2 Tm, 1,12), et
    * le traduire pour que ceux qui ne l’on pas reçu le reçoivent dans leur langue (Ac 2,7)

    Mais il n’y a pas que la paresse, il y a aussi la peur :

    * la peur, normale, de mal faire, mais si l’on travaille en Église, et si l’on prie l’Esprit Saint reçu au Baptême et à la Confirmation, on sera aidé, et on ré-entendra Jean Paul II nous répéter les paroles du Christ « N’ayez pas peur » (Mt 28,10)

    * la peur du qu’en-dira-t-on, et c’est déjà moins normal, car c’est ne pas faire confiance à l’Esprit Saint,

    * la peur enfin, des pusillanimes, qui, pour se justifier de ne rien faire, se cramponnent à des formules et à des formes qu’ils sacralisent, formes et formules qui ne sont plus intelligibles par les hommes et les femmes d’aujourd’hui qui n’ont pas encore entendu la Bonne Nouvelle.

    Une fois sacralisé l’incompréhensible, ils peuvent se permettre d’accuser tout à loisir de relativisme ceux qui osent ne pas rester les bras croisés et essaient de transmettre ce trésor. Ces accusateurs pusillanimes sont comme ce serviteur : ils diront « voici ton talent, reprends-le » (Mt 25,25).

    Quel gâchis font ces derniers,
    * et pour eux
    * et pour ceux qu’ils essaient d’empêcher de faire fructifier les talents reçus.

    Le catéchisme de l’Église catholique est écrit dans une langue inadaptée à aujourd’hui. Tout au plus, peut-il servir de référence à ceux qui le comprennent encore.

    Mais l’essentiel est bien d’oser témoigner par la vie et ensuite parler quand on en a l’occasion : souvenez vous, en chemin, « notre cœur n’était-il pas brûlant » (Lc. 24,32) et c’est cette chaleur qu’il faut transmettre, avec foi et raison.

  • Salut et paix
    Dans l’Eglise occidentale qui donne tant de pouvoir aux intellectuels littéraires, il est évident que les non-littéraires ont été évacués, s’ils fréquentaient encore les églises. De plus pour se faire entendre, les laïcs se précipitent dans les formations « diplômantes » qui donnent le titre de « théologien » à tous ceux qui ont réussi leur licence de théologie. Chrétiens ou musulmans! Ayant enseigné deux ans en fac, je ne me suis jamais dite « mathématicienne » pour autant!
    On a évacué les scientifiques qui représentent maintenant la grosse majorité des actifs de la classe moyenne; les autres sont déjà partis depuis longtemps!
    On fait des assises pour la prière, alors que la prière est et doit être accessible à tous! C’est si simple de prier, mais évidemment, si on en fait une étude intellectuelle, on la réserve à ceux qui on fait des études… Alors Jésus parle en vain, qui va penser qu’Il est vivant? L’inculturation est-ce faire rentrer la foi dans des catégories intellectuelles du temps, de philo et surtout maintenant de psycho, la religion étant faite pour notre épanouissement?
    Quand comprendra-t-on que Dieu est, et qu’Il n’est pas Celui que nous essayons de faire rentrer dans nos catégories? Quand accepterons-nous qu’Il se communique à des petits bp mieux qu’à des savants? Quand lirons-nous l’Evangile sans le décortiquer et décider si telle ou telle parole Jésus a pu la dire, compte tenu de ses capacités intellectuelles (cf un commentaire de BXVI ds Jésus de Nazareth)
    Jésus parle avec moi parce que j’ai accepté de L’écouter à n’importe quel moment de ma journée. Comme Il parlait avec J.Paul II et comme Il doit parler à d’autres; à ceux qui ne sont pas encombrés par leurs vues sur Lui. Et Il m’explique les textes que l’Eglise écrit sur Lui dans un langage que je ne peux comprendre seule!
    Ma prière vous accompagne

  • Chacun peut-il croire ce qu’il veut ?

    « Je crois en Dieu, le Père tout-puissant, Créateur du ciel et de la terre.
    Et en Jésus Christ, son Fils unique, notre Seigneur ; qui a été conçu du Saint Esprit, est né de la Vierge Marie, a souffert sous Ponce Pilate, a été crucifié, est mort et a été enseveli, est descendu aux enfers ; le troisième jour est ressuscité des morts, est monté aux cieux, est assis à la droite de Dieu le Père tout-puissant, d’où il viendra juger les vivants et les morts.
    Je crois en l’Esprit Saint, à la sainte Église catholique, à la communion des saints, à la rémission des péchés, à la résurrection de la chair, à la vie éternelle.

    Amen »

    Faut-il tout prendre ou peut-on s’autoriser à laisser de côté ce qui dérange ?

  • Pardon de ne répondre que tardivement aux commentaires déposés sur cet article. Mais j’étais « absent », occupé à la préparation d’un prochain livre. Je voudrais répondre ici, prioritairement, à P. Juvenel. Je ne sais où il trouve, dans mon propos, des ambigüités.

    Dans le premier article, consacré au livre de Frédéric Lenoir, j’objecte deux choses à l’auteur, qui sont au centre de sa thèse. A FL, qui trouve « difficile » de passer de la filiation divine de Jésus à sa divinité pure et simple, je rappelle le prologue de Jean, très explicite et j’écris : « l’intuition des premières communautés chrétiennes allait bien au-delà de la seule filiation divine de Jésus ». Rien d’ambigu donc ! Seconde objection, lorsque FL sous-entend que le dogme a été « téléguidé » par les empereurs je lui réponds : « si les empereurs n’avaient pas pris l’initiative de convoquer les conciles, l’Eglise aurait-elle pu faire l’économie de cette « passionnante tentative d’explication rationnelle du mystère du Christ ? » Où est l’ambigüité ? Lorsqu’en conclusion je constate qu’il existe, en effet, aujourd’hui, des divergences théologiques entre Eglises chrétiennes et que j’écris malgré tout que : « ce n’est pas rien de croire avec eux à la divinité du Christ et à sa résurrection. » où-est l’ambigüité ? Apparemment ce qui chagrine mon interlocuteur est le fait de partager le constat de FL sur la difficulté de nos contemporains à comprendre le dogme. Rien de plus ! Ce n’est tout de même pas un péché contre l’Esprit.

    La suite de la « contestation » formulée par P. Juvenel concerne le second article où j’explicite la réponse de Bernard Sesboüé au livre de FL. C’est moi qui, ici, pourrait parler d’ambigüité dans les arguments qui me sont opposés. Car ce que semble me reprocher personnellement et le plus vivement P. Juvenel n’est pas ma pensée propre mais bien celle de Bernard Sesboüé à laquelle je souscris. Et là notre désaccord est effectivement total. Mon interlocuteur conteste en effet l’idée qu’il faille traduire la foi catholique dans un langage compréhensible par nos contemporain. Or, précisément, tout le propos de Bernard Sesboué, dans son ouvrage, est de montrer comment la formulation des dogmes, intervenue aux premiers siècles, a eu pour objectif de passer d’un langage de la foi initial à dominante sémitique, propre aux judéo-chrétiens, à un langage héllénistique correspondant aux premières communautés pagano-chrétiennes. La question aujourd’hui posée est de savoir si une nouvelle traduction ne s’impose pas à nous dans un contexte culturel nouveau.

    Or, dans le même article de mon blog, je cite le texte de Paul VI (repris par Benoît XVI dans son motu proprio récent) soulignant que toute action évangélisatrice devait « chercher constamment les moyens ET LE LANGAGE adéquats pour proposer ou reproposer la révélation de Dieu et la foi en Jésus-Christ ». Ce n’est donc pas moi qui parle de langage à adapter… mais nos papes !

    Et la pirouette finale sur la « révélation divine » n’est guère plus convaincante. Si la révélation avait été aussi claire et explicite dans son immuabilité que semble le penser mon interlocuteur, l’Eglise aurait pu faire l’économie des conciles qui ont eu pour objet d’interpréter cette révélation et de fixer le dogme. Tant il est vrai que si la révélation est définitivement close, nous n’en aurons jamais fini d’approfondir l’intelligence de la foi.

  • Je vous remercie beaucoup de m’avoir accueilli sur votre blog et de votre réponse. Pardon si ma contestation a été trop vive. J’ai parlé d’ambigüité parce que vous-même sur tel thème précis, ici la divinité du Christ, défendez clairement la foi catholique, mais ce qui me semble ambigüe c’est de dire que l’incompréhension de nos contemporains par rapport à la parole de l’Eglise tient fondamentalement à un langage inadapté. Il y aurait un langage « en résonnance » avec la pensée contemporaine qui enlèverait la cause de l’incompréhension. Je pense que c’est faux, et que cette illusion est source d’égarements par rapport à la foi pour beaucoup de chrétiens ; car qu’est-ce qui a poussé dans une période pas très éloignée de si nombreux catholiques zélés à des compromissions inacceptables avec le communisme, sinon la conviction que le christianisme pouvait s’exprimer dans ce langage, cette culture, qui régnait dans beaucoup de pays ou de milieux, à l’époque très influents ? Et cette leçon n’a pas été comprise par beaucoup qui se trouvent dans les mêmes dispositions d’angélisme et n’analysent pas le problème. Je n’ai jamais dit qu’il n’y avait pas d’adaptation de langage à effectuer, et d’ailleurs , contrairement à ce que vous semblez dire, l’Eglise y travaille et avance là-dessus comme je vais le montrer par des exemples concrets.
    La comparaison courante et facile avec le passage entre la culture sémitique et hellénistique est trompeuse, et n’a qu’une portée limitée ; et en effet je pense que là-dessus le P. Sesboué a des positions excessives. La culture sémitique n’avait pas de dimension philosophique, la pensée chrétienne a trouvé dans la culture grecque l’apport nécessaire à l’articulation de la foi et de la raison ; mais elle n’a pas emprunté n’importe quelles conceptions philosophiques (il y avait des courants matérialistes, et dans les courants auxquels elle a emprunté elle a fait le tri). Aujourd’hui l’Eglise a à continuer et continue la tâche de discernement de ce qui peut enrichir sa propre réflexion et favoriser le dialogue avec les pensées contemporaines (voir fides et ratio). Elle n’a pas à emboîter le pas à ceux qui s’emballent sans assez de discernement et veulent donner une place centrale à de nouvelles conceptions incompatibles avec la foi ou non encore éprouvées ; je pourrais vous citer des théologiens en vue qui parlent de la nécessité de passer à une théologie post-darwinienne.
    Voici comment, en ne restant pas au niveau des généralités, des utopies et des slogans faciles, mais en analysant le problème et sur des cas concrets, comment se pose pour l’Eglise la question de « l’adaptation du langage » : un premier exemple est celui du darwinisme ; il est une des grandes matrices du langage contemporain, mais il mêle à d’authentiques découvertes scientifiques un scientisme matérialiste exemplaire . Son langage enseigné des l’école primaire est : évolution, sélection naturelle, réduction matérialiste, toute puissance du hasard pour faire émerger tous les êtres vivants y compris l’esprit humain, inexistence de la finalité dans l’univers ; or Jean Paul II a bien fait la part entre ce qui était assimilable et réellement scientifique et ce qui relevait de présupposés philosophiques matérialistes et négateurs de l’humanité et du créateur (discours à l’académie pontificale des sciences du 22 octobre 1996); on peut, et c’est ce qui se fait, intégrer l’évolution dans sa dimension corporelle à la doctrine de la création, mais on ne peut y intégrer le réductionnisme matérialiste, ou le rejet de toute finalité dans l’univers. Pourtant beaucoup d’adeptes de l’adaptation du langage disent qu’il faut adopter la vision darwiniste dans toutes ses prétentions et c’est ce que font certains théologiens catholiques en refusant de prendre acte des incompatibilités foncières, et prêts à sacrifier ce qu’ils disent n’être pour que l’héritage de la philosophie grecque.
    Un autre exemple très significatif concerne le domaine privilégier où règne l’incompréhension des contemporains envers l’Eglise, sous l’emprise de la culture ambiante : dans le domaine de l’éthique naturelle, que présuppose l’éthique spécifiquement chrétienne la doctrine de l’Eglise a reconnu comme conception clé celle de loi naturelle ; or elle ne s’accorde pas avec la culture contemporaine, essentiellement parce que celle-ci ignore l’articulation de la nature et de la raison, elle les oppose, et parce qu’elle oppose également volonté de Dieu et liberté humaine ; or la conception morale de la loi naturelle (et la morale tout court) repose sur ces articulations. L’authentique adaptation au « langage » d’aujourd’hui c’est donc prendre acte des sources d’incompréhension en s’attachant à montrer qu’il ya compatibilité et articulation là où la pensée commune oppose ; et c’est aussi faire droit aux problématiques légitimes d’aujourd’hui en les intégrant, telles l’importance du choix personnel, ou encore le caractère fragile et la part de contingence et de conditionnement de l’agir humain, etc. ; mais il reste que cette conception de la loi naturelle, incontestablement très importante pour la pensée éthique chrétienne, est en dehors du « langage » contemporain (voir « A LA RECHERCHE D’UNE ETHIQUE UNIVERSELLE : NOUVEAU REGARD SUR LA LOI NATURELLE, 2009).
    J’ajoute brièvement qu’on n’a jamais prétendu que tout baptisé devait comprendre la doctrine catholique (il s’agit d’ailleurs de mystères) comme un théologien ; par la foi le catholique adhère à Dieu qui se révèle et à la foi de l’Eglise, médiatrice de sa propre foi ; la foi de l’Eglise « compense » les limites de la sienne. Mais la culture contemporaine répugne profondément à croire que Dieu révèle la Vérité essentielle sur Lui, et sur l’homme, et qu’il soit digne de l’homme de ne pas douter de la foi de l’Eglise. Je ne vais pas aborder la question de la genèse de cet éloignement culturel. Soyons bienveillant mais intelligent dans la compréhension du rapport de l’Eglise au monde.

  • La théologie une annexe de l’histoire des religions ?
    Pour ce qui est de la difficulté d’accepter une révélation venant de Dieu mon jugement dans mon premier post sur le livre de Frédéric Lenoir n’était pas exact. Mais le problème de fond est bien l’ouverture de sa perspective au surnaturel ; toutefois le reproche qu’il faut faire, est qu’en affirmant une certaine transcendance du Christ (tout en niant sa divinité), il va trop loin ; je m’explique : dès le début du prologue il dit qu’il veut répondre à une question qui se pose à l’historien des religions ; et de fait presque toutes ses pages suivent le fil d’une (simple) enquête historique. Mais au lieu de faire l’histoire des idées religieuses sur le Christ, il prétend traiter la question théologique de son identité transcendante, question qui est par essence méta-historique. Qui ignore que l’histoire, comme toute les sciences, y compris humaines, a pour méthodologie de s’en tenir aux phénomènes naturels, c’est le b.a.-ba de toute démarche scientifique. F. Lenoir transgresse cette méthodologie par une brèche vers le surnaturel à propos de Jésus, et c’est là l’objet central de son livre ; la forme purement historique est un faux-semblant. Il traite une question théologique sans prendre l’optique qui permet de la traiter : la question de savoir si les propos des évangiles ou de St Paul concernant les titres, les paroles et les actes attribués à Jésus peuvent ou non se rapporter à la divinité du Christ est éminemment une problématique théologique ; elle est à traiter en lien avec un regard théologique sur les écritures ; et il faut savoir gré au P. Sesboué d’avoir répondu sur ce plan.
    Une règle essentielle de la théologie est « l’analogie de la foi », qui dit qu’on doit interpréter un élément particulier dans la lumière de tout l’ensemble, et bien sûr en s’étant prononcé sur l’inspiration des écritures et dans le cas du judéo-christianisme sur la dimension surnaturelle d’une longue histoire ; sur la question de l’identité de Jésus la portée surnaturelle de la mission confiée aux apôtres et à l’Eglise fondée sur eux, l’assistance par l’Esprit Saint promise, est évidemment très importante pour la valeur de leur témoignage. Il faut en tout cas se positionner sur ces questions qui s’imposent au théologien ; Il n’y a rien de tout cela dans le livre de F. Lenoir, où il est implicitement posé que la démarche historique se substitue à la théologie, devenue une annexe de celle-ci ; cela va à l’encontre d’un discernement épistémologique élémentaire.

  • Je cite : « Tant il est vrai que si la révélation est définitivement close … »
    Est-ce une position personnelle de votre part ou une affirmation étayée et argumentée ?
    Depuis quand la révélation est-elle définitivement close ? Qui en a décidé ?

  • pardon, mais le livre de Lenoir ne m’a pas vraiment déstabilisée….
    dans le pélerin récent : il est dit : Jésus ne déclare jamais qu’il est Dieu…la Résurrection marque le vrai tournant…
    il faut tenir ensemble: 2 choses: l’humanité de Jésus et sa divinité….
    cela est un mystère …..
    et de tout temps les hommes ont mis l’accent sur un côté ou l’autre…
    tenir les deux ensemble c’est la Foi Chrétienne exprimée aussi dans le livre de Lenoir…..
    l’intervention de la politique sur l’institution Eglise est de tout temps aussi…
    c’est humain
    je pense qu’il est très important que des interrogations vraies de nos contemporains soient reprises….
    il est peut-être beaucoup plus ennuyeux de savoir que certains catholiques ne croient plus en la résurrection…..
    car si Jésus n’est pas ressuscité notre Foi est vaine …..
    j’en profite pour dire qu’un titre mentionné ne semble pas être sur le blog?
    les pieds dans le bénitier…..
    bonne journée à toutes et tous

  • Comme le blog de Mr René Poulol « Je vous le dis comme je le pense » à le mérite de coller à cette étiquette. Je pense qu’il y a en chaque un de nous un « Etre de Foi » et que ce que l’on réussit le mieux, fait obligatoirement partie de soi. Mais que peut-être aussi quelque fois, grâce à ceux qui y ont contribué… d’une manière ou d’une autre… de près ou de loin… est inversement proportionnel pour les ratés.
    Il me semble, que c’est surtout qu’une question de conscience et d’interprétation de celle-ci. Conscience de se sentir en lien avec « Le Très Haut » et son prochain « Le Plus Démunie » par exemple 😉
    Enfin, le vocabulaire est fait pour nous comprendre « au mieux ».
    Alors que ceux qui aiment ou par exemple jouent de la musique ensemble, n’ont pas obligatoirement besoin d’une grande connaissance de la langue de leurs acolytes.
    Comme le christianisme est avant toute chose, une affaire de « Cœur À Cœur » entre « Le Père et Le Fils » et entre tout ceux qui se sentent concerné par cette relation filiale.
    En consacrant du temps dans leurs vies pour EUX. Une place en nous et dans notre histoire personnelle et collective. Pour que la justice, la vérité et la paix soient toujours possibles grâce à l’aide de Dieu, en nous et autour de nous.

  • Bonjour,

    CECI N’EST PAS UN COMMENTAIRE sur cet article, mais un message pour vous signaler (puisque je ne vois pas comment vous joindre autrement) que votre billet du 19 novembre (« Les pieds dans le bénitier ») n’est pas accessible en ligne: on obtient une page d’erreur.

    Bravo pour votre blog que je découvre

    Amicalement,
    Philippe Lestang

Comments are closed.