Fin de vie : la Loi et les prophètes

Fin de vie : la Loi et les prophètes

Dans les débats qui s’annoncent, les chrétiens ne pourront pas faire l’économie d’une «relecture» des Evangiles.

 

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Dans sa livraison de Noël, l’hebdomadaire Pèlerin a eu la bonne idée de faire commenter par quelques personnalités sept paroles «lumineuses» de Jésus. La dernière est tirée de l’évangile de Matthieu : «Tout ce que vous voulez que les hommes fassent pour vous, faites-le vous-mêmes pour eux.» (Mt.7,12). Cette lecture m’a surpris en pleine réflexion sur la question de la fin de vie et du débat annoncé pour le printemps prochain, suite à la remise au Président de la République du rapport Claeys-Leonetti.

 

L’injonction biblique : «Tu ne tueras pas», que l’on trouve dans d’autres traditions comme, déjà, dans le code d’Hammourabi, dix siècles plus tôt, a longtemps été en parfaite harmonie avec la «règle d’or» de la morale universelle : «Ne fais pas à autrui ce que tu ne veux pas que l’on te fasse à toi-même.» (1)

 

Or voilà qu’aujourd’hui, en un retournement dont nous n’avons pas totalement pris la mesure, le précepte évangélique vient jeter un éclairage inattendu sur nos débats relatifs à la fin de vie. «Tout ce que vous voulez que les hommes fassent pour vous…» pourrait bien recouvrir aussi notre désir de pouvoir terminer notre vie paisiblement, en échappant, autant que faire se peut, à l’épreuve de la souffrance. Ce qui est désormais rendu possible par les progrès de la médecine, au travers des soins palliatifs et peut-être, demain, si nous y consentons, de la «sédation terminale».

 

Faut-il voir dans cette proposition, comme certains le redoutent et le dénoncent déjà (2), une violation de l’interdit de tuer, qui nous ferait basculer irréversiblement dans la barbarie ? La question est bien évidemment légitime. Mais elle suppose une réflexion en profondeur sur la signification même du mot tuer. Dans sa traduction de la Bible, André Chouraqui formule le sixième commandement en ces termes : «Tu n’assassineras pas !» ce qui renvoie à l’idée de meurtre avec préméditation.

 

Je souhaite que dans le débat qui va s’ouvrir, les catholiques, même s’ils restent légitimement opposés à une légalisation de l’euthanasie, ne se réfugient pas trop vite dans une «condamnation» de toute forme d’adaptation de la loi Leonetti de 2005. Et qu’ils ne s’engouffrent pas, trop vite, dans la dénonciation d’une forme de «compassion» au motif qu’elle viendrait contredire la Loi morale. Dans l’évangile de Matthieu, la phrase de Jésus : «Tout ce que vous voulez que les hommes fassent pour vous, faites-le vous-mêmes pour eux ; se prolonge par cette affirmation : voilà la Loi et les Prophètes.»

 

A nos concitoyens appartenant à d’autres traditions philosophiques, qui partagent avec nous la responsabilité citoyenne de fonder les conditions législatives d’un «vivre ensemble» protecteur de toute violence, j’aimerais dire de même : acceptez de réfléchir avec nous au sens profond de ce «Tout ce que vous voulez que les hommes fassent pour vous…» Peut-être découvrirons-nous ensemble que cette «attente» porte moins sur une aide à mourir que sur une aide à vivre jusqu’au bout, dans la dignité, protégés de l’épreuve de la souffrance mais tout autant de l’abandon, dans la solitude, l’anonymat et l’indifférence de la société.

 

 

(1) La Bible en propose une formulation dans Tobie 4,15

(2) Le collectif «Soulager mais pas tuer» écrit ainsi : «La sédation en phase terminale, prenant le risque d’accélérer exceptionnellement la survenue du décès, peut être légitime. En revanche, une sédation qui a pour intention et résultat de provoquer rapidement la mort est une euthanasie.» Or, l’un des co-auteurs du rapport, M. Claeys, reconnaît lui-même dans une interview à Libération : « Pour la première fois, on parle «d’aide à mourir» et non plus simplement du «laisser mourir».

 

 

 

 

 

9 comments

  • René,

    S’il est judicieux d’en appeler à une écoute du désir de l’autre et de rester ouvert au débat, il me semble que ce sujet reste hautement délicat.

    Vous reprenez, pour appuyer votre argumentation, une parole de Jésus. Vous savez mieux que quiconque que l’on peut aisément instrumentaliser la parole divine pour servir ses propres intérêts et manipuler autrui.
    La question est simple: savons-nous toujours avec certitude ce que nous voulons? Une personne en fin de vie ne cherche pas ou ne veut pas qu’on la tue mais qu’on puisse mettre fin à ses souffrances. La nuance est de taille. Je vis en Belgique et ici la loi sur l’euthanasie n’a fait que s’étendre davantage pour finalement plus se rapprocher du suicide assisté puisque il est désormais possible de demander une sédation finale pour un mineur et pour des souffrances psychiques dites incurables mais ne menaçant pas la santé physique.

    Il serait aussi trop simpliste de croire que ceux qui s’oppose à ce genre d’extension le font par pur légalisme fondamentaliste.

    La possibilité de pouvoir recourir à l’euthanasie lorsque l’on se sait condamné peut représenter une véritable pression sociale pour le malade qui ne souhaite pas encombrer ses proches et représenter un fardeau pour eux et la société.

    Or, la fin de vie, aussi douloureuse soit elle, permet à ceux qui y sont confrontés de faire un véritable chemin d’approfondissement en humanité si on les accompagne dans leurs peines, leurs peurs, leur colère et leurs doutes.
    Elle permet d’entretenir une véritable générosité et solidarité entre générations.

    Sans plus m’étendre, vous voyez bien qu’il y a matière à discussion et qu’il s’agit d’un véritable enjeu de société.

    • Christian, je suis d’accord avec ce que vous écrivez. J’ai moi-même pris position avec constance contre l’euthanasie.Je dis simplement que les progrès de la médecine permettent aujourd’hui de répondre au souhait des personnes d’échapper à trop de souffrance, sans avoir pour autant recours à une forme d’euthanasie. Vous aurez noté que, pour la France, le rapport Claeys-Leonetti auquel je fais référence refuse et l’euthanasie et le suicide assisté. Je n’ignore pas, dans le débat qui va s’instaurer en France, la question de la double interprétation possible de la sédation finale avec dans un cas le risque de voir la vie abrégée et dans l’autre la décision d’engager ce processus pour l’abréger. Simplement j’aimerais que l’on s’en tienne à réfléchir avec courage et humanité à cet aspect des choses sans sombrer, à chaque fois et sans nuance, dans des postures idéologiques intransigeantes pour ou contre l’euthanasie ce qui, pour nous, n’est plus aujourd’hui en débat. C’est tout !

      Ce papier, fort modeste, entend simplement dire qu’on peut lire aujourd’hui la Parole de Jésus dans cet évangile différemment de ce que l’on faisait il y a encore quelques années. Et que ce peut être une chance pour les catholiques d’aider notre société à évoluer vers une autre prise en compte, plus large et ouverte, de la question de la fin de vie, comme je l’esquisse en conclusion de mon propos. Ce sur quoi je rejoint votre propre analyse.

      • Je ne m’oppose pas à des traitements palliatifs qui raccourciraient la vie pour atténuer des souffrances ou à une sédation médicamenteuse qui, dans une situation extrême, plonge la personne dans un coma avançant de quelques heures son départ. J’y vois une forme de compassion avec le refus de pratiquer l’acharnement thérapeutique.

        Il est bon de renforcer l’offre et l’accompagnement sur les soins palliatifs et en cela, ce rapport présente des intérêts, même si la loi Léonetti contenaient déjà largement cette possibilité sans nécessiter forcément d’y remettre une couche.

        Je voulais mon propos surtout comme une analyse vue de l’extérieur avec l’expérience d’un pays ayant depuis plus de dix ans ouvert la voie à l’euthanasie, avec toujours plus de surenchère. L’opinion publique est totalement acquise à cette cause et je suis certain que 90% des français y sont favorables simplement parce qu’on a orienté le débat de manière à associer « l’opposition à l’euthanasie » à « laisser les gens crever dans la souffrance et l’agonie sans respect pour leur volonté ». Ce fut le cas pour les opposants au « mariage pour tous » devenus de « méchants homophobes réactionnaires ».

        En Belgique, les dérives sont nombreuses et je ne m’étendrai pas sur les cas connus ayant suscité la polémique.
        La question est de savoir qui demande à ouvrir ce débat et avec quelle finalité. La finalité de ces discussions ne consiste pas à créer quelques aménagements çà et là mais bel et bien d’entrouvrir la porte à l’euthanasie pour plus tard, une fois l’opinion publique modelée et préparée, lui dérouler le tapis rouge. S’en suivront ensuite tous les élargissements possibles menant progressivement vers le suicide assisté, chose pour le moment encore inacceptable pour l’opinion publique française. Je sais de quoi je parle, cela s’est passé comme cela ici même.
        En fouillant un peu auprès des militants d’associations « pro euthanasie », vous verrez qu’il s’agit comme par hasard des mêmes personnes qui veulent interdire les crèches dans les mairies. Les mêmes qui défendent avec acharnement l’égalité républicaine, la laïcité et proches du Grand Orient et des associations-antennes des « libres penseurs » etc…

        Je les ai vu à l’œuvre ici et je puis vous affirmer de manière prophétique (et non légaliste) qu’il en sera de même quand le climat délétère actuellement en vigueur en France se sera apaisé.

        L’agenda est fixé, le reste se fera par réseau d’influence progressif et les débats ne serviront que pour la forme. D’ailleurs, il ne vous a peut-être pas échappé que ces derniers temps, en France, pourtant terre de débats et de polémiques virulentes, ils ne fait plus bon de donner un autre son de cloche que celui de la bien-pensance dominante et dégoulinante de bons sentiments mièvres tout autant que dénuée de bon sens…

  • à Christian

    vous croyez vraiment que la toute fin de vie très difficile permet un approfondissement en humanité ?
    dans ce cadre la personne est souvent dans une inconscience douloureuse incapable d’entendre, de voir , de suivre une idée .
    Souvent la seule perception douce est celle du toucher d’un être cher .
    Dans la sédation terminale la mort est programmée sans elle à quelques heures, quelques jours.
    vous avez attendu le dernier souffle d’un mourant qui suffoque ? je vois là le Christ sur La Croix qui n’a jamais voulu souffrir à ce point ou nous croyons tous à un dieu pervers

    • Claudine,

      Je me suis sans doute exprimé de manière pas suffisamment claire. Je ne parlais pas des derniers jours-dernières heures de vie du malade. Je me référais à l’hypothèse d’une extension de la loi sur la fin de vie, si la loi permet qu’à partir du moment où l’on se sait condamné, comme ici en Belgique, on puisse demander une piqûre letale des mois, voire des années avant le décès. Ce que souhaitent les pro euthanasie.

      En ce qui concerne le fait de grandir en humanité, les derniers mois peuvent permettre des rapprochements entre membres de la famille et de passer du temps avec quelqu’un qui n’a plus rien d’autre à offrir que sa souffrance et donc de faire véritablement preuve de charité, même si cela nous en coûte.

      Il est très difficile de se confronter à la souffrance et à la mort dans une société hédoniste mais pourtant ce sont des questions philosophiques et métaphysiques essentielles pour appréhender plus profondément la beauté du don de la vie.

      Supprimer cela par peur de devoir l’affronter s’apparente plus à du déni qu’à de la compassion et risquerait de laisser bien des regrets.

    • Je n’ai pas vu à ce jour quelqu’un mourir par étouffement mais c’est bien ainsi que le Christ est mort sur la croix puisque c’est par asphyxie que ces malheureux succombaient
      Quant à la perversité de Dieu voilà bien une question que je ne me pose pas puisqu’en fait elle nous ramène à la question fondamentale de la présence du mal,question à laquelle je n’ai pas de réponse.
      Quant à une relecture de l’Evangile il me semble que la question fondamentale est de s’interroger pour répondre à la question:
      est-ce que l’homme a le droit de décider de la vie et de la mort d’un de ses semblables?
      Pour moi la réponse est évidemment non même s’il faut tout faire pour éviter la souffrance;.Comme le préconise Marie de Hennezel il faut développer les soins paliatifs

  • Afin d’illustrer par l’exemple médiatique pour éviter qu’on puisse me taxer d’excessif ; les médias français ont largement relayé l’autorisation du tribunal d’Anvers qui permet à un homme emprisonné depuis 30 ans de se faire « euthanasier ».

    Si le fait qu’il soit un criminel n’émeut pas ou moins l’opinion publique, on peut vraiment légitimement se poser la question s’il s’agit d’un acte compassionnel ou d’une peine de mort ressuscitée sous forme de volontariat. Une fois de plus, il s’agit de la Belgique et rien à voir avec le rapport Claeys Leonetti. Ceci dit, lorsque on ouvre la boîte à Pandore de la subjectivité émotionnelle, toutes les limites deviennent franchissables.

    La même idéologie est la base du dialogue qui s’ouvre en France et il me semble que les exemples belge et néerlandais peuvent donner matière à réflexion préalable. Les mépriser au nom d’un particularisme français constituerait une erreur de taille.

    • Je vous signale tout de même que cette décision a été cassée et le prisonnier en question admis dans une structure psychiatrique, ce qui était en fait sa requête. Cela étant je trouvais comme vous cette décision totalement scandaleuse. Pour le reste je persiste à penser que nous n’échapperons pas à la nécessité « d’entendre » et prendre en compte les désirs des personnes en fin de vie. Le difficile sera de se situer durablement sur une ligne de crête, sachant que déjà, les partisans de l’euthanasie pensent à l’étape d’après. A nous de convaincre nos concitoyens que la dignité est dans l’accompagnement et non dans le fait de donner la mort.

  • Monsieur,

    Votre réflexion est intéressante, mais mérite sans doute un approfondissement de l’analyse du verset que vous citez. Jésus s’adresse à ceux qui cherchent la vérité, ceux qui cherchent le meilleur, ceux qui ont « des oreilles pour entendre ». En ce sens, Jésus incite ces chercheurs de vérité à donner aux autres tous les trésors de vérité qu’ils désirent pour eux-mêmes, en lesquels ils souhaitent voir les autres comme des auxiliaires. C’est un message qui dessine la fraternité parfaite qui doit régner dans la communauté chrétienne. Il ne s’agit absolument pas d’une « volonté » générique. Quelques exemples suffiront à le démontrer. Si je voulais qu’autrui me tuât car je suis fatigué de la vie, serait-ce une raison pour que je tue d’autres fatigués de la vie ? ou que je mette fin à d’autres vies tout court ? Si j’ai envie de manger de carembars et souhaiterais qu’on m’en donne, dois-je forcément donner des carembars à tous ?

    Jésus ici définit un parfait lien de récriprocité entre le souhaitable pour autrui, et le souhaitable pour soi-même. Et ce lien de réciprocité n’existe que dans un seul cas : la recherche de Dieu. Car c’est seulement dans la recherche de Dieu, que les aspirations de tous les hommes sont, en tout point, les mêmes. Tout ce qui s’écarte de ce qui contribue à la recherche de Dieu ne peut pas entrer dans le cadre de ce verset sans qu’on s’efforce à le déformer.

    Bon chemin pour la suite de votre blog

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