Laïcité, laïcité chérie…

Laïcité, laïcité chérie…

Dix mois après l’hystérie laïciste qui avait suivi les attentats de janvier 2015, voilà que l’Association des maires de France nous remet le couvert. 

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Article repris par les sites : causeur.fr Conférence catholique des baptisés francophones et A la table des chrétiens de gauche que je remercie. 

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C’est donc reparti pour un tour ! Le Vade-mecum (1) récemment publié par l’AMF à l’usage des élus locaux vaut le détour. «Il nous est apparu essentiel de réaffirmer avec force les contours et la substance de cette valeur, véritable fondement de notre République» écrivent François Baroin et André Laignel. Fort bien, mais encore ?

L’Etat a-t-il besoin d’une philosophie officielle ?

La réponse nous est fournie à la page suivante où il est écrit : «La laïcité, depuis plus d’un siècle, revêt un double sens. C’est un mode d’organisation juridique et politique de la société, issu de la loi de 1905 qui acte la séparation des églises et de l’État. Mais c’est aussi une approche philosophique du vivre ensemble, que l’on peut qualifier d’humaniste parce qu’elle ne se réfère à aucun dogme religieux, ni à aucune vérité « révélée », et qu’elle n’est soumise à aucun appareil religieux.» 

Autant il est possible de souscrire à la référence concernant la loi de 1905, autant il me semble délicat de prétendre imposer aux citoyens de ce pays une philosophie officielle, fut-elle humaniste. Car, l’expérience le montre, on passe vite, alors, d’une philosophie libre de toute sujétion à l’égard des dogmes religieux, à une philosophie qui prétend les nier ou, tout du moins, interdire aux citoyens de s’y référer ouvertement et collectivement dans le débat public. C’est là la porte ouverte à un athéisme d’Etat dont on n’a pas gardé, du XXe siècle, le souvenir qu’il ait réellement servi le vivre ensemble.

Les citoyens de ce pays sont nombreux à contester cette vision, héritée des Lumières, selon laquelle il n’y aurait légitimement place pour aucun «corps intermédiaire» entre l’individu et l’Etat. Où le libéralisme, souvent inhumain dans ses effets, se prévaudrait d’une forme d’humanisme à vocation universaliste. Au nom des valeurs même de la République.

Comment a-t-on pu, en janvier 2015, nous donner pour modèle un magazine satirique se définissant lui-même comme «journal irresponsable» ? L’irresponsabilité, sous couvert de liberté d’expression, serait-elle devenue une valeur à enseigner dans les écoles  ? C’est en s’appuyant sur cette idéologie promue philosophie qu’on a vu de grandes signatures de la presse exiger du Parlement l’inscription dans la loi d’un prétendu droit au blasphème, alors même que le blasphème n’est susceptible d’aucune poursuite. Autoriser formellement ce qui n’est pas interdit et procède simplement de notre liberté serait-il devenu, pareillement, une valeur de la République ? Est-ce la délivrance d’une pièce officielle d’identité qui seule nous autorisera demain à dire «je suis» dans l’espace public ?

Pray for Luc Le Vaillant 

Dans les colonnes de Libération, quelques jours après le vendredi sanglant qui a endeuillé la capitale, Luc le Vaillant dénonçait le hashtag venu des Etats-Unis «prayforparis» qui a envahi les réseaux sociaux et qui lui «colle des boutons, d’autant qu’il est repris par le monde entier». Preuve que le monde entier se moque comme d’une guigne de cette prétention française à l’universalité d’une laïcité qui, de l’Etat voudrait envahir la totalité du champ social. Il n’appartient pas plus à Luc le Vaillant de nous interdire de prier publiquement pour Paris que pour le salut de son âme. Cela ressort de notre liberté d’expression.

Le Grand Orient de France comme «personne ressource»

Comme pour nous rassurer les auteurs du vade-mecum nous précisent en introduction que ce document ne constitue qu’une première étape dans une démarche de reconquête de la laïcité qui devra, notamment, se pencher sur la question du concordat toujours en vigueur en Alsace Moselle. Si elle manque d’inspiration, l’AMF pourra toujours aller puiser dans le récent document publié par le Grand Orient de France dont François Baroin devrait pouvoir retrouver l’adresse, sans difficulté, dans ses papiers de famille. (2)

Entre autres joyeusetés, le GOF propose, par exemple, à l’article 14 de «Mettre un terme au financement public des activités consistant en l’exercice d’un culte, même présentées comme culturelles.» Le 20 septembre dernier avait lieu l’inauguration officielle de la nouvelle cathédrale de Créteil (Val-de-Marne). Etaient présents, outre le ministre de l’intérieur, Bernard Cazeneuve, le député-maire socialiste de Créteil, Laurent Cathala et le président communiste du Conseil départemental, Christian Favier. (3) L’un et l’autre on redit pourquoi la ville de Créteil et le département du Val-de-Marne avaient contribué au financement de l’espace culturel de la nouvelle cathédrale (galerie d’exposition, auditorium et salle de conférence) dans le respect scrupuleux de la laïcité et des lois de la République.

Le 7 octobre, j’animai dans la nef de cette même cathédrale, autour de l’encyclique du pape François sur l’écologie, Laudato si’, un débat public auquel participaient notamment la maire-adjointe MoDem du Plessis-Trévise, Sabine Patoux et le maire communiste de Champigny, Dominique Adenot. (4) Faut-il voir dans cette manifestation, comme le suggère l’article 14 du document pré-cité : «une activité consistant en l’exercice d’un culte, même présentée comme culturelle » ? Qui, dans la vie réelle, sert le mieux la laïcité et le vivre ensemble : les élus du Val-de-Marne ou les frères de la rue Cadet ?

On connaît l’expression attribuée à André Malraux selon laquelle: «le XXIe siècle sera religieux ou ne sera pas». L’Association des maires de France a décrété que le XXIe siècle ne serait pas. A cette imbécilité prétentieuse nous pouvons opposer que le XXIe siècle sera, qu’il sera entre autres religieux comme le furent les précédents, et que l’AMF devra bien s’y faire.

© René Poujol

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  1. Un vade mecum qui préconise notamment la suppression des menus de substitution dans les cantines scolaires et l’interdiction des crèches de Noël dans les lieux publics ce qui suscite, à travers le pays, un vent de protestation.
  2. Vingt-cinq propositions pour une république laïque au XXIe siècle. 9 décembre 2014.
  3. Egalement présents mais qui n’ont pas pris la parole : le Président socialiste de l’Assemblée nationale, Claude Bartolone, et Valérie Pécresse tête de liste LR aux régionales pour l’Ile-de-France.
  4. Les autres intervenants étaient : Mgr Marc Stenger, évêque de Troyes, responsable de la commission « Ecologie et environnement » de la Conférence des évêques de France, Bernard Brillet, inspecteur général au ministère de l’Ecologie représentant la Fédération protestante de France et Martine Lang, coordonnatrice de la commission environnement de Pax Christi.

 

 

 

 

 

13 comments

  • L’Association S.N.C.S ″ Sortons Nos Crèches et Santons ″, ayant pris connaissance du « Vade-mecum sur la laïcité à l’usage des maires de France », guide aussi tatillon que ridicule et inapproprié en divers domaines – il met en garde contre les baptêmes de bateaux ! –, même si opportun à certains égards, considère que ce petit opuscule fait fausse et mauvaise route !

    La laïcité qu’il défend, certainement légitimement, tombe dans un laïcisme excessif qui débouche sur une neutralité extrême et souvent fort injustifiée, prête à nier l’histoire, des traditions, des pratiques et des valeurs avérées et reconnues.

    Il ne constitue pas une solution efficace ni apaisante mais plus plutôt divisante sinon provocatrice aux questions et problèmes auxquels nous sommes présentement et de plus en plus confrontés.

    Ce type d’excès finira par braquer les Français, et pas que les catholiques !, minés qu’ils sont de plus en plus par un sentiment paradoxal qu’après l’horreur, c’est bien leur style de vie qu’il faut abandonner ; au profit de qui et de quoi… ?

    La S.N.C.S entend donc exprimer et manifester sa volonté de laisser à chacun sa liberté de penser et d’édifier en cette période de Noël une crèche comme bon lui semble et, à défaut de pouvoir le faire dans certains espaces publics, de l’afficher de manière apparente et, ce sans esprit de provocation ni d’intolérance !

  • Merci René ! Je ne savais pas que les crèches mettaient la République en danger…Il me semblait que nous étions soumis à d’autres dangers depuis janvier 2015… Cette préconisation n’est pas la meilleure façon de faire progresser le vivre-ensemble.

  • « ce document ne constitue qu’une première étape dans une démarche de reconquête de la laïcité »
    Est-ce à dire, par exemple, qu’il faudra penser à retirer le 25 décembre de la liste des jours fériés au motif que la République commémore ce jour là la naissance du Christ?
    Si oui, alors il faudra se pencher, aussi, sur le sort de l’Ascension, du 15 août – et je ne parle pas ici des lundis de Pâques et de Pentecôte qui ne relèvent d’aucune obligation religieuse – et réserver l’autorisation d’absence ces jours là, au nom du libre exercice de son culte, uniquement à ceux qui pratiquent; mais il faudra prévoir des carnets de présence et des composteurs(en plus des portiques de sécurité)à l’entrée des églises…
    Bien évidemment, ne pourront en bénéficier les simples baptisés; il faudra être « pratiquant ». Entre nous soit dit, vu leur nombre aujourd’hui, leur accorder ces autorisations d’absence ne devrait pas perturber le fonctionnement des services publics et privés autrement plus que les autorisations d’absence pour garde d’enfant les mercredis…
    A moins que cette mesure incitative conduise, enfin, à relancer la pratique religieuse et à remplir les églises! Qui sait?
    mdr

  • Pingback: De quoi les crèches sont-elles le signe ? | A la table des chrétiens de gauche

  • Il se trouve que j’ai engagé la lecture du livre de Pierre Manent : Situation de la France, juste après avoir posté cet article. Un livre essentiel pour nourrir le débat qui nous occupe.

    «Je l’ai dit, sous le terme d’«égalité» ou de «laïcité, ou sous la forme des «valeurs de la République», ce qui est à l’œuvre, c’est la disqualification de tous les contenus de vie partageables au motif qu’ils n’ont pas été choisis par chacun, ou qu’ils n’agréent pas à chacun. On le comprend aisément, si l’humanité avait commencé son aventure en embrassant de tels principes, jamais ni familles, ni cités, ni communautés religieuses n’auraient été créées. Etrangement, notre régime a pris à tâche de s’appuyer de plus en plus exclusivement sur un principe sur lequel en tout cas il est impossible de rien fonder. On raisonne à peu près ainsi : si l’on veut que les Français, dans leur diversité désormais impossible à ramener à l’unité, vivent ensemble, dans l»‘égalité des droits, alors ils doivent n’avoir entre eux rien de commun sinon les valeurs de la République, c’est-à-dire les dispositions qui permettent de vivre ensemble sans avoir rien de commun. Nous ne survivrons comme communauté de vie et de sens que si nous nous réveillons de ce vertige de dissolution.»

    Pierre Manent, Situation de la France, DDB, p.128

  • Je crois qu’il est évident – pour Mr Baroin , mais pas pour moi – que pour combattre DAESCH, il faut éliminer les crèches de Noël, les sapins de Noël et bientôt, changer administrativement le prénom de ceux qui s’appellent Noël. Il faudra, biens sûr, interdire aux musulmans qui fêtent Noël avec leurs amis chrétiens de le faire.

    Le deuxième étape logique serait, bien sûr, de renommer les villes dont le nom commence par Saint …

    En suite, on pourrait désaffecter les églises : celles sous la loi de 1905 dans un 3ème temps, puis les autres .. mais dans un 4ème temps seulement.

    Bref, rejouer un programme qui a déjà été essayé par le passé.

    À propos, ne serait-ce pas que Mr Baroin et ses conseillers ont oublié que ceci a conduit à Thermidor puis au consulat et à l’empire. On ne peut pas dire que cette séquence soit un succès pour ce plan : le concordat d’Alsace-Moselle date de cette époque !

    Oubliez l’histoire, et vous ne saurez plus d’où vous venez, et vous aurez bien du mal à savoir où aller et comment y aller.

  • Pingback: Touche pas à ma crèche !? | Thomas More

    • Que le christianisme soit devenu – ou doive devenir – une contre-culture voilà qui est loin de faire l’unanimité, quoi qu’en pense Jean-Pierre Denis. Pour le reste, le troublant est que l’ambivalence religieuse-culturelle de la crèche ne date pas d’hier et n’avait à ce jour posé aucun problème d’atteinte à l’ordre public à ma connaissance. Quelle urgence y a-t-il donc à changer les règles du jeu ? Effacer ce marqueur religieux catholique dans l’espace public pour mieux s’autoriser à interdire aux musulmans d’avoir les leurs propres ? Avec l’illusion qu’ils vont accepter de se dissoudre dans ce « vide » ? Il faut lire Pierre Manent : Situation de la France (2015, DDB) : « On raisonne à peu près ainsi : si l’on veut que les Français, dans leur diversité désormais impossible à ramener à l’unité, vivent ensemble dans l’égalité des droits, alors ils doivent n’avoir entre eux rien de commun sinon les valeurs de la République, c’est-à-dire les dispositions qui permettent de vivre ensemble sans avoir rien de commun. Nous ne survivrons comme communauté de vie et de sens que si nous nous réveillons de ce vertige de dissolution. » (p.129)

    • Pour répondre au commentaire ci-dessus, il me semble qu’aujourd’hui, justement la crèche n’est plus porteuse d’un seul message, mais de plusieurs, plus ou moins édulcorés par rapport à sa signification première : pour les croyants elle fait mémoire de l’incarnation du Sauveur, pour d’autre elle est un message de paix et d’espoir autour des notions de naissance, de famille, pour d’autre encore c’est un folklore rassurant car il est chargé de souvenirs… Quand une société sécularisée continue de s’approprier un patrimoine religieux, c’est que le sens de celui-ci à évoluer, pour la majorité de ses membres. Je trouverais dommage de cantonner la crèche à un unique sens, quand au contraire la multiplicité des sens donnés permet de lui donner une réelle consistance. Certes il y a de la confusion, un peu d’ignorance et de naïveté dans l’acceptation profane du sens de la crèche. Mais cela peut aussi constituer une porte d’entrée, vers un questionnement. Et puis le fait que chacun donne du sens à la crèche, cela en fait un symbole, au sens premier : quelque chose qui rassemble. Alors que dans la maison commune que constitue la mairie, se trouve une crèche, comme un symbole qui rassemble les gens d’horizons très variés, je crois que c’est presque souhaitable : la mairie comme la crèche sont des lieux vers lesquels les gens vont former « assemblée ». Les grecs auraient dit « ecclesia »

  • Ce 4 décembre, publication d’un communiqué du Conseil permanent de la Conférence des évêques de France, à l’occasion du 110e anniversaire de la loi de 1905.

    Soulignant que le durcissement actuel du concept de laïcité ne correspond en rien à l’esprit ni à la lettre de la loi de séparation de 1905, le communiqué « constate qu’un courant de pensée existe dans notre pays pour passer d’une laïcité de l’Etat à une laïcisation de la société ».

    Le communiqué poursuit : « Evitons la stigmatisation des croyants qui mène à une réduction croissante de leurs possibilités de vivre et de s’exprimer comme citoyens. Crtoire que réduire leur expression au strict cadre de la vie privée favoriserait la paix sociale est une illusion et une erreur. Cette attitude favorisera l’émergence de courants et d’attitudes fondamentalistes qui pourront s’appuyer sur le sentiment d’être méprisés, rejetés, ignorés, ou incitera à se replier sur des formes de vie communautaristes. »

    http://www.eglise.catholique.fr/conference-des-eveques-de-france/textes-et-declarations/411195-declaration-a-loccasion-du-110eme-anniversaire-de-la-loi-de-1905/

  • Les protestants ne font pas de crèches,sont-ils moins chrétiens que les catholiques ?
    Quand la crèche est utilisée par un maire pour narguer une partie de ses concitoyens, est-ce une attitude chrétienne ? Détourner cette image populaire du mystère de l’incarnation à des fins électoraliste et de division des habitants de la ville me choque profondément. Je précise qu’avant Noël 2014, il n’y avait pas de crèche dans l’espace public de la ville où je réside. Je connais deux monastères bénédictin ou cistercien dont les crèches sont modestes pour ne pas heurter les protestants des alentours et rendre possible des partages œcuméniques. Le bien ne fait pas de bruit et le bruit ne fait pas de bien. D’ailleurs que des prêtres s’associent à la féria par une grand messe me choque tout autant. Soyons conscients que certain politicien utilise à des fins personnelles son prétendu respect de la religion catholique alors qu’il revendique haut et fort que les étrangers ne sont pas les bienvenus.
    Pour me préparer à la venue du Sauveur, j’ai besoin de paix, de silence, d’amour, de concorde et de miséricorde … la crèche alors sera mon cœur, sera notre cœur.

  • Laïcité : c’est le choix proposé, c’est la nouvelle religion mais de choix il n’y en a pas car elle ne connaît pas de structures, pas d’organisations, pas de contenus, pas de lieux et d’hommes pour l’enseigner.
    Il suffit de prononcer son nom pour se ranger derrière???

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