Lettre ouverte à François Hollande sur «le droit de vivre dans la dignité».

Monsieur,

Vous avez choisi de faire figurer parmi vos soixante propositions de candidat à l’élection présidentielle, une forme de droit à l’euthanasie.

C’est une mesure grave parce qu’elle touche à ce qui, pour nous humains, est le plus précieux : la vie. Grave, moins parce qu’elle déciderait de passer outre les croyances religieuses d’une partie des citoyens, que parce qu’elle créerait une rupture définitive avec ce qui représente aujourd’hui une référence commune aux croyants et aux non croyants : cette idée que la vie nous est donnée – par Dieu ou par la nature – et qu’elle transcende nos existences individuelles et collectives.

Peut-on retenir comme légitime, une requête de liberté individuelle, dès lors qu’elle ébranle le fondement même d’une société ?

Je vous ai entendu, à diverses reprises au cours de ces dernières semaines, vous présenter comme un homme de rassemblement. Aussi dois-je vous dire mon incompréhension. Sur cette question de la fin de vie, l’Assemblée nationale s’est prononcée le 30 novembre 2004, en votant la loi Leonetti, par 548 voix pour, 0 contre et 3 abstentions. Ce texte vous l’avez vous-même voté et avec vous la totalité du groupe socialiste.

Vous êtes suffisamment familier de notre vie politique et parlementaire pour saisir le caractère exceptionnel d’une telle unanimité dans un débat de société. Et la chance que cela représente de pouvoir inscrire ainsi une réforme dans la durée, à l’abri des pressions, des surenchères comme des alternances politiques. Ce consensus est venu couronner un long travail préparatoire où chacun a pu s’exprimer longuement et en toute liberté. Il représente aujourd’hui l’état d’une conscience collective.

Sept ans plus tard, vous nous proposez de remettre cet acquis en question. Pourquoi ? Trois arguments sont fréquemment évoqués : la loi Leonetti serait mal connue du public comme du personnel soignant, le développement des soins palliatifs resterait en-deçà des besoins, enfin la loi ne répondrait pas à la totalité des situations.

De ce constat on pourrait raisonnablement conclure à l’urgence d’une meilleure information et d’un développement des soins palliatifs ainsi qu’à la nécessité de progresser encore dans la prise en charge de la souffrance physique ou psychique. Ce qui correspondrait au seul consensus existant vraiment dans notre pays.

Vous vous revendiquez d’une tradition républicaine. Qu’y a-t-il de républicain à tenir pour négligeable le vote unanime du Parlement, le long travail de concertation engagé sous la responsabilité d’un élu, à lui préférer les velléités d’une opinion publique travaillée par la peur de la souffrance ? Qu’y a-t-il de républicain à renoncer peu ou prou, à une politique adaptée à 99% des fins de vie pour légaliser le choix radical revendiqué pour moins de 1% des situations ? Qu’y a-t-il de républicain à se résigner à donner la mort par impuissance à aider à vivre ? A choisir la (com)-passion contre la raison ?

Il est faux de prétendre que la liberté reconnue aux uns ne porterait nullement atteinte à celle des autres, dès lors qu’elle aurait pour effet d’ébranler un socle de valeurs communes. Ne vous y trompez pas : l’euthanasie aujourd’hui présentée comme ayant vocation à compléter le dispositif des soins palliatifs, viendrait demain s’y substituer, une fois levé l’interdit de tuer. Le légal finissant toujours par imposer sa «morale».

Notre société a su résister à la demande réitérée de ceux qui souhaitent le rétablissement de la peine de mort «pour les seuls crimes les plus graves». Et c’est l’honneur de votre parti que d’avoir fait voter son abolition. Est-ce pour introduire aujourd’hui dans notre droit une prétendue exception d’euthanasie pour «les seules souffrances les plus insupportables» ? Au lieu de prendre l’engagement de tout mettre en œuvre pour aider  chacun, dans ce pays, à vivre jusqu’au bout, dans la dignité ? Là est le véritable «choix de société».

Monsieur, la crise qui secoue notre monde et n’épargne pas la France, requiert de notre part un effort de justice et de rassemblement. Ne venez pas compromettre ce nécessaire sursaut national par une loi de division.

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P.S. L’assemblée parlementaire des 47 pays membres du Conseil de l’Europe a adopté, le 25 janvier 2012, une résolution stipulant que « l’euthanasie doit toujours être interdite ».

 

20 comments

  • Cher rené. Un très grand merci pr cette lettre pleine de justesse et de finesse. Espérons qu’elle fasse son œuvre de sagesse. Bien cordialement

  • Merci infiniment pour cette lettre ouverte précise, solidement charpentée et inspirée hautement… J’espère qu’elle sera lue par son destinataire…

  • J’ai envoyé cette lettre ouverte directement à Mons. Hollande via Twitter:

    #LettreOuverte à #François #Hollande sur «le droit de vivre dans la dignité» | goo.gl/xTPXa | by René #Poujol #euthanasie @fhollande

  • Restent encore quelques propositions « éthiques » qui mériteraient que tu t’y attelles … Merci, René, de ce petit parcours bien balisé! Benoît

  • Bonjour René, merci de cet argumentaire paisible et déterminé. Je crois aussi que la loi Leonetti est suffisamment équilibrée pour prendre en charge avec justesse des situations toujours dramatiques. N’allons pas à la Loi pour des situations qui seront toujours des exceptions mais toujours à accueillir avec humanité.
    Merci et amitié

  • Merci à chacun pour ces premières réactions. Une dizaine d’amis sur Facebook ont accepté de relayer cette lettre auprès de leur propre réseau. D’autres thèmes justifient une mobilisation similaire. Je n’y manquerai pas… avec votre appui.

  • Merci d’avoir su préciser, sans passion, nos valeurs essentielles ! Le rappel de l’abolition de la peine de mort par le gouvernement de François Mitterrand est un point important.

    Contre les valeurs fondatrices de notre société, une autre réforme se met également en place : le mariage homosexuel. Le Pacs est déjà là pour donner une visibilité et officialiser ces unions.
    Même si le sujet concerne et intéersse plus de personnes que pour l’euthanasie, un débat s’impose pour redéfinir le sens que l’on donne au mariage avant de voter toute loi aussi radicale.

  • Merci pour ce courrier. Certains en traitent d’autres de nazis: nous avons dans l’euthanasie un exemple de ce que nous avons déploré chez les partisans d’Hitler. Mais la démagogie mène à tout. On supprime les enfants à naître, peut-être les handicapés et maintenant les vieux qui coûtent trop cher: que devient l’homme créé à l’image de Dieu. D’autre part on essaie de sauver des nouveaux-nés à peine viables, on fait parfois de l’acharnement thérapeutique, on nie la mort: notre pauvre monde est tombé sur la tête.

  • Pas besoin de partir en croisade car je crois que François Hollande dit bien que chaque cas est particulier et il ne cherche pas autre chose que ce que vous proposez : on pourrait raisonnablement conclure à l’urgence d’une meilleure information et d’un développement des soins palliatifs ainsi qu’à la nécessité de progresser encore dans la prise en charge de la souffrance physique ou psychique.

  • Grand merci pour votre courrier. depuis 2 ans, je passe une après-midi par semaine dans une unité de soins palliatifs. Et cela, après que notre fille ait bénéficié ,hélas, de ce service dans une unité de soins palliatifs. Nous y avons découvert ce que c’est que « MOURRIR DANS LA DIGNITE » C’est pourquoi j’ai voulu à mon tour aider en bénévolat les malades, les familles dans l’épreuve.

  • Au delà des lois, au delà des religions et croyances, de l’éthique…qu’en est-il du droit de chacun à vouloir partir dans la dignité? Est-il plus humain ou charitable de laisser une personne mettre fin à ses jours seul ou de la laisser dans une souffrance qui lui est intolérable?
    Plus que la manière de mourir je pense que c’est ce que nous faisons tout au long de notre vie qui détermine ce que sera notre après…sinon à quoi servirait le combat de toute une vie?

  • @ Langagne. Je ne suis pas d’accord avec vous. La proposition de François Hollande vise bien à permettre l’introduction dans notre droit d’une exception d’euthanasie. Il plaidera, comme les militants de l’association ADMD, que cette disposition viendrait en complément des soins palliatifs et qu’après tout offrir de nouveaux « droits » n’enlève à personne celui de ne pas s’en servir. Mais tout montre qu’il n’en est rien. Pourquoi voulez vous qu’une société continue d’investir dans les soins palliatifs le jour où elle offrira à chacun le « droit de mourir dans la dignité » ? Et je puis vous assurer, connaissant bien le monde de la grande vieillesse, qu’on saura convaincre nos grands vieillards de bénéficier de ce droit plutôt que de continuer à vivre dans une forme de déchéance. Une solution qui satisfera tout le monde : la société, la sécu, les familles, le personnel soignant.
    @ Bodet je répondrais que le suicide n’est pas un droit mais une liberté. Dès lors que l’on demande à la société (au médecin) de vous aider, on tourne le dos à l’interdit de tuer qui transcende toutes les civilisations depuis toujours. Ce n’est pas à la société de tuer, pas plus qu’au médecin qui est fait pour soigner… Toutes les études montrent que les cas de « souffrances insupportables » pour lesquelles aucun traitement n’est efficace sont extrêmement rares. Dans ces cas là je préfère encore que le médecin prenne sur lui, en son âme et conscience, un acte qui sera peut-être d’euthanasie mais qu’on ne touche pas à la loi. J’entends d’ici les cris des uns et des autres sur une prétendue hypocrisie… Mais s’il fallait, au nom du refus de l’hypocrisie, supprimer toutes les lois qui ne sont pas scrupuleusement respectées… il n’y aurait plus de lois dans notre pays. Alors oui à l’hypocrisie qui permet ponctuellement la compassion sans remettre en cause ce qui structure nos sociétés.

  • « la vie humaine doit être respectée depuis sa conception naturelle jusqu’à la mort naturelle » Benoît XVI. Dont acte ! La France, Fille Aînée de l’Eglise devrait se souvenir de l’interpellation de Jean-Paul II au Bourget  » Es-tu fidèle aux promesses de ton baptême?…
    à l’Alliance avec la Sagesse Eternelle ?… » Toute société qui se retourne contre Dieu se retourne contre l’homme. Regardons simplement l’histoire du XXéme siècle !

  • Merci Monsieur Poujoul d’avoir écrit cette très belle lettre. Je vais la relayer !

    Je suis une personne handicapée et je suis Témoin que ma vie est Belle et qu’elle vaut la peine d’être vécue si elle est accompagnée !

    Merci mes amis de m’accompagner de de votre amitié !

    Merci ABO !

    Merci à toute ma famille !

    Merci mes chers filleuls !

    Avec vous je peux dire oui à la vie, grâce àvous ma vie est Belle !

    Vive la Vie !

    Marc-Henri

  • Nous sommes en 2012 dans une République,un Etat laïque.
    Il faut respecter la conscience de chacun.
    Des patients souffrent encore en fin de vie à l’heure qu’il est dans nos hôpitaux à cause de l’acharnement thérapeutique toujours et encore pratiqué malgré la loi Léonetti.
    Souvenez-vous,avant que la loi Léonetti ait été promulguée,des croyants de tout bord ont manifesté leur mécontentement(ce n’est pas humain de laisser un patient mourir de faim et de soif pendant quelques jours)
    De toute façon,les lois ne sont jamais appliquées et les euthanasies dites » clandestines « existeront toujours,tout comme les dérives.C’est la vie.

  • Christian je suis , forcément, en désaccord avec vous. Respecter la conscience de chacun est une chose mais lorsqu’elle demande qu’on ébranle l’un des fondements de la loi naturelle, présent dans toutes les civilisations : « tu ne tueras pas » , ce n’est plus la conscience de chacun qui est en jeu mais la société elle-même. Pour le reste je ne comprends pas la logique que vous reprenez et qui consiste à dire puisqu’on ne sait pas appliquer la loi Léonetti qui aide à vivre, votons une loi qui permette de mourir. Enfin le dernier argument me semble irrecevable : puisque l’interdit de tuer n’est pas respecté, supprimons-le en autorisant l’euthanasie. S’il fallait alléger notre droit de tous les interdits qui ne sont pas scrupuleusement respectés, nous n’aurions plus de code pénal. Et nous redeviendrions des barbares. Non, je crois sincèrement que nous avons aujourd’hui la possibilité de faire vivre jusqu’au bout dans la dignité l’immense majorité des personnes en fin de vie. Encore faut-il le vouloir.

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