Mgr de Moulins-Beaufort : un sacré défi ! 

Mgr de Moulins-Beaufort : un sacré défi ! 

Le nouveau Président de la Cef va devoir se montrer imaginatif et convaincant pour entrainer ses frères évêques sur les chemins de la réforme. 

Les évêques réunis à Lourdes pour leur Assemblée plénière de printemps ont donc renouvelé leur Président en la personne de Mgr Eric de Moulins-Beaufort, archevêque de Reims âgé de 57 ans. Une demi surprise. Son nom figurait depuis des semaines dans toutes les short lists de présidentiables. Que penser de cette désignation ? L’un de mes amis y voit « le meilleur choix qui était possible » au regard des affaires de dérives qui ont défrayé la chronique, tandis qu’un autre me prédit « l’entrée dans une phase de glaciation » pour l’Eglise de France ! Wait and see. 

Rendre justice aux « sortants »… 

L’annonce de sa nomination nous a valu quelques dithyrambes de la part de la presse catholique. Je l’écris sans malice car c’est un peu la loi du genre. La nomination d’un nouveau Président des évêques de France (le 12e) est pour elle un événement majeur. Et l’on imagine mal les médias chrétiens, à l’heure de le présenter au public, ne pas mettre en valeur ses qualités intellectuelles et spirituelles. Or l’homme, d’évidence, est intelligent et son parcours exemplaire. Le revers de la médaille est qu’à trop souligner – même à raison – le consensus qui a présidé à son choix, la volonté manifeste qu’il traduit de renouveler les cadres, de passer le relais à une jeune génération d’évêques pour « bouster » la Cef, on inscrit forcément « en creux » le bilan de l’équipe  sortante. C’est la loi du genre dans toutes les institutions, fut-elle injuste. Sic transit gloriam… à supposer que gloriam il y ait jamais eu…

Saluons donc ici le travail accompli par Mgr Pontier, archevêque de Marseille, dans un contexte délicat de forte tempête sur l’Eglise, à la tête d’un épiscopat à ce point divers et divisé que toute prise de position commune tient souvent de la mission impossible, s’il s’agit d’autre chose que de réaffirmer, à temps et à contre temps, l’enseignement du magistère. Et disons notre gratitude à Mgr Olivier Ribadeau Dumas, Secrétaire Général et porte parole qui, a plusieurs reprises, par ses déclarations courageuses, a « sauvé l’honneur » d’une Cef engluée dans ses contradictions et son mutisme. Je l’écris d’autant plus volontiers que je n’ai pas toujours ménagé l’un et l’autre dans mes propres commentaires. 

Ce passage de relais à la tête de la Cef s’opère en pleine crise. L’électro-choc des événements de février-mars aura des traces durables : polémiques autour de la condamnation-démission du cardinal Barbarin, sortie du film Grace à Dieu, accusations portées contre le Nonce apostolique à Paris, diffusion par Arte d’une émission sur les violences sexuelles de prêtres sur des religieuses, succès de librairie de l’ouvrage Sodoma… Et cela dans un contexte international également marqué par d’autres décisions d’emprisonnement ou de destitution de cardinaux. 

Un étonnant parallèle avec les gilets jaunes… 

Pour l’observateur, le parallèle s’impose entre la crise des gilets jaunes et celle qui secoue l’Eglise catholique. Dans le premier cas, on a vu les manifestants, face à la surdité du pouvoir politique, glisser d’une simple contestation de hausses fiscales à des revendications plus larges touchant certes la fiscalité mais aussi le pouvoir d’achat, la défense des services publics dans une France « périphérique » à l’abandon et l’élargissement du pouvoir citoyen dans la délibération démocratique. De la même manière, pour ce qui concerne l’Eglise catholique, les réticences de la hiérarchie à prendre la vraie mesure des scandales pédophiles a poussé de nombreux fidèles, mais également des membres du clergé, à une contestation plus radicale touchant à la gouvernance même des diocèses et à l’exercice du pouvoir dans l’Eglise.

En France, la crise des « gilets jaunes » et les débats suscités dans la société civile ont conduit le Président de la République a engager une grande consultation nationale. Et l’on n’imagine pas que le climat puisse durablement s’apaiser sans quelques mesures d’ampleur, dépassant sans doute ce que l’exécutif souhaiterait concéder spontanément. De manière similaire, les abus sexuels sur mineurs ont amené le pape François a publier, le 20 août 2018, une Lettre au peuple de Dieu qui avait des accents de mobilisation générale. C’est cette « feuille de route » qui s’impose désormais à tous les épiscopats. Elle suggère la mise en œuvre d’une tolérance zéro concernant les abus sexuels, spirituels et de pouvoir dans l’Eglise, mais également – car tout est lié – de revoir des modes de fonctionnement et de gouvernance associant plus largement les laïcs. En France ce chantier, dont l’urgence apparaît à chacun – sauf semble-il encore à quelques excellences – ne fera pas l’économie d’une vaste consultation des prêtres, diacres, religieux et laïcs, hommes et femmes, tous ébranlés par les événements récents. Consultation qui devra bien déboucher sur des décisions. C’est le dossier brûlant, pour ne pas dire explosif, dont héritent aujourd’hui Mgr Eric de Moulins-Beaufort et la nouvelle équipe dirigeante de la Cef. 

La génération Jean-Paul II et Benoît XVI… pour mettre en œuvre la ligne François

Le paradoxe est donc de voir accéder aux commandes de l’Eglise de France une relève de jeunes évêques dont la loyauté à l’égard du pape François n’est pas ici en cause, mais qui appartient de fait, comme une partie de leur clergé, à une génération fortement marquée par les personnalités et la pensée de Jean-Paul II et Benoît XVI. Deux pontificats dont la caractéristique essentielle n’a pas été de remettre en cause une certaine vision cléricale de l’Eglise. Et cela, au moment même où le pape François désigne là, précisément, l’une des sources des maux dont elle souffre. Une analyse qui rencontre l’assentiment de nombre de baptisés. 

On connaît la phrase célèbre de Giuseppe Tomasi de Lampedusa dans Le Guépard, somptueusement mis en scène par Luchino Visconti : « Il faut que tout change pour que rien ne change. » Mgr Eric de Moulins-Beaufort sera-t-il l’homme des changements salvateurs ? Nul ne possède la réponse. D’autant que, nouveau président ou pas, le statut des conférences épiscopales demeure, lui, en l’état, quel que soit le désir du pape François de le faire évoluer. Le nouveau Président, si brillant intellectuel et théologien qu’il soit, si aguerri – comme évêque-auxiliaire de Paris et depuis peu archevêque de Reims – à la gouvernance d’un diocèse, mais ne disposant d’aucun pouvoir réel sur ses pairs, devra donc se montrer déterminé, imaginatif et convaincant pour les entrainer sur les chemins de la réforme. Sauf à prendre le risque d’un “Cathexit“ de la part de certains fidèles… exaspérés !

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(1) Il sera assisté de deux vice-présidents, également « jeunes » quinquagénaires : Mgr Dominique Blanchet, évêque de Belfort-Montbéliard (à droite sur la photo), et Mgr Olivier Leborgne, évêque d’Amiens (à gauche) .

9 comments

  • Ses premiers diqcours denotent uneorthodoxie toute clericale. Nous savons grave a lui par exemple que les femmes sont faites pour porter des enfants. La conséquence évidente pour lui, c est que elles ne seront jamais pretres. En quoi est ce une evidence, on ne sait pas. Par ailleurs Il nie la culture du secret. Ce n est pas vraiment novateur ni encourageant .

  • Oui un sacré defi puique Moulins Beaufort ne dispose pas , contrairement au prince Salina , d’un atout aussi puissant que l’est le personnage d’Angelica .Il lui faudra faire sans , ce qui rend sa tâche très difficile . Je crains pour lui que la Cef ne finisse comme les soeurs vieillissantes de Salina ;perclues de dévotion dans un palais ou toute trace de vie a disparu , leurs luxueux atours démodés mangés aux mites .
    Mais comme le magistère de« l’experte en humanité » est propriétaire de la vérité , c’est mon hypothèse qui est vraisemblablement fausse .

    • Comme je te reconnais bien là, Mgr de Moulin Beaufort est à peine arrivé que tu prédis déjà son échec inéluctable bien sûr …

      • A Dominique , Non pas son échec ,son absence de marge de manoeuvre pour faire évoluer l’ église a la hauteur des enjeux . Son mandat oscillera entre une impuissance impossible à assumer et un langage impossible a concrétiser . Une seule inconnue , ce sale boulot , le fera t il salement ou a peu près proprement ? En toutes hypothèses cela n’a aucune importance car comme le rappelle justement Michel chaque évêque obéit directement au pape. La CEF n’étant au mieux que la mise en évidence d’un plus petit dénominateur commun , au pire un organe d’autocontrôle collectif pour tuer dans l’oeuf toute initative trop innovante .Les plus identitaires de nos évêques l’ont parfaitement compris ils se font toujours remarquer par leur silence assourdissant lors des assemblées plénières . Un bon indicateur du poids réel de cette conférence sur les positions de l’ église .

        • Un parallèle me semble possible entre la Cef et l’Onu dont le secrétaire général ne peut guère que mettre en œuvre les politiques qui font consensus au niveau des Etats souverains, comme ici au niveau des évêques également souverains.

  • Il me semble que, dans le contexte actuel, il n’y a pas d’hommes providentiels, ni là, ni ailleurs. La situation dans l’Eglise comme dans la société est plus lourde d’impasses que de chemins nouveaux. Pour ma part, je souhaite que notre Eglise catholique parle moins, puisqu’elle n’est plus audible et je ne suis pas sûr que EMB sache s’imposer cette cure de silence. Ce sont plutôt sur « les obscurs les sans grades » que je compte pour avoir des initiatives sensées, des paroles rares mais fortes, en ces temps difficiles. En somme je compte sur quelques prophètes et quelques mystiques qui, sans briller au firmament médiatique, sauront impulser des comportements tout simplement évangéliques. Comme je l’ai lu sous une plume plus savante que la mienne, c’est peut être plus la méconnaissance de l’Evangile qui est la cause du marasme actuel que le cléricalisme, cléricalisme qui existe aussi chez des laïcs, hommes ou femmes.

  • Montrons-nous positifs et constructifs. Une nouvelle génération d’évêques prend les commandes de la CEF, prions pour eux et réjouissons-nous. Méfions-nous du cancer du doute ! Attelons-nous, nous les laïcs, à la tâche avec les prêtres de nos paroisses et mouvements. Notre monde a soif de sens. Les deux journées que James Mallon vient de passer à Paris avec 800 personnes dont 150 prêtres montrent que l’Espérance est vive dans l’Eglise de France !

    • Ce n’est pas douter que de penser qu’il faut aujourd’hui plus qu’un nouveau président de la CEF et plus que toutes les bonnes initiatives qui se vivent dans la plupart des diocèses pour éradiquer le mal qui gangrène l’Eglise au niveau universel

  • L’élection d’un nouveau président de la Conférence des Evêques de France de cette qualité est assurément une bonne nouvelle, mais ne perdons pas de vue qu’il ne s’agit pas d’un « pape » de l’Eglise de France, qu’il n’est en rien le supérieur des autres évêques, mais qu’il s’agit seulement d’un rôle de coordination entre les évêques, et aussi un rôle médiatique non négligeable.
    Mais, cela dit, Mgr Eric de Moulins-Beaufort, comme tous ses confères, est d’abord l’évêque d’un lieu comme successeur des apôtres, en l’occurrence pour ce qui le concerne, archevêque de Reims.

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