«Poutinisation…» exégèse d’un titre

«Poutinisation…» exégèse d’un titre

Etait-il excessif, voire scandaleux, de titrer un article récent de ce blogue sur la « poutinisation de la Manif pour tous » ? Voilà ce à quoi j’entends répondre ici, sans esprit polémique. 

Manif pour tous : Russie

L’article de ce blogue consacré à la visite à Moscou d’une délégation française de six personnes «proches» de la direction de la Manif pour tous n’est pas passé inaperçu. Tel n’était pas son objet ! Repris sur le site rue89, il a suscité une demande de «droit de réponse» de la part de Ludovine de la Rochère, présidente de la Manif pour tous, auquel j’ai apporté mon propre commentaire. Le 3 avril, le site la-croix.com se faisait, de son côté, l’écho des vives réactions à ce voyage de la part de responsables des milieux catholiques et orthodoxes Français.

 

Il est vrai que le titre de mon article : «La manif pour tous en voie de poutinisation» a été quelque peu radicalisé sur rue89, devenant  : «Reçue à Moscou, la Manif pour tous en voie de poutinisation.» La Présidente de LMPT a fait valoir, dans son droit de réponse, qu’elle n’avait pas bougé de Paris et que la délégation à laquelle mon article faisait référence n’était aucunement mandatée par son mouvement. Dont acte ! Mais cela n’enlève rien, pour ce qui me concerne, à l’analyse que j’ai développée et qui justifiait pleinement mon titre. Ce dont je voudrais m’expliquer ici puisque certains m’ont posé la question et que ce n’est pas en trois lignes, sur FaceBook ou en simple commentaire sur les réseaux sociaux que je pouvais leur répondre.

 

Un amalgame issu d’une certaine propagande russe

 

Si la délégation qui s’est rendue à Moscou du 31 mars au 4 avril n’était pas à proprement parler mandatée par LMPT, il me semble difficile d’en contester la proximité et c’est un euphémisme ! Il est de notoriété publique : que Mgr Aillet fait partie des très rares évêques Français qui ont appelé à la mobilisation et arpenté le pavé parisien lors de chaque manifestation, que Famille Chrétienne soutient le mouvement sans aucune réserve, et que la Fondation Lejeune aussi bien qu’Alliance Vita sont des pilliers de l’organisation. (1) Ce qui, au demeurant, pour les uns comme pour les autres, est leur droit le plus strict.

 

Mais il suffit de se reporter au premier et au second documents cités dans mon article pour constater que l’amalgame : LMPT-Poutine n’est pas de mon fait mais bien induit par une certaine propagande russe dont la délégation s’est volontairement ou non, fait le complice. Lorsqu’on lit : «Près de 500 000 personnes ont manifesté dimanche dernier à Paris (…) Cet événement a une signification particulière pour la Russie : certains manifestants sont sortis dans la rue avec des drapeaux russes et des portraits de Vladimir Poutine (…) Des millions d’européens voient aujourd’hui la Russie et son dirigeant comme l’unique protecteur des valeur fondamentales pluriséculaires…» qui fait l’amalgame ?

 

Sur la question homosexuelle il y a bien convergence entre Poutine et LMPT

 

Je constate simplement qu’avant la publication de mon article, la direction de LMPT n’a pas jugé utile de prendre, par précaution, ses distances avec la démarche de « militants » aussi connus, et que les membres de la délégation ont, quant à eux, évité de préciser que leur déplacement était à titre personnel… alors même que la «puissance invitante» laissait publiquement entendre un autre son de cloche.

 

On pourra toujours m’objecter que les membres de la délégation ne partagent pas pour autant les idées du président Russe. Voire ! Tout dépend de ce dont on parle. Vladimir Poutine refuse que la société civile russe reconnaisse, par la loi, la légitimité de l’homosexualité et à plus forte raison de l’union homosexuelle considérées comme contre-nature. Que l’on me pardonne mais que disent d’autre, dans leurs prises de position, ici ou là, les membres de notre délégation ? Et le refus de reconnaître au pouvoir civil, dans notre pays, le droit d’instituer le couple homosexuel, ne serait-ce qu’au travers d’un simple contrat d’union civile, n’est-il pas la position intangible de LMPT ?

 

Sur la question homosexuelle, il y a donc bien convergence objective entre la vision de Vladimir Poutine, soutenant en cela l’Eglise orthodoxe russe, et ce qu’à ce jour, en France, entend promouvoir la direction de LMPT…

 

La direction de LMPT ne représente plus que l’une des branches issues du mouvement initial

 

Que l’on me comprenne bien. Si cette position n’est pas la mienne, je reconnais qu’elle ne contrevient pas à la liberté d’opinion reconnue et garantie dans une société démocratique. Sauf qu’elle exige aujourd’hui une double clarification :

 

Première clarification, LMPT ne peut plus prétendre représenter toutes celles et ceux qui, jusqu’au 26 mai 2014, sont descendus dans les rues de la capitale. Pour la simple raison que ce qui a fait, au départ, l’unité du mouvement était moins le refus de l’institutionnalisation du «couple homosexuel» en tant que tel que celui de la filiation ouverte par l’accès au mariage. On voit bien que deux branches sont issues, au vote de la loi, de ce combat initial commun : l’une qui en demande l’abrogation pure et simple et entend donc revenir aussi sur ses dispositions strictement «conjugales» (LMPT de Ludovine de la Rochère), l’autre qui entend simplement faire évoluer la loi vers un contrat d’union civile préservant les droits (hors filiation) du couple homosexuel (LAVT de Frigide Barjot). (2)

 

Voilà pour les faits ! Mon analyse personnelle est qu’un nombre grandissant de Français, même parmi les manifestants de la première heure, se reconnaissent dans le compromis du contrat d’union civile (3), ce qui explique déjà le moindre impact populaire de la manifestation du 2 février. LMPT a sans doute consolidé son appareil militant dans le même temps où les citoyens commençaient à se détourner. Il reste un noyau dur, non négligeable, de militants motivés, autour duquel se pérennise le mouvement. Je me sens donc autorisé à évoquer, comme je l’ai fait sur mon blogue, un durcissement idéologique, que chacun peut observer, et une droitisation «de fait», puisque les «libéraux» dont je suis, et bien d’autres avec moi, s’en sont allés !

 

Les divisions sur le mariage gay illustrent parfaitement la sociologie catholique

 

Deuxième clarification, il est urgent que la Conférence des évêques de France reprenne position, clairement, sur cette question. Il est clair que dans un premier temps, avant le vote de la loi, la Cef tant par la voix de son président, le cardinal André Vingt-Trois appelant à la prière du 15 août 2012, que par le texte du Conseil famille et société, s’est clairement prononcé contre la Loi Taubira. Une fois la loi votée, les évêques se sont trouvés devant le même questionnement que les simples fidèles : quelle attitude prendre ? La présence de quelques-uns d’entre eux dans les différents défilés ultérieurs de LMPT a pu être interprétée comme une prise de position de l’Eglise de France.

 

Impression renforcée, début 2014, lorsque le cardinal Barbarin justifie dans la Croix sa participation à la manifestation du 2 février, à l’heure où LAVT préfère s’engager, de son côté, sur un «Manifeste pour la paix civile». En écrivant qu’entre les «jusqu’au-boutistes» (Jour de colère) et les «à-quoi-bonistes» (ceux qui ont abandonné la lutte) il n’y a d’autre attitude réellement compatible avec l’Evangile que de continuer à protester dans la rue… le cardinal-archevêque de Lyon « choisit son camp » parmi les deux «branches» issues de LMPT. Lorsque, une semaine plus tard, Mgr Hippolyte Simon explique, lui, toujours dans la Croix, pourquoi «il n’ira pas manifester» il semble rétablir une forme d’équilibre… intra-ecclésial, même tardif.

 

Voilà pour les faits ! Mon analyse est que l’Eglise de France se trouve aujourd’hui, sur cette question, face à des fidèles divisés à l’extrême, au sein de communautés elles-même d’autant plus écartelées que souvent le dialogue a été impossible. Pour certains catholiques, la loi Taubira ne fait aucune difficulté (4), et ils se sont sentis, pendant des mois et jusqu’à ce jour, marginalisés dans leur Eglise pour ne pas dire pestiférés ; pour d’autres, seule l’ouverture à la filiation pose réellement question, pas le couple homosexuel, et ils ont le sentiment que l’institution préfère les ignorer ; enfin, pour une dernière sensibilité, c’est à la fois l’institutionnalisation du couple homosexuel (5) et son ouverture à la filiation qui sont irrecevables. (6) Or, c’est bien là, il faut le reconnaître, la position officielle du Magistère romain. D’où la prétention des intéressés d’être, et eux-seuls, les «vrais catholiques». Et le sentiment de l’opinion publique que d’une manière explicite pour certains évêques, ou au travers d’un silence prudent pour les autres, c’est bien-là, de fait, la position officielle de l’épiscopat. (7)

 

L’épiscopat doit dire clairement, sur cette question, s’il existe une forme de salut «hors LMPT»

 

Un épiscopat aujourd’hui incapable de trancher vraiment entre la légitimité reconnue aux laïcs d’agir librement «en chrétiens» dans une société sécularisée et la «lettre» d’un Magistère qui, malgré tout, semble donner sa préférence à une attitude «intransigeante» de refus de tout compromis, sur ces questions «non-négociables»… Ce qui équivaut finalement, malgré tous les discours, à prétendre imposer la logique du Magistère de l’Eglise catholique dans la législation française. Comme en Russie Poutine entend faire prévaloir dans la vie sociale la positon officielle de l’Eglise Orthodoxe. CQFD. La boucle est bouclée !

 

Sauf qu’aujourd’hui le pape François, sans rien renier de la doctrine, semble appeler à d’autres priorités et à d’autres combats, comme celui de «prendre soin les uns des autres» développé le jour-même de l’inauguration de son pontificat. Un «prendre soin» contesté par certains comme l’illustre tristement la récente affaire Fabienne Brugère. (8) Et m’accusera-t-on encore d’amalgame si je crois discerner quelque proximité entre ces objecteurs et tels représentants de la «délégation» à Moscou ?

 

Il est probable que les citoyens de ce pays seront confrontés, dans les mois et les années à venir, à d’autres évolutions de société qui se traduiront par autant de projets ou propositions de lois nouvelles, discutés au sein des deux Chambres du Parlement. Les catholiques peuvent-ils rester durablement : dans ce refus de tout débat interne ; dans cette non-clarification laissant entendre que LMPT serait désormais la voix des catholiques dans ces débats de société (9) ; dans le renvoi de chaque fidèle à la simple «ligne» de son évêque, alors même qu’elle peut se révéler différente de celle du diocèse voisin ? C’est l’ensemble de ces questions qui me semblent aujourd’hui posées et que j’ai voulu, une nouvelle fois, formuler dans cet article, sans autre motivation que de contribuer, sans langue de buis, à servir mon Eglise.

 

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  1. Soulignons ici, tout de même, que figurent dans la délégation le secrétaire général de la Fondation Jérôme Lejeune : Thierry de la Villejégu qui, dans la vie professionnelle, est le supérieur hiérarchique de Ludovine de la Rochère ; de même la secrétaire générale d’Alliance Vita, Caroline Roux, a exercé des responsabilités importantes dans LMPT dont Tugdual Derville, lui-même délégué général d’Alliance Vita, est l’un des porte parole…
  2. Ces deux « lignes » sont parfaitement illustrées dans le débat du Figaro Magazine entre Frigide Barjot et la philosophe Chantal Delsol.
  3. Rappelons que c’était la préconisation de l’Union nationale des associations familiales (Unaf) qui aurait sans doute fait consensus dans le pays et nous aurait évité une «guerre civile idéologique» si le gouvernement avait eu la sagesse de la proposer au parlement plutôt que le mariage pour tous.
  4. Parmi les pro-mariage pour tous, un certain nombre se déclarent néanmoins hostiles à toute idée de PMA-GPA pour les couples de même sexe.
  5. Le fait même que certains responsables d’Eglise refusent le mot « couple » à propos des homosexuels, prétextant qu’il faut parler de « paire » ou de « duo » puisqu’il s’agit de personnes de même sexe en dit long sur les blocages relatifs aux notions d’altérité et de fécondité.
  6. Nous avons là, au-delà du seul débat sur le mariage pour tous, les structures permanentes de la sociologie des catholiques en France, même grossièrement esquissée.
  7. Alors même, comme l’explicite Frigide Barjot dans son livre : Qui suis-je pour juger ? (Salvator) et comme je le reprends dans un article récent de mon blogue, que les évêques sont aujourd’hui en droit de soutenir ouvertement des fidèles réclamant l’institution d’un contrat d’union civile, perçu par le Magistère de l’Eglise comme un «moindre mal» par rapport au mariage gay.
  8. Son intervention devant les délégués diocésains à la pastorale familiale sur le thème : «la dimension sociale du soin de l’autre» a été annulée sur pression du site intégriste proche de l’extrême droite : le Salon Beige.
  9. Une « voix » d’autant plus problématique qu’à travers son Grenelle de la famille, LMPT a élargir son combat à des thèmes comme la pression fiscale où l’on voit mal comment elle pourrait engager le Magistère.

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

3 comments

  • Merci de ces explications très claires, et qui permettent bien de comprendre les enjeux.
    Pour ma part, j’ai été gênée par autre chose aussi: la politisation des deux mouvements: LMPT comme LAVT.
    Par réaction contre le refus de dialoguer et de composer du pouvoir en place, les uns ou les autres étaient en droit de se dire: il nous reste notre bulletin de vote. Cela, je le comprends. Mais je refuse d’admettre que la question du mariage pour tous résume à elle seule tous les problèmes politiques. Que LMPT indique le nom des candidats aux municipales qui l’ont soutenue, évidemment c’est son droit, mais se soucie-t-elle aussi de ceux qui ont agi pour plus de justice sociale, qui ont tenté de lutter contre la domination de la finance, etc? Et quand LAVT invite à soutenir NKM contre Anne Hidalgo, je trouve qu’elle sort tout à fait de son rôle et cela me déplaît profondément. Il me semble en outre que la fidélité à l’Evangile interdit à l’Eglise de s’enfermer dans des choix partisans, de droite comme de gauche. Après cela, à chaque citoyen de choisir en conscience qui soutenir, ou éventuellement à quel parti adhérer, mais sans absolutiser son choix ni prétendre en faire le seul choix possible pour un chrétien.

  • Et je le redis : pourquoi la fondation Lejeune a t-elle fait irruption avec huissiers en Janvier 2014 dans les Assises médicales de génétique en France non pas pour défendre une éthique mais pour empêcher que soient redits et honorés les travaux d’une femme qui avaient abouti à la découverte du chromosome surnuméraire 21 ( ce qui fut fait d’ailleurs à l’abri de toute pression)? pour éviter que soit remis au grand jour les actes peu glorieux du jeune Jérôme Lejeune.
    Comment qualifier une telle pression ?
    Comment ne peut-on y voir une peur de la vérité car c’est un mythe qui s’effondrerait dans le grand public… et une certaine auréole…
    Comment accepter les mots de Madame Boutin sur l’homosexualité ? (une « abomination » !)
    Pouvoir, mensonges, pression , argent… tout cela n’est plus bien vu au Vatican !
    N’oublions pas ce que la peur du communisme a pu empêcher que s’ouvrent les yeux d’un Pape sur le scandale du Père Maciel …

    Merci à René de dire ouvertement une réalité d’un catholicisme peu catholique manipulé par des extrémismes.

    Que la sagesse et la tolérance l’emportent dans notre monde !

  • Merci René pour cette analyse on ne peut plus claire. Il semble plus que souhaitable, en effet, que le même souci de clarification anime la Conférence des évêques de France.

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