Retraite à 60 ans : double poker menteur !

Une fois n’est pas coutume, je vais donner raison à Nicolas Sarkozy : la retraite à 60 ans fut une erreur. Mais nous expliquer que la supprimer était nécessaire au redressement de nos régimes de retraite est une forme d’imposture !

 

Voilà bien un sujet qui concerne directement ou indirectement un maximum de personnes dans notre pays et sur lequel le flou des esprits atteint son paroxysme. Le moins qu’on puisse dire étant que les candidats eux-mêmes ou leurs contradicteurs, ne cherchent guère – ou pour le moins ne parviennent pas – à éclairer les citoyens.  La retraite à 60 ans : erreur dramatique ou réel progrès social ?

Lorsque, par ordonnances, la gauche instaure la retraite à 60 ans, en 1983, nul doute que cette mesure représente un réel progrès social. En faire une lecture exclusivement critique, trente ans plus tard, au nom de l’équilibre des régimes de retraite, est un anachronisme. Ce n’est qu’à la fin de la décennie quatre-vingt, à la faveur du dépouillement du recensement de 1989, que l’on a pris réellement conscience de l’ampleur du problème du financement des retraites.

Certes, il était inscrit dans les courbes démographiques, du fait de la chute de la natalité, que le rapport actif/inactif allait se dégrader. Mais ce que révélait pour la première fois le recensement, et que commentent les études de l’Insee, est la formidable augmentation de l’espérance de vie aux âges avancés que nul n’avait pressentie et qui allait, à terme, se traduire par un allongement généralisé de la durée de vie à la retraite. C’est ainsi que Michel Rocard fut le premier, dès 1991, à publier un «livre blanc sur les retraites» avec ce commentaire devenu célèbre qu’il y avait dans ce dossier «de quoi faire sauter cinq ou six gouvernements».

 

Le paradoxe d’un «âge couperet» comme réponse à une situation évolutive.

 

Alors me dira-t-on sur quoi fonder l’idée que, déjà en 1983, la retraite à 60 ans était une erreur ? Sur le fait qu’elle pérennisait – certes en l’avançant de cinq ans – le principe d’un «âge couperet», identique pour tous, quels que soient l’âge d’entrée dans la vie active ou la pénibilité du travail effectué, alors même que l’on commençait à percevoir l’inégalité devant la retraite des différents groupes sociaux et la nécessité d’adapter à l’avenir, les parcours professionnels, aux données évolutives de la démographie et de la conjoncture économique.

C’est ainsi que l’on est passé, dans le régime général des salariés, de 120 trimestres de cotisation pris en compte, à 150 trimestres (37 ans 1/2) puis à 160 (40 années) avant de décider, dans le cadre de la loi Fillon de 2003, que désormais tout gain en espérance de vie, au-delà de soixante ans, devrait se répartir aux deux-tiers en allongement de la durée de vie au travail et pour un tiers seulement en allongement du temps de retraite. Si l’on retient les projections de l’Insee les plus récentes, l’espérance de vie à 60 ans escomptée d’ici à 2050 devrait se traduire, à cette échéance, par un allongement à 43,5 ans de la durée de cotisations contre 41,5 ans à l’horizon 2018. Ainsi, en moins d’un siècle, aura-t-on augmenté de 13,5 ans la durée de cotisations, pour prendre en compte le financement de retraites devenues plus longues donc plus chères.

Quel que soit l’âge légal, 60 ou 62 ans, la plupart des salariés ne pourront sans doute partir qu’au-delà…

Et cela sans que l’âge légal (65 puis 60 ou demain 62) vienne changer quoi que ce soit ! Prenez un étudiant qui entre dans la vie active à 22 ans (1). Que l’âge légal de la retraite soit à 60 ans comme hier, ou à 62 comme demain lui importe peu. De toute façon il devra cotiser peu ou prou autour de 41 années ce qui, de toute manière, le renvoi à… 63 ans ! A supposer qu’il ait une carrière complète ! Démonstration  par l’absurde, que le report à 62 ans de l’âge du départ en retraite, présenté comme une mesure courageuse, ne change strictement rien à sa situation.

Oui, l’allongement de l’espérance de vie rend légitime l’augmentation de la durée de cotisation ce qui, nous l’avons vu, était déjà acté, dans son principe, depuis 3003. Ce qu’admettent d’ailleurs pour une large part les organisations syndicales. Mais une bonne gestion des régimes de retraite n’obligeait nullement, contrairement à ce qui nous est seriné matin, midi et soir, à un report de l’âge de la retraite. Si nombre de pays européens ont fixé l’âge de la retraite à 65 ans voire plus c’est tout simplement parce que, chez eux, n’existe pas une exigence de durée de cotisations comme chez nous.

Revenir sur la retraite à 60 ans : une décision rentable, mais injuste.

Mais alors me direz-vous, pourquoi le gouvernement a-t-il choisi de revenir sur la retraite à 60 ans si cette mesure est, pour une part, sans effet ? Sans doute, cela lui permet-il, sans déplaisir, de stigmatiser, au nom du sens des responsabilités et de la saine gestion, une mesure symbole de la gauche au pouvoir. Mais surtout parce jouer sur le seul allongement progressif de la durée de cotisations, aurait eu pour effet d’étaler dans le temps les rentrées de fonds escomptés, sans effet massif immédiat.

Reculer de deux ans le couperet d’un âge légal permet de différer immédiatement des centaines de milliers de départs en retraite. Avec un double effet cumulatif : continuer à encaisser des cotisations et n’avoir pas à servir de pensions. Et cela, forcément au détriment de ceux qui avaient acquis leurs trimestres règlementaires et devront néanmoins attendre le âge légal. C’est à dire les classes populaires. Parce que, pour le coup, un jeune ouvrier qui démarre à 18 ans dans la vie active devra, lui, pour atteindre l’âge légal de 62 ans, cotiser 44 ans, donc bien au-delà de la durée normale. Ajoutez à cela que l‘espérance de vie de vie d’un ouvrier est de cinq à sept ans inférieure à celle d’un cadre supérieur.  Alors, certes, reporter l’âge légal à 62 ans est rentable… mais injuste.

La bonne réforme : supprimer toute référence à un âge légal.

 

Le même objectif d’équilibre des régimes de retraite aurait pu être obtenu par le seul jeu de la durée de cotisations. Prétendre que la suppression de la retraite à 60 ans était une décision nécessaire, courageuse, de sauvegarde du système, est une imposture !

Revenir, comme le proposent les socialistes, à un âge légal de 60 ans, supprimerait l’injustice. Mais n’empêcherait pas que demain, comme nous l’avons vu, la plupart des salariés devront cotiser jusqu’à 63 ans ou plus pour bénéficier d’une retraite au taux plein. La «bonne réforme» serait de faire sauter ce verrou de l’âge, d’un «autre âge» et de s’en tenir à la seule évolution de la durée des cotisations (2). Vous l’avez compris ce débat, devenu purement idéologique, sur la retraite à 60 ans tient, pour une large part, d’un double poker menteur !

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  1. Selon une étude récente de l’Insee sur le premier emploi des jeunes : «L’entrée dans la vie active est plus tardive en Ile-de-France : le premier emploi débute en moyenne à 23,2 ans contre 22,6 ans en province.»
  2. D’autres pistes existent, bien sûr, en termes de diversification des ressources, mais c‘est là un autre débat. Ici j’ai souhaité me cantonner à la «polémique» nourrie autour de la notion d’âge légal.

 

 

 

4 comments

  • Clair? Evidemment, comme d’habitude! Tu touches au problème de culture sociale de notre pays: plutôt que de discuter clairement des éléments d’un dossier, de l’aborder dans la négociation, on s’affronte de manière, d’abord, idéologique. C’est à une révolution du paritarisme que tu appelles et je ne pense pas que nous y arriverons à coup de referendums!

  • Monsieur,
    il me semble que le « taux plein » est également sujet à caution. En effet on peut considérer qu’un retraité n’a nul besoin d’avoir un taux plein pour profiter pleinement de sa retraite. J’ai 57 ans et j’ai décidé de me passer de ce taux plein. Tout simplement parce que je n’en ai pas besoin. Car contrairement aux idées reçues, le taux plein de retraite n’est pas vital pour une bonne frange de la population qui préfèrera sans doute le perdre et se rabattre sur ses propres placements. Sachant enfin qu’à 62 ans les besoins sont sensiblement réduits (maison payée, enfants élevés…) je trouve que relever la retraite est une manière d’inciter paradoxalement les gens à la prendre plus tôt et à taux moindre !
    Cordialement
    Jacques

  • @Jacques Pétrus. On peut faire cette analyse. Mais je crains (je n’ai pas eu le temps de vérifier les chiffres) que le type de situation que vous décrivez ne soit le fait que d’une minorité privilégiée qui a les moyens de se faire par ailleurs des placements. Donc sur le plan technique pas d’objection, sauf que le nombre de personnes concernées me semble minime.

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