Si Jésus m’était conté…

Si Jésus m’était conté…

Je suis toujours étonné de trouver en librairie un nouveau livre sur Jésus. Avec toujours une même pensée : mais que peut-on dire de plus, sur lui, que ce qui a déjà été écrit maintes et maintes fois ? 

 

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Il m’arrive pourtant de craquer… et à chaque fois – ou presque – je referme le livre avec reconnaissance et émotion, pour m’en tenir à ce registre… pudique (1) Je pense à ces enfants, dont j’ai été, qui adorent écouter, encore et encore, une histoire qu’ils connaissent pourtant par cœur mais qu’ils aiment parce que, par-delà les péripéties parfois dramatiques, elle se termine bien. Or l’histoire de Jésus se termine bien. Ou plutôt non, elle se poursuit et c’est pour ça qu’elle est formidable car, comme dans les «livres dont vous êtes le héros», elle permet à chacun, pour peu qu’il en ait le désir, de se trouver un rôle à sa mesure dans «la bande à Jésus», afin de prolonger l’écriture des Actes des apôtres. Mais je m’égare !

 

Du « Jésus historique » au « Christ de la foi »

Christine Pedotti ne m’en voudra pas trop de ne parler qu’aujourd’hui, veille de Noël, de son livre (2) qui reste une bonne idée de cadeau. On connaît sa culture théologique et ses talents de narratrice. Ses emportements aussi !  Qui pourraient ici ou là nourrir la suspicion. Chacun sait la difficulté à vouloir distinguer le «Jésus historique», du «Christ de la foi». Et chacun sait aussi combien les Evangiles sont tout sauf le récit d’un journaliste qui aurait eu le privilège d’approcher celui dont l’existence historique n’est plus guère contestée par personne. Nul ne songe à faire reproche à Matthieu, Marc, Luc et Jean d’avoir fait œuvre de croyants en nous proposant autant de lectures post-pascales à destination de publics bien différenciés, c’est-à-dire écrites à la lumière de leur foi en la résurrection du Christ. Mais cela ne saurait nous dissuader de chercher à mieux saisir qui était «Jésus en son humanité» ne serait-ce que pour mieux comprendre l’éclairage théologique propre à chaque évangéliste. Ou les lectures, ici ou là singulières, qu’ont pu en faire ultérieurement les Eglises (catholique, orthodoxe, réformée…) C’est, depuis toujours, le travail des exégètes.

 

Le «Jésus» de Christine Pedotti, après bien d’autres, entend se nourrir de ces travaux, toujours à poursuivre. Il y aura encore des lecteurs pour se chagriner qu’on puisse faire naître le fils de Marie et Joseph cinq ans avant notre ère, ailleurs qu’à Bethléem, qu’on évoque avec insistance l’existence de frères et de sœurs… ce sur quoi semblent s’accorder les chercheurs. Et aussi que certaines paroles comme celles de son agonie au Jardin des oliviers soient une «création littéraire» ultérieure – même vraisemblable -, puisqu’elles n’eurent pas de témoin susceptible de les rapporter, les évangiles eux-mêmes insistant sur le fait qu’en cet instant  ses disciples «dormaient» ; ou encore que le «tu es Pierre et sur cette pierre je bâtirai mon Eglise» fut probablement un ajout tardif, le terme même d’Eglise n’étant jamais utilisé ailleurs dans les évangiles… Et l’on pourrait multiplier les exemples. En revanche, souligne l’auteure, la foi des premières communautés chrétiennes en la naissance virginale de Jésus (pas en la virginité perpétuelle de Marie) et en sa divinité est très tôt attestée. C’est assez dire que le propos de l’ouvrage n’est pas «d’isoler» l’homme Jésus, de le séparer de sa mission divine telle qu’on peut la décrypter au travers des récits évangéliques.

 

Pour une lecture « historique » … dans la foi ! 

Je ne suis moi-même ni théologien ni exégète. Que les spécialistes pardonnent mes tâtonnements. Sans doute rejoignent-ils le désir, commun à nombre de croyants aujourd’hui, de chercher le visage de Jésus à travers le témoignage confessant des Evangiles, soucieux néanmoins, selon l’expression lumineuse de Pascal, d’accepter ce qui dépasse la raison, non ce qui pourrait la contredire.

 

Dans l’avant-propos du premier tome de son «Jésus de Nazareth», le cardinal Ratzinger devenu le pape Benoît XVI, dit vouloir dépasser la simple approche historico-critique des Ecritures qui enferme et fige le récit dans le passé. Pour autant, il reconnaît l’apport de l’exégèse moderne dont se nourrit le Jésus de Christine Pedotti : «Elle nous fait accéder à une abondance de matériaux et de connaissances qui présentent la personne de Jésus de façon bien plus vivante et bien plus profonde que nous ne pouvions l’imaginer il y a encore quelques décennies.» (3)

 

Faisant allusion aux auteurs des différents livres des Ecritures – Evangiles compris – il commente : «C’est ici que nous pouvons en quelque sorte avoir une intuition historique de ce que signifie l’inspiration : l’auteur ne parle pas en tant que personne privée, comme un sujet clos sur lui-même. Il parle au sein d’une communauté vivante et, de ce fait, il est porté par un mouvement historique vivant qu’il ne crée pas et qui n’est pas non plus créé par la collectivité, mais dans lequel une force directrice supérieure est à l’œuvre.» (4) Ne peut-on  élargir le champ de cette «intuition historique» en pressentant que nombre d’ouvrages contemporains sur Jésus, écrits par des croyants – dont Benoît XVI lui-même – procèdent de cette même «inspiration», d’une sorte de sensus fidei ?

 

Le creusement du mystère qui entoure l’homme Jésus

Dans les premières pages de son livre, Christine Pedotti revendique avoir écrit là «Un livre de femme», particulièrement attentive à la place que celles-ci ont tenu dans la vie de Jésus… comme à leur marginalisation ultérieure au sein de l’Eglise. Elle note : «Les biographes  le confessent aisément, pour écrire sur quelqu’un, il faut entrer profondément en connivence avec son sujet, avec la personne, en un mot se mettre à l’aimer.» (5) Me pardonnera-t-elle d’écrire ici qu’elle est tombée amoureuse de son personnage et qu’on lui en sait gré. Car elle donne raison à Christian Bobin lorsqu’il écrit : «Il n’y a pas de connaissance en dehors de l’amour. Il n’y a dans l’amour que de l’inconnaissable.» (6) Or, précisément, le travail de l’auteure, sa relecture de récits trop souvent entendus au premier degré, ne débouche sur aucune forme de scepticisme, de distance avec une lecture croyante des Ecritures, mais uniquement sur le creusement du mystère qui entoure l’homme Jésus pour nous l’offrir comme un espace élargi de liberté intérieure.

 

 

PS. La citation que Christine Pedotti fait de l’œuvre romanesque d’Eric Emmanuel Schmitt m’a incité à relire, dans la foulée, son Evangile selon Pilate (7) et l’adaptation bouleversante qu’il en fit pour le théâtre sous le titre Mes évangiles (8). J’aime la liberté de l’auteur, notamment vis-à-vis de la conscience que Jésus pouvait avoir – ou ne pas avoir – de sa filiation divine. Sans aucune prétention exégétique, il sait raconter, à sa manière, brillante, l’expérience humaine et spirituelle que traduisent les propos de Déborah dans le Jésus de Christine Pedotti : «Il (Jésus) vous regardait toujours droit dans les yeux, comme s’il ouvrait votre âme et vous ouvrait la sienne.» (9) Deux mille ans plus tard, c’est là une expérience qui bouleverse encore la vie de millions d’hommes et de femmes.

 

 

  1. Sur une période récente, je pense à la trilogie de Benoît XVI : Jésus de Nazareth, Ed. Flammarion et au magistral Jésus de Jean-Christian Petitfils, Ed. Fayard
  2. Christine Pedotti, Jésus, cet homme inconnu. XO éditions, 350 p., 19,90 €.
  3. Joseph Ratzinger – Benoît XVI, Jésus de Nazareth, Ed. Flammarion, p.18
  4. ibid p.15
  5. Jésus, cet homme inconnu op cit. p.15
  6. Christian Bobin, Une petite robe de fête, Ed. Gallimard, p.104
  7. Eric-Emmanuel Schmitt, L’Evangile selon Pilate, Ed. Albin Michel, 340 p.
  8. Même auteur, Mes évangiles, Ed. Albin Michel, 180 p.
  9. Jésus, cet homme inconnu op cit. p.78

 

 

 

 

 

8 comments

  • joyeux Noel
    oui mais nous savons que jésus nous sauve par l’amour,il faut l’apprendre aux generations suivante
    si on ne sème pas le blé,si on ne sème pas la foi
    que se passera t-il…………..
    la foi disparaîtra….donc les livres,la bible,les saints,les exemples sont la foi

  • joyeux Noël!
    et merci de ce clin d’œil à tous les amoureux du Christ :
    hommes ou femmes
    on ne voit bien qu’avec le cœur
    c’est ce que nous dit l’Evangile!!!
    puisque Jean et Marie de Magdala ont été les premiers témoins car pour eux la séparation était sans doute impensable ………..
    claudine

  • Pour ma part je crois en Jésus-Christ ,vrai Dieu et vrai homme,conçu du Saint Esprit né de la Vierge Marie,mort crucifié pour nous et ressuscité le troisième jour.
    Je n’ai certes pas lu le livre de Madame Pedotti mais l’ai simplement feuilleté et été surpris par la platitude de son discours concernant la Résurrection.
    Qu’elle soit pleine d’admiration pour l’homme Jésus cela ne fait aucun doute,mais n’oublie-t-elle pas que Jésus était simultanément Dieu?
    Bien entendu je me moque tout à fait de savoir qu’il est sans doute né en -5 ,et ne me préoccupe pas de savoir si Marie est restée perpétuellement vierge.Quant aux supposés frères et soeurs de Jésus…BOF…

    • Dominique, je ne vois pas très bien ce que vous entendez par platitude… Dans la mesure où le livre s’attache au « Jésus historique » et que la Résurrection est de l’ordre du « Christ de la foi » la manière d’en parler, par définition, ne peut qu’être événementielle, factuelle, étrangère à toute lecture théologique puisque ce n’est pas là son propos. Cela suffit-il pour que l’on puisse parler de platitude ? Je ne le pense pas ! Simplement on est, volontairement, sur un autre registre !

      • Mais c’est là que, pour moi, réside le problème car si l’on ne s’attache qu’au Jésus Historique il me semble qu’on en arrive alors à gommer l’aspect le plus intéressant du Christ et par conséquent tout le message théologique de l’Evangile autrement dit le principal,non?

  • Il me semble que l’ouvrage de Madame Pedotti ne pourra que satisfaire,et ils sont nombreux,que tout ceux qui ne voient dans Jésus de Nazareth qu’un grand homme et rien de plus.

    • Dominique, une fois encore vous cherchez à vous faire peur. Vous reconnaissez n’avoir pas lu le livre. Au moins pouvez-vous lire ce que j’en écris ! Or je note que la « lecture » de Christine Pedotti, aide selon moi à creuser le mystère de Jésus, ce qui est une approche hautement spirituelle. Je trouve ce livre tout à fait passionnant et l’on ne peut guère m’accuser de ne m’intéresser qu’à la dimension historique de Jésus… Alors !

  • Effectivement.J’essaierai donc d’en lire un peu plus,mais je ne cherche nullement à me faire peur,mais spontanément je crains certains écrits qui me paraissent trop vouloir rationaliser l’Evangile notamment et aboutir ainsi à faire un Dieu à notre mesure

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