Si le concile m’était conté…

Il arrive qu’un livre, à travers le récit d’un événement du passé figé dans le mythe, aiguise notre regard sur le présent, nous obligeant à nous repositionner, personnellement, face à l’avenir. C’est le tour de force de « La bataille du Vatican » de Christine Pedotti, à propos du Concile Vatican II.

L’année 2012 sera marquée – plus précisément le 11 octobre prochain – par le 50e anniversaire de l’ouverture du Concile. Il est probable qu’il servira de prétexte à de nombreuses publications dont voici la première : un épais volume de 574 pages qui se lit pourtant d’une traite.

Christine Pedotti a choisi la forme du récit, pour mieux nous faire revivre, de l’intérieur, un événement dont l’ampleur et la portée historique dépassent très largement la seule Eglise catholique. De l’annonce de la convocation du concile par Jean XXIII, le 25 janvier 1959, à sa clôture par Paul VI, le 8 décembre 1965, elle nous fait revivre chacun des temps forts qui marquèrent ces six années : débats, crises, découragements, avancées, compromis… Et cela, à chaque fois, à travers le regard de l’un des principaux acteurs ou témoins du Concile, qu’il s’agisse des papes, de membres de la Curie, d’évêques et cardinaux, de théologiens voire même des journalistes Français venus couvrir l’événement.

C’est dire que l’auteur a puisé aux meilleures sources, signalées en fin d’ouvrage : documents du concile, travaux d’historiens, chroniques et journaux contemporains de l’événement, mémoires… Le résultat est une totale réussite. Et l’on sait gré à l’auteur, dont on connaît l’engagement militant, du respect scrupuleux de la vérité, telle qu’elle ressort des documents aujourd’hui disponibles. De sorte que l’on se sent dès les premières pages «immergé» dans l’histoire du Concile, témoin des craintes et des espérances nourries dans l’un et l’autre camp.

Car il y eut bien deux camps, ce qui justifie amplement le titre de l’ouvrage : «la bataille du Vatican». Cette découverte rompt avec la lecture un peu «irénique» de Vatican II, qui s’est répandue dans l’Eglise catholique, dès la fin du Concile : celle d’une assemblée d’évêques venus du monde entiers, visitée par l’Esprit Saint. Et, de fait, le vote de promulgation des seize textes conciliaires avait recueilli des taux d’acquiescement «placet» oscillant entre 92% et 99% .

Pourtant, le malentendu avait été total, dès le départ, entre la Curie qui entendait que Vatican II vienne conforter, compléter, achever le Concile Vatican I, interrompu en 1870 pour fait de guerre, dans sa condamnation de la modernité, son renforcement de l’autorité pontificale, sa réaffirmation de la puissance de l’Eglise, son «combat de la foi»… et l’intention de Jean XXIII d’ouvrir l’Eglise au monde, d’élargir le dialogue aux autres Eglises ou traditions religieuses, de «faire entrer un courant d’air frais» dans une institution presque bi-millénaire. Bref, de faire sortir l’Eglise «hors-les-murs». On relit, non sans frémir, le discours d’ouverture du Concile où Jean XXIII insiste sur la nécessité de distinguer «le dépôt de la foi, et la manière de le dire…».

Le livre de Christine Pedotti, nous fait revivre, comme si nous y étions, le pré-concile où le cardinal Ottaviani, après avoir supervisé les textes préparatoires et verrouillé la liste des membres des commissions qui allaient devoir en débattre, pensait qu’en huit semaines, la chose serait réglée. Elle dura quatre ans ! Entre temps les «Pères» avaient affirmé leur autorité et pris la main sur l’ordonnancement des débats.

Au fil des pages, nous voyons se nourrir : le débat autour des sources de la Révélation : Ecritures seules (position des protestants) ou Ecritures et Tradition ; le passage d’une conception juridique à une conception sacramentelle de l’Eglise «peuple de Dieu» ; la question de savoir si le collège des évêques peut être considéré comme successeur des apôtres (collégialité) ou si c’est le pape seul qui est successeur de Pierre et donc si l’autorité dans l’Eglise peut être ou non partagée ; l’affrontement entre les tenants de la liberté religieuse et les partisans d’un simple élargissement du concept de tolérance, susceptible de limiter les risques de relativisme ; la querelle sur la finalité même du concile comme événement interne à l’Eglise ou ouvert au monde, sur le monde et pour le monde… Et ces débats se révèlent passionnants, nourris de la réflexion des différents «courants», à travers leurs enthousiasmes ou leurs appréhensions.

Le livre ne cache rien des rapports de force, tractations et jeux d’influence. Rien de l’intention, contrariée, du cardinal Ottaviani de faire signer aux Pères du concile un «serment» antimoderniste avant même l’ouverture du concile. Rien de certaines velléités d’un nouveau dogme sur Marie co-rédemptrice. Rien de la «confiscation» par Paul VI de la question de la contraception, enlevée à la délibération des Pères conciliaires ; de sa décision de créer les Synodes, convoqués à son initiative, par crainte de voir le concile instituer une sorte de Sénat permanent pour le conseiller, perspective insupportable pour la Curie ; ni de son soutien aux «minoritaires» au motif de préserver l’unité de l’Eglise. Déjà !

Il nous fait entrer dans les trattorias romaines où évêques et cardinaux se retrouvent pour affiner leur stratégie. Mais surtout il nous fait sentir la lente montée en puissance de la «conscience» commune des Pères, ce que l’on nommera ultérieurement «l’esprit du concile», depuis les premières séances de travail où ils ne se connaissaient pas et, pour la plupart d’entre eux, ne comprenaient pas grand chose aux intervention prononcées en latin…  jusqu’aux derniers jours de la quatrième session. Les uns et les autres sont alors conscients d’avoir vécu-là un grand moment de communion ecclésiale dont l’Histoire conservera la mémoire et qu’il leur appartient désormais de partager avec le peuple qui leur est confié.

On referme le livre, reconnaissant de tout le travail prophétique réalisé au concile : redécouverte de la Parole de Dieu au travers de l’Ecriture ; émergence d’une vision de l’Eglise comme «peuple de Dieu» ; réforme liturgique intégrant les langues de chaque peuple ; dialogue œcuménique et interreligieux ; ouverture au monde après tant de siècles de condamnation… Autant d’audaces dont vivent aujourd’hui les communautés catholiques sur les cinq continents. Et dans le même temps, comment ne pas frémir et s’interroger, en constatant que les questions qui traversent notre Eglise, sont celles-là même qui, voici cinquante ans, nourrissaient déjà les débats du concile. Comme si, sur bien des points, rien n’avait réellement changé. A commencer par la tentation manifeste de la Curie, encore renforcée par le récent consistoire, de refermer la parenthèse pour en revenir à ses pratiques de toujours : affirmer sa propre légitimité au service de la Tradition, de la suprématie pontificale et de l’Eglise, au besoin contre le pape lui-même et ses rêves d’ouverture au monde.

Ultime question : comment le livre de Christine Pedotti sera-t-il reçu par celles et ceux qui, voici un demi siècle, ont accueilli Vatican II, avec une formidable espérance avant de s’éloigner, déçus, sur la pointe des pieds ? Comme une invitation à reprendre leur place dans l’Eglise, pour faire vivre le concile ? Ou comme une ultime nostalgie avant de tourner définitivement la page ?

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Christine Pedotti, La bataille du Vatican, Plon, 574 p., 24,50 €. Le livre comporte également en Annexe : une chronologie du Concile, une présentation des seize textes, un rapide portrait d’une centaine d’acteurs du Concile ainsi qu’une abondante bibliographie.


 

2 comments

  • j’attendais beaucoup du concile Vatican2 et je suis très déçue ; merci à l’auteur de m’éclairer sur les raisons du manque de changement en profondeur que l’on attendait ;Ah ce pouvoir de la hiérarchie !!!!Nous sommes loin du message évangélique !

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