Si tu ne vas pas à Charlie, Charlie viendra à toi ! 

Si tu ne vas pas à Charlie, Charlie viendra à toi ! 

Le culte officiel rendu à Charlie Hebdo, qui se déploie sous nos yeux, renforce de fait cette «insécurité culturelle» où prospère le Front National. 

La couverture anniversaire de l’attentat contre Charlie continue de nourrir la controverse. Rassurons-nous, elle est faite pour ça ! Qui donc achèterait un numéro de Charlie dont personne ne parlerait et qui ne sentirait pas un peu le souffre ? Le choix de l’illustrer d’un Dieu barbu en cavale, kalachnikov au côté, agrémenté de ce titre : «Un an après, l’assassin court toujours», a fait grincer bien des dents. Moins par pruderie que par exaspération. C’est mon cas et je m’en suis expliqué dans un billet précédent.

Depuis cette publication, je croule sous les injonctions amicales. Au choix on m’invite à : prendre du recul et de la hauteur ; m’ouvrir à l’humour ; savoir regarder au-delà des apparences ; faire preuve d’intelligence ; reconnaître l’excellence de cette une ; comprendre que Charlie n’y dénonce pas un Dieu réel mais une caricature de Dieu ce qui, chacun l’aura compris, change tout ; me montrer capables d’accéder à une lecture de la couverture au second degré… Pour le coup, je ne caricature qu’à peine ! Je lis dans cet apitoiement, qui me touche, le désir sincère de m’éviter la suprême humiliation : passer aux yeux de ceux qui me lisent pour ce que je suis sans doute, obtus et réactionnaire !

Le fait d’avoir dirigé, pendant une décennie, un grand magazine populaire m’a définitivement rendue insupportable cette condescendance vis à vis de celles et ceux qui se montrent réfractaires ou incapables d’accéder à ce «vrai» niveau de lecture et s’en tiennent, bêtement, au premier degré. Heureux les «pauvres en esprit», certes, mais honte aux pauvres d’esprit ! J’y vois, au-delà de la lâcheté intellectuelle une forme de mépris de classe. Car enfin, si Charlie peut parfaitement s’exprimer comme il l’entend et le fait, si la lecture de sa couverture que l’on tente de nous imposer à longueur d’antenne se situe dans le champ d’une possible polysémie, au nom de quoi exclure et discréditer toute autre interprétation ? Je revendique le droit de lire dans cette une de Charlie ce qu’elle montre vraiment : le Dieu d’Abraham désigné comme assassin des journalistes de Charlie Hebdo.  Je me sens libre de dire que c’est à la fois injurieux et con ! Je me sens autorisé à avancer que le prétendu «second niveau» de lecture n’est jamais qu’une feuille de vigne, au sens biblique du terme, destiné à couvrir pudiquement un discours anti-religieux en pleine érection.

Serais-je à mon tour dans la caricature ? Non, car c’est bien cette idée obsessionnelle d’une violence inhérente à toute religion, particulièrement aux religions monothéistes du fait de leur prétention à détenir et vouloir imposer l’unique Vérité, que martèlent les médias. Parvenant à persuader l’opinion publique que la paix civile ne pourra triompher demain que sur les décombres des religions, par nature obscurantistes et belliqueuses. Les bonnes paroles du chef de l’Etat accueillant pour les vœux leurs représentants, voisinent avec l’hommage, travesti en culte officiel à Charlie, déployé la même semaine à tous les étages de la République. Un culte à l’athéisme militant promu nouvelle religion d’Etat. Un culte à ses martyrs dont le souvenir nourrit notre mauvaise conscience collective.

Non, Charlie n’est pas la République, Charlie n’est pas la Nation, Charlie n’incarne ni la conscience de la France ni la liberté d’expression. Il en est, parmi d’autres, non sans talent ni courage, l’une de ses composantes et de ses manifestations. Point ! Prétendre le contraire est, au mieux, un abus de langage, au pire une imposture. Oui Charlie doit pouvoir continuer à s’exprimer en toute liberté. Oui nous conservons le droit citoyen de critiquer la sacralisation de la liberté d’expression qu’il prétend servir, comme toute forme de sacralisation. Et de dire que le monde médiatique se dévoie, à l’occasion de cet anniversaire, à nous inviter soir et matin à une sorte de repentance expiatoire.

Pardon pour cette «sainte colère» qui entend dire aussi mon attachement aux valeurs de la République et à la laïcité, mon désir de participer à une vie civique apaisée et fraternelle, ouverte et généreuse. Il appartient aux religions d’ajuster sans cesse leur mode de présence à la société. Il leur appartient de s’interroger sur les raisons qui rendent recevable par l’opinion l’idée de leur intolérance intrinsèque. Il leur appartient de contenir et de dénoncer, dans leurs rangs, de possibles dérives intégristes. Mais il appartient aussi à ceux qui, dans notre pays, exercent une forme d’autorité et d’influence : pouvoirs publics, médias, enseignants… de comprendre que mépriser l’aspiration des hommes à la transcendance, nier le sentiment religieux et chercher à en museler outrancièrement l’expression, ne fera que renforcer les communautarismes que l’on prétend par ailleurs contenir ou combattre.

Oui, l’agression légitimement ressentie par nombre de nos concitoyens à la «promotion» (1) politique et médiatique d’une couverture de magazine qu’ils reçoivent comme une injure, a pour effet immédiat de renforcer «l’insécurité culturelle» si bien décrite par Laurent Bouvet. (2) Elle fait aujourd’hui, inexorablement, le lit du Front National. Face à cette évidence, l’aveuglement d’une « certaine gauche», tient du suicide politique. Il est vrai que le suicide fait partie de nos libertés.

 

PS. Je me réserve, bien évidemment le droit, de ne pas publier sur ce blogue, tout commentaire qui n’intègrerait pas la dimension humoristique de mon propos.

________

(1) Une promotion qui rend sans objet le discours selon lequel nul ne serait obligé de lire Charlie s’il ne le veut pas. Paul Féval avait vu juste : «Si tu ne vas pas à Charlie, Charlie viendra à toi.»

(2) Laurent Bouvet, L’insécurité culturelle, Fayard 2015.

 

 

15 comments

  • Bravo et merci pour ce billet d’humeur non dénué d’humour qui apaise mon courroux (qui devient presque nauséeux) devant les discours « officiels » et unanimes entendus depuis cette parution.

  • Il faudrait interroger les chrétiens afin qu’ils expriment ce qui fait leur foi, pourquoi et la conséquence de cette foi sur leur vie quotidienne.
    Peut-être verrait-on plus clair dans l’importance de la Parole pour les chrétiens, de l’apport dans leur vie et le sens de celle-ci. Plutôt que des signes ostentatoires qui sont hermétiques ou épidermiques à certains du fait d’une mal connaissance du contenu profond de la religion chrétienne.
    Les caricaturistes du 19è puis du 20è ont souvent bouffé du curé. C’était une tradition qui allait donner la loi de 1905. Désormais nous sommes au-delà!

  • Si je puis me permettre d’ajouter ici mon avis personnel en tant que « rationaliste non catholique », je trouve que ce dessin n’a aucun intérêt et révèle seulement que son auteur n’a rien compris à la situation actuelle.

  • J’eus préféré de votre part une analyse fine de ce qui vous gratouille….
    Dommage ! Le coup de sang n’est jamais bon, n’allez pas nous faire un AVC !

    Parce que ce que vous dites à propos de « l’aspiration des hommes à la transcendance, » mériterait une attention autre. Un niveau plus élevé de la réflexion. Noyer cet essentiel de la nature humaine dans le fatras Charlie, Religion, intégrisme, rites religieux, communautarisme, et j’en passe…. c’est quasi triste…
    Ce thème est un de mes points de réflexion, qui fait l’objet de bien de mes billets sur mes blogs….
    .
    Eteignez BFM-TV et autres caricaturistes de l’info… Vous rallumerez dans 24 H, on sera repassé à l’analyse des éléments profonds qui poussent les hommes à se transcender sur le Dakar !

    J’espère qu’une fois calmé, et donc moins caricatural dans vos propos….
    Vous reviendrez au fond des choses….

    • Quand je vois des personnes que j’estime tomber dans le piège d’une prétendue lecture au second degré de la couverture de Charlie qui lui ferait dire autre chose que ce qu’elle dit, j’ai envie de les renvoyer aux interventions de Riss depuis quarante huit heures, sur les antennes, où il ne cesse de dire sa haine du christianisme et des religions en général. Alors il y a un temps pour tout, un temps pour les « alayses fines » et un temps pour les coups de gueule. Désolé !

      • J’ai entendu Riss sur France-Info…. Qu’il soit anticlérical et athée n’est pas une nouveauté….
        Ses propos sont nets.
        Que vous soyez en désaccord avec ses croyances athées, me semble l’évidence !

        Que vous y voyez de la haine dans ses propos ???? c’est dommage de vous projeter ainsi ….

        « c’est pas de la haine, mais de la colère » déclare-t-il….
        Que vous ne la compreniez pas, lui qui a failli y laisser sa peau et être tué par des individus se réclamant du même monothéisme que le vôtre… ne cesse de m’étonner ….

        • Désolé mais son aversion pour les religions monothéistes ne date pas de l’attentat où il aurait pu perdre la vie. Je ne conteste pas son droit à l’athéisme, je conteste l’impunité qu’il réclame au nom de la liberté d’expression, en décrétant Charlie journal irresponsable. Il n’est pas de liberté sans responsabilité. Des chrétiens sont morts du fait de représailles contre la publication des caricatures dans Charlie. Eux non plus ne « l’avaient pas cherché ». Désolé mais Charlie sans être directement coupable n’est pas innocent de ces morts là.

          • « Désolé mais Charlie sans être directement coupable n’est pas innocent de ces morts là. »

            Non mais je rêve !!
            c’est bien VOUS René Poujol qui osez écrire ça ???

            Charlie responsable des fanatismes religieux !!!!
            Charlie qui a surement fourni les Kalach pour le Bataclan !!
            On est en plein délire !!

            Comme quoi le fanatisme vous a aussi contaminé….
            Vous voilà adepte des guerres religieuses sans cesse recommencées….
            Riss au bûcher et ça ça crame… vite !!!
            Brulons les horribles athés !!!

            Reprenez vous, cher ami !!

          • Je n’ai rien à reprendre de ce qui est une évidence. Charlie n’est pas responsable des fanatiques ni de leurs actes. Mais lorsqu’on sait qu’ils existent et que des innocents sont à leur merci, il y a des provocations sur lesquelles on peut s’interroger, en termes d’opportunité. Il y a deux notions de la liberté d’expression. Vous avez la vôtre, celle de Charlie, absolue, je dirais presque totalitaire, en fait très hexagonale et qui, comme toujours, prétend à l’universalisme. J’ai la mienne, plus humaniste, proche du comportement de nos confrères anglo-saxons et je n’accepte pas le mépris moralisateur qu’elle semble vous inspirer et moi à travers elle. Peut-on encore dire dans ce pays, sans passer pour un facho, qu’il n’y a pas de liberté sans responsabilité ? Et que l’humain, parfois, peut s’honorer à renoncer à l’exercice d’un droit, lorsqu’il y va de la vie des autres ? Si vous n’êtes pas en mesure d’accepter cette diversité là et de la respecter, je ne suis pas sûr que nous ayons grand chose de plus à nous dire !

  • Oui, effectivement, Charlie n’est pas innocent de morts au Niger ou au Pakistan, en excitant le fanatisme de musulmans dont on se demande quelle éducation religieuse ils ont reçue.
    Je ne vois dans les propos de René Poujol qu’une réflexion approfondie sur le fait qu’une certaine forme de « liberté » détruit la fraternité.

  • Monsieur le voyageur, vous nous aviez habitués à plus de retenue dans vos propos…

    Ainsi vous reprochez à René Poujol d’avoir écrit : « Charlie sans être directement coupable n’est pas innocent de ces morts-là. »

    Remarquez que dès le 15 janvier 2015, j’avais écrit sur le blog États d’âme de F. Vercelletto :
    « Comme effet collatéral dramatique, Charlie Hebdo a provoqué l’avènement de la barbarie. »
    Or, depuis le 15 janvier 2015 et relativement à cette même phrase, vous n’avez jamais émis le moindre commentaire sur le blog États d’âme – où vous publiez régulièrement vos commentaires divers et variés sous le même pseudonyme « le voyageur ».

    Alors que sémantiquement, je ne vois pas de différence entre ce que j’avais écrit le 15 janvier 2015 et ce que René Poujol a écrit le 7 janvier 2016, vous restez inerte dans le premier cas mais vous n’hésitez pas à brocarder René Poujol dans le second cas.

    N’y aurait-il pas quelque part un manque de cohérence et/ou de logique dans l’un et l’autre cas ?

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