Après la chrétienté et le christianisme, la christianie en marche…

Après la chrétienté et le christianisme, la christianie en marche…

La crise que traverse l’Eglise invite à emprunter des chemins de traverse où se risquer.

Les familiers de mon blog auront compris que si les recensions de livres y tiennent désormais une place grandissante, c’est parce qu’en ces temps d’incertitude c’est encore à travers la pensée, l’itinéraire des autres que nous pouvons élaborer librement, nos propres choix. Par goût personnel, je me méfie d’une certaine littérature édifiante qui prétend nous mettre à l’abri des convulsions du monde – fut-il catholique – en nous ouvrant des sentiers balisés de certitudes et de sainteté. Je préfère de beaucoup les chemins de traverse. En y prenant le risque de se perdre on se surprend parfois à se trouver et entendre à nouveau, au fond de soi, une Parole venue d’ailleurs. Poète et éditeur, Jean Lavoué décrit dans « Des clairières en attente » (1) un itinéraire spirituel singulier où l’Evangile, comme Poème absolu, lnvite à la beauté d’une parole offerte, libre mais habitée. Et voilà qu’au tournant d’un vagabondage il nous ouvre à une vision de l’Eglise qui nous parle et nous interroge à la fois. En résonance profonde avec ce que nous venons de vivre durant ces périodes de confinement. Et si ce temps, comme l’écrivent ailleurs François Cassingena Trévedy ou Tomas Halik, était celui du Kairos, du “temps à saisir“? 

Retrouver les traces du Poème évangélique par-delà toute culture

C’est cette même soif qui l’incite à « Retrouver les traces du Poème évangélique par-delà toute culture. »  Et l’on ne s’étonne pas, dès lors que l’auteur et poète nous dise sa dette envers Christian Bobin, Etty Hillesum ou Christiane Singer; mais tout autant René Guy Cadou, Xavier Grall, Marie Noël ou Guillevic qui « fait partie de ces hommes qui ne croient pas en Dieu mais qui l’aiment. » Est-ce vraiment un hasard si le jour-même où je refermais Des clairières en attente, je découvrais, sur le compte Facebook de l’auteur, ce poème écrit quatre ans plus tôt et qu’il venait de remettre en ligne : 

Désir d’un œcuménisme radical au-delà même des seules chrétiennes

De là à considérer que tous les sourciers partageant une même soif c’est encore en leur compagnie que l’on a le plus de chance de trouver la source… il n’y a qu’un pas ! Qui lui fait dire « Aucune distinction ici entre croyants, incroyants, agnostiques et athées. C’est du lieu même de son humanité la plus profonde que chacun va puiser les paroles et les gestes qui sauvent. » Et dans un même élan le fait aspirer à un « Œcuménisme radical au-delà même des confessions chrétiennes et de leurs infinies ramifications. » Signe des temps ? On trouvait la même idée, le 3 décembre 2020, dans les propos du philosophe et sociologue Tchèque Mgr Tomas Halik, tirant les leçons d’une exacerbation des divisions à la fois politiques, culturelles et théologiques entre chrétiens : « N’est-il pas temps d’abandonner les poursuites de l’œcuménisme de « tous les chrétiens » et de se concentrer plutôt sur l’approfondissement d’un œcuménisme fécond (partage, synergie et enrichissement mutuel) entre personnes avisées, aussi bien croyantes que non croyantes ? » (3)

La christianie comme réalité expériencielle

Que l’on s’en réjouisse ou s’en désole, l’idée se répand. Celle d’un « kaïros » ou moment propice pour tirer toutes les conséquences d’une expérience de confinement qui a vu nombre d’églises se vider de nombre de fidèles désormais interrogatifs sur leur mode d’appartenance à l’Eglise. Après des siècles de chrétienté défunte , puis de christianisme institutionnel aujourd’hui en plein délitement, l’heure ne serait-elle pas à une « christianie » qu’en 2013 déjà, Raimon Pannikar (4) disait “florissante et aussi vivante que jamais“. Il la définissait en ces termes : « Elle serait le troisième moment kaïrologique de l’identité chrétienne. Cette identité – mon identité – je la découvre; on ne me la donne pas. Plus qu’une apparence juridique ou un consensus doctrinal, la christianie recouvre donc une réalité expérientielle. » (5)

Cette réflexion est au cœur de l’ouvrage de Jean Lavoué, comme aboutissement de la pensée même de Jean Sulivan. « Faute d’accepter de repenser son modèle, l’institution laisse ainsi partir la majorité de ses fidèles, désireux de ne pas vivre dans une sorte de rapport quasi schizophrénique à l’égard du monde au sein duquel ils se sentent immergés. » Sauf que le constat de l’auteur est qu’ils sont, de ce fait et pour la plupart, sans lieu d’appartenance. « Ils ne font pas partie de petits groupes à partir desquels ils pourraient contribuer à la fois à une adaptation même à bas-bruit, de la structure ecclésiale, et à une maturation de leur propre rapport à la source de la foi. » D’où cette invitation, en forme de feuille de route, à l’égard de lui-même et de bien d’autres : « Il nous revient de nous inventer nous-mêmes à présent des compagnons de route, de secrètes assemblées d’amis, pour transmettre à notre tour avec passion, l’humble parole. »  Tout est dit de l’exigence de transmission, fusse d’une « foi modeste » – comme y invite dans ses écrits François Cassingena Trévedy – tellement proche de ces « clairières de silence » dont parle ici Jean Lavoué. Et c’est bien là que le bât blesse. 

Comment rejoindre les plus modestes chercheurs de Dieu ? 

Du livre d’un ami, que dire sinon du bien ? Car serions-nous amis s’il n’existait entre nous de secrètes connivences, une même manière d’appréhender la brûlure d’une Parole qui depuis toujours donne sens à nos vies et nous semble tellement étouffée par deux millénaires d’institutionnalisation et de cadrage dogmatique. Mais à l’image d’une société démocratique, une « foi modeste » porte en elle-même les germes de sa possible disparition. Si l’on n’est pas chrétiens « tout seul », on ne l’est pas davantage en s’entourant seulement des mêmes. Je dois à mes lecteurs – et à l’auteur – cette interrogation qui m’habite depuis longtemps et ressurgit ici à la lecture de son livre : notre exigence de liberté, née d’une démarche profondément honnête, ne nous condamne-telle pas à une forme d’élitisme que dénonce avec constance ce pape François qui, pourtant, nous est si proche ? Comment rejoindre et cheminer aussi – donc faire Eglise – avec ces modestes chercheurs de Dieu qui n’ont pas notre bagage culturel et trouvent une forme de réconfort dans une piété populaire qui nous semble, non sans raison, récupérée parfois par un pouvoir clérical qui y trouve sa propre justification ? Ce n’est pas le moindre mérite du livre brûlant de Jean Lavoué, que de nous remettre face à cette exigence évangélique. 

  1. Jean Lavoué, Des clairières en attente. Ed. Médiaspaul 2021, 132 p. 15 €.
  2. Jean Lavoué a coordonné et édité un livre d’hommage à Jean Sulivan, à l’occasion du 40e anniversaire de sa mort dont j’ai rendu compte sur ce blog. Jean Sulivan dans l’espérance d’une parole. Ed. L’enfance des arbres 2020, 380 p. 20 €
  3. Thomas Halik, La révolution de la miséricorde et un nouvel œcuménisme. Tribune dans La Croix du 3 décembre 2020. 
  4. Raimon Pannikar (1918-2010) est un écrivain, philosophe et théologien catalan, né de mère espagnole et catholique et d’un père indien et hindou. Spécialiste du bouddhisme. 
  5. Entre Dieu et le Cosmos, entretiens avec Gwendoline Jarkczyk, Albin Michel 2013. 

Lorsque Jean Lavoué présente son livre

58 comments

  • Dans le temps de grâce où nous nous trouvons, – il me semble bien que c’est le sens profond du mot kairos –, il est bon de profiter de l’apport d’un frère, surtout quand il est inspiré et que ça a été médité. Autant d’aides précieuses pour ce chemin que nous avons à faire ensemble, d’abord tristement vers Emmaüs et ensuite en courant joyeusement vers Jérusalem. Faire chemin ensemble, c’est d’ailleurs précisément ce que le pape François nous demande avec la synodalité. Merci cher René pour le partage de cette lecture.

  • René, je n’avais pas terminé la lecture de votre billet que je m’interrogeais sur cette sorte d’élitisme sous-jacent à ces réflexions, voire cette tentation d’une discipline de l’arcane (« secrètes assemblées d’amis »)… et je vois que cette interrogation vous habite aussi à la fi de votre article.

  • Merci, cher René, pour ta note de lecture chaleureuse. Je comprends ton questionnement final sur le risque d’élitisme que je soulève d’ailleurs moi-même dans mon livre. Toutefois, les différentes expériences de groupes que j’évoque dans ce récit-témoignage sont tout à fait poreuses et non pas exclusives : ces groupes sont composés à la fois de personnes ayant, par ailleurs, un ancrage paroissial parfois fort et d’autres, au contraire éloignés de toute appartenance institutionnelle. C’est plutôt l’offre d’un service de dialogue auquel les mouvements classiques d’Église ou bien les paroisses à eux seuls ne répondent pas parfaitement. Mais pas de modèle surtout : c’est la vie qui s’est ainsi offerte à nous au gré de nos attentes et de nos rencontres…

    • Je crois beaucoup à ces « passerelles » et à leur richesse. Simplement, mais tu l’as bien compris, je me méfie toujours un peu de la tentation que j’ai connue dans certains groupes, d’une forme de repliement. Mais un témoignage ne se réfute pas, il s’accuei!lle pour ce qu’il est. Avec gratitude.

  • Cet article me fait immédiatement penser à deux auteurs dont les réflexions ne finissent pas de me bousculer : Maurice Bellet qui parlait de « christianité » et Dominique Collin qui reprend ce thème de « christianité » dans son livre « le christianisme n’existe pas encore » ( thèse sur Soren Kierkegaard).
    Je vous les recommande.

    Marianne

    • Je crois qu’il faut entendre les deux termes : christianie et christianité (qui figurent d’ailleurs tous les deux dans le livre de Jean Lavoué) avec la même signification.

  • oui.comment rester frère de ceux qui baignent dans la piété populaire avec cette âme d enfant que nous recommandait Jésus?

  • Mais l’Esprit Saint, lui, n’est pas élitiste et parle à tous dans le langage et la culture de chacun… Il n’y a aucune inquiétude à avoir… Le bagage culturel peut dans certains cas être au contraire un handicap si des certitudes s’enracinent.
    Le Vatican n’a pas vu de Kaïros pour la sortie de crise de l’Eglise et donner une chance d’égalité aux femmes puisque le nouveau Code canonique entérine le décret de 2007 qui « officialise le délit d’attentat à l’ordination sacrée d’une femme » et « criminalise les femmes qui prétendent être appelée à servir leur Eglise » (D’après TC) Alors quel type de christianie vraiment masculiniste et patroniste, à l’Ouest rien de nouveau décidément pour nous toutes…

  • René, je ne comprends pas bien cette histoire d’élitisme.
    Je ne vis en tout cas pas du tout ma grande marginalité dans le christianisme ainsi. C’est plutôt, une souffrance, un sentiment d’échec, d’illégitimité. D’être « à côté », de n’avoir pas pu, pas su… d’être inapte au groupe, à l’appartenance, aux concessions, peut-être à la bienveillance. C’est la vision assez claire de mes propres limites en fait.
    En lisant Jean Lavoué et Jean Sulivan, je n’ai pas vu non plus trace d’élitisme. Pour le coup, ils me paraissent plutôt modestes tous les deux.
    Mais j’ai peut-être mal saisi votre propos.

    • Je veux dire simplement que l’aspiration à une forme de liberté – en conscience – par rapport aux dogmes, à la doctrine, à la discipline ecclésiastique ou son équivalent dans d’autres religions, (ce que j’appelle dans mon billet se risquer sur des chemins de traverse) suppose des capacités, des connaissances qui ne sont pas données à chacun. Et que la conscience de cette « différence » peut, si l’on n’y prend garde, enfermer un groupe dans sa propre démarche qui, du coup, devient inaccessible aux autres. Mais on trouve cela dans tous les domaines de la connaissance : qu’elle soit culturelle, artistique, scientifique… Il y a des chapelles qui peuvent faire oublier l’existence de l’Eglise elle-même… voilà ce que je veux dire. Et la tentation, me semble-t-il, reste forte lorsqu’on ne parvient pas à infléchir l’Eglise dans le sens qui nous semble souhaitable ou nous convient de nous instituer en chapelles, avec celles et ceux qui partagent notre sensibilité, au risque d’un certain élitisme et d’une forme de mépris pour ceux qui n’accèdent pas à ce niveau de liberté et nous paraissent dépendants de formes archaïques de religiosité.

      J’ai connu, dans les années d’après Concile, ces débats « foi et religion » où le must paraissait être d’accéder à une foi épurée de toute religiosité. Je pense que c’était une impasse. Parce que l’humain reste un animal religieux. Ce qui ne veut pas dire qu’il ne faille pas passer ce religieux au crible. Voilà, je ne suis pas sûr d’avoir vraiment répondu à votre question. Mais je sais, pour ne prendre que cet exemple personnel, que j’ai toujours refusé de fréquenter telle ou telle paroisse parisienne qui aurait été plus dans ma sensibilité, par désir de rester immergé dans ma paroisse de banlieue marquée par une extrême diversité ethnique, culturelle, générationnelle et sociale, malgré ses pesanteurs.

      • Oui, vous répondez à ma question.
        Mais vous le dites vous-mêmes : ceux qui se pensent encore chrétiens mais ne peuvent plus vivre la schizophrénie que leur impose l’institution (c’est mon cas) n’ont plus de lieu d’appartenance. C’est sans doute bien ainsi, car former un nouveau lieu, à part, élitiste effectivement, conduirait rapidement à une impasse et aux travers bien connus : l’entre-soi, la hiérarchisation, le pouvoir etc.. etc..

        Vous parlez par ailleurs des non croyants ou des non chrétiens : il n’est pas nécessaire en effet d’être chrétien ni même croyant (au sens de la foi en Dieu) pour être un vrai spirituel, un chercheur. Il me semble que tout le monde gagnerait beaucoup à sortir de son appartenance, de son étiquette en somme, et à se laisser mettre en question sans cesse par l’autre.

  • Cher René, cher Jean Lavoué,

    Musicien, j’ai la prétention de m’y connaître en voix. La voix parlée de Jean Lavoué me plaît, la voix écrite de François Cassingéna-Trévédy me paraît celle d’un séducteur, qu’on me pardonne cette appréciation purement subjective de lanceur de quelle alerte prétentieuse, mais je crois à mon flair!

    L’Evangile comme « poème » résonne aussi en moi, et cela me va mieux que l’Evangile comme Nouvelle. Je dirais même que plus j’avance et moins je trouve, non pas qu’il n’y ait rien de nouveau dans l’Evangile, mais que l’Evangile soit une Nouvelle, que l’Evangile change quelque chose ou si vous préférez, que l’Evangile soit une prière exaucée. L’Evangile est certes un enseignement, il est assurément une Parole et quelle Parole! Mais en quoi est-il une Parole de Dieu, ou qu’est-ce qui fait le départ entre la Parole comme aspiration à retrouver l’infini du Logos, qui gît en notre conscience qui paraît marquée du sceau de la détermination, et la reconnaissance que tel dit est Parole de Dieu?

    L’Evangile, pour avoir été proféré par le Verbe, nous paraît parfois décevant, détenteur de vérités morales, si ce n’est sapientielles, sans que cela véhicule le secret de la Création ou le sens de la réalité.

    Prière non exaucée, l’Evangile se suffit-il d’être une sagesse qui semble ne pas aller au fond de la Révélation pour chatouiller par la limite qu’il fait sentir à notre coeur insatisfait notre nostalgie de l’infini?

    Lire l’Evangile, est-ce écouter notre coeur, ou écouter la vie telle qu’elle nous indique sans se tromper le sens de sa continuité, qui n’a pas grand-chose à voir avec la pauvreté des états vocationnels ou les états de vie que nous ménage l’Eglise pour que, marins d’eau douce, nous ne fassions pas de vagues? Pourquoi l’Evangile serait-il le lieu de la christianie, comme point de départ où se donnent rendez-vous tous les chercheurs de Dieu? Avons-nous, chrétiens, le droit d’assigner à résidence évangélique la quête universelle? « Qui cherche trouve », promet la Parole d’Evangile. Les clairières dont parle Jean Lavoué peuvent-elles n’être en attente que de leur propre attente? Le partage d’Evangile peut-il être le rendez-vous de tous les chercheurs de Dieu dont nous parle Philippe Levalois? Faut-il se contenter qu’ils soient déboussolés, des « Paumés des petis matins » spirituels? Faut-il attendre d’être minoritaires et confinés pour proposer une luciole en fait de dissidence irrésistante à nos contemporains sous couverts de modestie? La planète appréhendée sans que nous la regardions fait-elle partie de l’utopie du monde meilleur? Et le « royaume qui n’est pas de ce monde » vise-t-il un monde fût-il meilleur? L’Ecclesiola comme cellule (du parti communiste?) est-elle le dernier recours où notre interprétation de la Parole est proposée avant la Parole elle-même, comme la dernière chiquenaude de « la société des individus »?

    Il y a une différence entre la doctrine et l’idéologie. La doctrine est une stalactite, l’idéologie est une stalagmite, un mythe de mythologue nullement mythomane, qui sait qu’il produit un mythe. La doctrine tombe de haut, de nos intuitions religieuses, l’idéologie part du bas de nos opinions quotidiennes.

    J’ai moi aussi pensé à Maurice bellet. Quand je l’ai lu, il n’y a guère, j’ai été choqué qu’il s’autorise de reformuler entièrement l’intervention divine du Christ « indépendant » et trop Fils de son Père, la voie et la voix nouvelle, en puisant dans tous les champs de l’expérience humaine et espérant faire pièce au « Dieu pervers ». Mais sans l’Esprit-Saint, « il n’est rien en aucun homme, rien qui ne soit perverti. » Encore avons-nous vu que c’est dans les communautés où on a le plus fait appel à l’Esprit-Saint que la perversion a été la plus forte. La modestie peut-elle lui faire barrage?

    L’homme ne peut se passer de doctrine si l’on comprend que la doctrine est le toit symbolique formé par le vent à partir du bâton rotatif qui a jeté là-haut le sable agglutiné. Le symbole est un toit de foi pour habitants à ciel ouvert, dormeurs à la belle étoile et qui n’ont pas une pierre où reposer la tête. Mais on ne peut se passer de la doctrine définie sous cette réserve.

    La chrétienté n’est plus, c’est un autre repère qui s’en va. « Miroir, mon beau miroir », folklore, mon beau folklore! Je disais à un très grand organiste de mes amis qui relayait auprès de moi le regret d’un autre que demain, dans vingt ans, personne ne comprendrait plus rien à notre musique sacrée instrumentale au moins quatre fois séculaire « C’est un folklore et tout folklore est destiné à sa perte, mais l’Eglise à la différence des civilisations et des arts ou des formes de la piété populaire, a les promesses de la vie éternelle. » L’Eglise oui et elle est inactuelle, mais il n’en va pas de même des folklores successifs de ses inculturations. Le folklore occidental de la chrétienté eut beau être très élaboré, cette élaboration elle-même le reléguera bientôt au musée avec les langues mortes, qu’un petit nombre sera néanmoins capable de déchiffrer pour les profanes de leur époque. On ne peut être pessimiste qu’à court terme pour le message chrétien, que l’on déplore ou non les sociétés déchristianisées.

    • Julien,

      Je trouve votre propos stimulant mais pour le moins paradoxal pour ne pas dire contradictoire. Je souscris totalement à votre interrogation sur ce que j’appellerai l’universalisme du message évangélique, lorsque vous écrivez, entre autre : « Avons-nous, chrétiens, le droit d’assigner à résidence évangélique la quête universelle ». Bonne question lorsqu’on a pris conscience de la multiplicité des sensibilités et traditions religieuses à travers le monde (et l’histoire).

      Il se trouve que la publication de votre commentaire coïncide avec l’annonce du décès du théologien Maurice Vidal dont je relève ce propos (dans son livre : Cette Eglise que je cherche à comprendre) : « L’Eglise a beau considérer toute l’histoire de l’humanité comme une histoire de salut, sa médiation dans cette histoire reste limitée, dans le temps comme dans l’espace. »

      Là où je me sépare de vous est la lecture que vous faites des Evangiles. Et cette sorte de regret de ne pas y trouver les réponses qui, selon vous, marqueraient et elles seules – une Parole réellement d’origine divine. En quelque sorte une Révélation définitive et accessible à tous sur les secrets de l’Univers. J’ignore si Dieu nous doit une telle révélation. Moi je n’en éprouve pas la nécessité. Je me contente de prendre les Evangiles pour ce qu’ils sont : à la fois Poème mais également nouvelle dans la mesure où il proclame l’existence d’un Dieu d’amour ce qui, à ma connaissance, est unique dans l’histoire des civilisations.

      Vous semblez donc opposer au « flou » poétique des Evangiles, susceptibles de lectures polysémiques dont on devine qu’elles vous insécurisent, le sérieux minéral de la doctrine « stalactite ». Là où je ne vous suis pas est lorsque vous évoquez une « Doctrine (qui) tombe de haut, de nos intuitions religieuses… » Désolé mais si elle tombe de haut ce ne peut pas être de nos intuitions, parfaitement subjectives. Ou alors vous admettez que cette doctrine, dont vous soulignez à quel point elle est structurante, ne tombe pas de haut mais est bien l’émanation de la conscience humaine s’interrogeant sur la possible existence d’un Dieu.

      Dès lors, je ne vois pas sur quoi repose votre opposition entre la subjectivité un peu bohème du Jésus des Evangiles et la prétendue objectivité d’une doctrine « venue d’ailleurs » ce qui est contraire à toute la tradition chrétienne.

      Je crains, pour rejoindre le propos de Jean Lavoué et mon propre commentaire, que confrontés à ces réalités, nous n’en soyions réduits, en effet, en ce début du XXIe siècle, à oser des chemins de traverse, non par esprit d’école buissonnière mais par souci de rejoindre nos contemporains de toutes convictions dans une quête de vérité.

      J’ai souvent raconté l’ébranlement qu’avait été pour moi, à l’adolescence, la lecture du récit du Buisson Ardent dans le livre de l’Exode. A Yahvé qui lui ordonne de libérer les Hébreux esclaves en Egypte, Moïse demande une preuve tangible, opposable à son peuple, que c’est bien Lui qui l’envoie. Ce à quoi Yahvé répond : « Voici le signe qui te montrera que c’est moi qui t’ai envoyé. Quand tu feras sortir le peuple d’Egypte, vous servirez Dieu sur cette montagne ». D’où je tire depuis lors cette conviction personnelle que nous n’aurons jamais d’autre preuve de l’existence de Dieu que la foi du peuple croyant. C’est pourquoi l’idée d’être en Exode, ne me fait pas peur ! Et je souscris volontiers à votre dernière phrase : « On ne peut être pessimiste qu’à court terme pour le message chrétien, que l’on déplore ou non les sociétés déchristianisées. »

      • Ce n’est pas un hasard si on lit le récit de l’Exode dans la nuit de Pâques :
        « Le peuple craignit le Seigneur,
        il mit sa foi dans le Seigneur
        et dans son serviteur Moïse. »

      • Dieu nous doit-il une telle Révélation que, Parole d’origine divine, elle nous dise le sens du monde, de la Création, de la réalité? Je pense que oui, et ce qui me fonde à le penser est que Dieu présente Jésus comme son Verbe. Si la Parole évangélique ne se distingue pas des enseignements ou opinions parcellaires, si elle n’a pas une place vraiment spéciale dans le discours humain, en quoi le Verbe, qui s’incarne dans le langage sous la forme de la Parole d’Evangile, est-Il spécifiquement Parole de Dieu, sauf à considérer, crois-je vous entendre me répondre, que toute parole humaine est « semina verbi », le Verbe ordonnant ces semences autour du foyer évangélique?

        Je reçois votre objection sur le caractère subjectif de l’intuition, mais maintiens que l’intuition tombe de haut, en ce qu’elle nous relie au monde par des champs magnétiques dont nous ne sommes que des points d’attraction, expérimentant la télépathie générale du créé qui, loin qu’il y ait une distance infrangible entre tout ce qui existe, vit dans la communion des saints dont le péché originel est le revers, mais n’est que le revers.

        Vous soupçonnez à juste titre que je suis de ceux que l’absence de doctrine insécurise. Mais vous reconnaissez vous-même que l’homme est un animal religieux. Comme tel, il a besoin de ses repères qui, je l’ai dit, forment un toit symbolique au-dessus de sa tête d’habitant du monde à ciel ouvert. La doctrine est l’illusion de repos du sans abri. Elle ne dit pas tant une vérité qu’elle ne correspond au développement organique de l’esprit humain vis-à-vis de Dieu tel qu’Il a bien voulu se révéler ou tel que l’esprit humain l’a déduit de ses manques.

        • Mais Julien c’est vous qui semblez douter du « statut » des Evangiles comme Parole divine, du fait d’une certaine banalité que vous semblez y trouver, pas moi. Moi cette Parole-là me va très bien.

  • « Dieu écrit droit avec des lignes courbes,  » C’est-à-dire qu’il tente de redresser à chaque instant notre vie en respectant notre liberté et qu’il donne à chacun le poids de sa vie et son prix.  » Tu sais combien une vie humaine a de la valeur et pour quelle raison on la met dans la balance  » écrit Sophie Scholl à son ami Fritz coincé et désespéré dans la bataille de Stalingrad. La vie de Verlaine est un scandale permanent, pourtant ses poèmes à la Vierge et d’autres sont parmi les plus beaux pour nous inspirer et nous élever. Albert Camus n’arrive pas à croire en Dieu, pourtant son souci de vraie justice à Stockholm est plus fort que celui de bien des chrétiens engagés dans le soutien « maniaque » à une cause et son livre la « chute « est une merveilleuse confession, sans confesseur, qui pourrait inspirer bien des chrétiens… Personnellement je ne vois pas ce chemin de traverse pour aller à Dieu mais des points de rebroussements, de sauts à faire, qui nous sont suggérés par des signes visibles. Bref notre conversion, jamais achevée. Il me semble que notre foi, toute foi, ne s’enracine pas dans nos chemins de traverse, que nous avons tous peu ou prou suivis , mais dans la transmission qui nous a été donnée et qui nous délivre pour aller enfin droit à Dieu par un oui sincère. C’est l’Eglise qui nous porte, l’Eglise pécheresse et sainte, comme nous. A nous de la rendre sainte à notre niveau, de traverser notre péché, non de le chérir. C’est un combat. Maintenant il est vrai que cette foi peut nous être révélée de manière extraordinaire par des personnes déchues, qui, mieux que nous, en connaissent le prix et son pouvoir salvateur. A nous d’aller à elles pour les en remercier.

  • Je reçois nos échanges comme invitation à réflexion (à partir de laquelle je me « construit »), plus que des « vérités » basées sur les idées de chacun, même si ces idées sont une richesse spirituelle. Pour cela il est important de se comprendre, et pour cela faut-il que les mots aient un sens précis. Je me permets de répéter ce que j’ai déjà exprimé sur ce blog : « L’Église est l’institution par Jésus d’une COMMUNAUTÉ FRATERNELLE ».
    Remarque : Le mot « église » (ou « Église ») ne figure pas dans l’Ancien Testament (réf : « Concordance ce la Bible – TOB »). Des confusions conduisent à biens des malentendus, mal-exprimés, et même oppositions.
    Notamment : L’Église, au sens original, n’est pas une religion, ni un groupe de religions, ni un groupe « d’églises ».
    Excusez-moi de me permettre de souligner cette « ligne-et-demie » de Joseph Boudaud (23/06 18:54) :
    « Oui.comment rester FRÈRE de ceux qui baignent dans la piété populaire avec cette âme d’enfant que nous recommandait JÉSUS ? »
    Question basique tellement simple … mais qui conduit, il est vrai à questionnement : qu’est-ce que la fraternité ? ! …
    N’est-ce pas la vraie question … mais il est vrai tellement dérangeante !

  • Merci pour ces «  belles «  réflexions personnelles des uns et des autres.

    Quant à moi, les questions qui me taraudent sont de savoir; d’une part s’il peut y avoir foi sans transmission donc sans institution qui transmette, d’autre part sans milieu culturel propice à accueillir cette transmission donc sans langage commun, et troisièmement sans un minimum de confiance dans les «  transmetteurs «  ? J’aurais tendance à répondre non à ces trois questions.
    Or le milieu cultuel et le langage commun disparaissent, la confiance dans l’Institution s’effrite pour beaucoup. Et la foi suppose la confiance dans ceux qui ont charge de la transmettre. Car on n’en crée pas le contenu tout seuls.

    Et, pour finir, la question la plus essentielle : qu’est ce qu’il nous tient à cœur de transmettre que nous avons reçu et qui nous a fait vivre ?

    • Voilà d’excellentes questions Marie-Christine qui ont ceci de commun que la réponse n’est pas facile.

      Peut-il y avoir foi sans transmission ou, plus précisément à mes yeux, sans « volonté » de transmettre ? Comme vous je ne le crois pas sauf à ramener la foi à une sorte de pratique magique destinée à assurer notre salut individuel… ce qui est aux antipodes de la foi. Sur la question de l’institution « nécessaire » à la transmission je serais plus nuancé. L’histoire des pemières communautés semble montrer que la question ne se posait même pas puisqu’ils étaient persuadés que la fin des temps était proche. Et c’est précisément la découverte qu’elle n’était pas au rendez-vous qui a « contraint » les chrétiens à se doter des moyens de transmettre leur foi au Christ. Cette institutionnalisation aurait-elle pu prendre une autre forme que se couler dans les oripeaux de l’Empire romain ? Sans doute ! Sans doute est-ce moins le désir de transmission au sens premier du terme, que d’évangélisation qui a généré l’institution que nous connaissons. Car, à rebours, il y a bien des lieux et des temps dans l’histoire du christianisme où des croyants persécutés et condamnés à la clandestinité sont parvenus à maintenir et à « transmettre » la foi (à leurs proches immédiats) sans autre institution que de toutes petites communautés parfois privées de prêtre. C’est donc possible et du coup la vraie question redevient celle des contours de la mission et non de la simple transmission. Et de ce point de vue, il est vrai que les derniers versets de l’Evangile de Matthieu paraissent explicites : « Allez, de toutes les nations faites des disciples, les baptisant au nom du Père, du Fils et du Saint-Esprit. »

      La question du milieu culturel propice à accue!illir cette transmission est également délicate. On sait que l’évangélisation du monde grec ne fut pas facile. Et encore, lorsque Paul dit aux athéniens : j’ai vu chez vous un autel dressé au dieu inconnu, eh bien je viens vous annoncer que ce dieu c’est Jésus de Nazareth, il trouvait là le biais d’un langage commun minimum. Qui pourrait reprendre les paroles de Paul aujourd’hui ? Où trouver un autel dressé au dieu inconnu ? Toute la question pour nous est donc bien celle d’une inculturation nouvelle dans le monde contemporain. C’est un yhème qui m’est cher, que j’ai abordé lors des conférences données à l’occasion de la sortie de mon livre, conférences que je voudrais, dans les prochaines semaines, proposer ici sous forme de deux billets successifs. Je serai alors plus explicite sur cette question. Mais pour me résumer je crois à la fois qu’aucun milieu culturel n’est spontanément disponible pour accueillir une Parole mais que l’histoire nous montre que le miracle s’est toujours produit… jusqu’à ce jour. Peut-être précisément parce que toutes les cultures jusqu’à la modernité contempraine étaient « ouvertes » àç la notion de dieu.

      Sur la question de la confiance, l’ébranlement est tout aussi radical. Car c’est bien le doute porté sur le contenu de la transmission puis sur le transmetteur lui-même qui est au cœur de la crise actuelle. Selon moi en tout cas. Et l’on voit bien que l’on n’a pas atteint le fond de la crise d’où l’on imaginerait pouvoir refaire surface : sur quelle foi à transmettre, avec quel minimum – optimum – d’institutionnalisation susceptible de servir transmission et mission ?

      Je laisserai, pour l’heure, ouverte la dernière question qui est tellement intime o chacun. Mais qui recoupe ce qui précède.

      • Rene,

        Merci de votre réponse à mes interrogations.

        Au terme de mission, je préfère en effet celui d’évangélisation ou plutôt de témoignage de la vie par une conversion personnelle toujours à reprendre. Ce que certains disent ici et qui permet le dialogue avec tout homme comme d’apprendre tout autant, sinon plus, de ce dernier..
        Il me semble avoir lu d’ailleurs que la dernière phrase de l’Evangile de Matthieu était un ajout plus tardif ?

        Pour ce qui est de la transmission du « contenu » de la foi ( et de beaucoup d’autres richesses intellectuelles, artistiques et spirituelles léguées par les générations antérieures ), elle me paraît vraiment ce qu’il y a de plus nécessaire car, sinon, chacun pourrait se faire sa petite «  religion » personnelle. Ce qui convient bien d’ailleurs à nos temps d’individualisme et de marchandisation généralisée.
        Et pourquoi se priver et priver les générations suivantes des trésors spirituels du « passé « ? Comme il ne viendrait à l’esprit de personne, je pense, de condamner la transmission de la pensée antique, ou de la musique de Bach et de Mozart etc..On ne « met pas une lampe sous le boisseau »…Et l’Evangile n’a absolument rien de banal ? Il y a un «  génie propre du Christianisme », une ressource inépuisable de sens à explorer pour vivre.

        D’autre part, une idée de Dieu, de sa relation avec le monde et avec les hommes qui conditionne les formes de la relation des hommes entre eux, ne naît pas à partir de rien mais suppose une culture antérieure qui a pu lui donner naissance et longuement la développer, la mûrir, la transformer, comme on le voit dans la Bible ( A et N T). Nos expériences les plus intimes se glissent consciemment ou inconsciemment dans un langage donné. Nous pouvons, c’est vrai, enrichir ce langage ou au contraire le figer jusqu’à ce qu’iil ne ressemble plus qu’à une coquille vide. Ainsi nous sommes, que nous le voulions ou non, des héritiers qui enrichissent ou qui dessèchent « le « message «. Notre responsabilité, comme celle des «  transmetteurs «, vis à vis des générations suivantes est donc immense. Aurions nous en effet cette idée de Dieu et donc de l’homme, si elle nous avait pas été transmise, même accompagnée de toutes sortes de scories, perversions et déviances ?

        Je suis par conséquent personnellement sceptique face à une foi; seule expérience intérieure, dénuée de mots et de concepts communs, qui risquerait de devenir pure intuition ineffable, donc incommunicable et finirait par s’abolir ou à s’exprimer dans des cultes totalement irrationnels ( new age etc…) produits par des gourous.
        Une religion est ce qui relie les hommes entre eux et les fait vivre, autant que possible, dans une commune fraternité, sans en exclure, au contraire, en Christianisme, tous les autres humains.
        De plus, le Christianisme n’est pas ( ou n’est plus) qu’une religion de petites communautés. C’est aussi une civilisation, comme déjà dit, de trésors intellectuels, artistiques, spirituels accumulés pendant des millénaires.

        Pour cela, j’avoue éprouver une grande tristesse et un grand pessimisme tant à propos de «  la fin du Christianisme » accélérée par l’époque individualiste et matérialiste que par les fautes, l’aveuglement, la méconnaissance des attentes de nos contemporains, de la part de l’institution-Église.

        • A Marie-Christine,

          Le témoignage par la vie, au moins un minimum, est évidemment le plus exigeant. Le plus discret aussi.

          A propos de Matthieu 28, l’ajout tardif concernerait la formule trinitaire (liturgique). Eusèbe (265-339) rapporte toujours à peu près ceci : « Etant partis, de toutes les nations faites des disciples en mon nom, leur enseignant à garder tout ce que je vous ai commandé ».
          Quant au texte hébreu, il est plutôt traduit par :
          19. Allez
          20. et enseignez-leur à observer tout ce que je vous ai commandé, pour toujours ».

        • Votre analyse me paraît assez juste, Marie-Christine, et c’est bien pourquoi je pense qu’il ne faut pas jeter le bébé avec l’eau du bain, autrement dit l’institution Eglise et la trésor qu’elle nous a transmis.

          • Je pense Michel qu’il y a malentendu.

            Si pour vous, le «  bain » est l’institution- Eglise telle qu’organisée actuellement et avec sa doctrine, ses dogmes, elle a, pour moi, failli et n’est plus crédible tant à cause de ses propres fautes et contradictions que de son langage inadapté.
            Je le déplore car, comme déjà dit, si il n’y a plus de «  transmetteurs «, en tout cas dignes de foi pour la majorité, il n’y a plus de religion qui puisse donner corps aux aspirations spirituelles des hommes et encore moins de civilisation.

            Car, comme déjà dit aussi, une idée de Dieu nait à partir d’une culture sous jacente qu’elle imprègne en retour et fait évoluer.

            Je suis donc pessimiste sur l’avenir du Christianisme qui aura par la même tendance à se réfugier de plus en plus dans des groupes identitaires, ne faisant absolument plus sens pour nos contemporains et qui, en croyant sauver ce dernier, le «  dessèchent « et le «  figent «.
            C’est le processus qui, me semble t il, est à l’œuvre actuellement, en tout cas dans l’ère occidentale.

          • Je pense, Marie-Christine, qu’il n’y a pas malentendu mais divergence.
            Je partage ce que vous dites sur la nécessité de la transmission.
            Quelles que soient les faiblesses ou les turpitudes que l’on peut reprocher à l’Eglise et qui obscurcissent votre regard comme une loupe grossissante, c’est bien elle qui nous a transmis.
            Je trouve désastreuse cette résignation à la fin du christianisme que vous pensez inéluctable.
            Ce n’est pas mon point de vue.
            Je fais confiance à l’Esprit Saint.

          • Tout a fait d’accord sur le fait que c’est bien l’Eglise « imparfaite » qui nous a apporté la connaissance et la vie éclairée par l’Evangile, ce qui n’exlut pas d’entrer dans la recherhce nécessaire non pas pour une adaptation mais mais une réponse aux réaltés concrètes du réel des temps présents, ce que les temps passés se sont efforcés de faire à des époques successives. N’est-ce pas cela le sens de l’incarnation. N’en sera-t-il pas toujours ainsi ? Ne faut-l pas avoir l’humilité de penser que ce qui sera mis en forme pour notre temps (par les uns et els autres) sera en parti repris autrement encore dans l’avenir. L’histoire humaine y compris religiueuse est une marche en avant. Réjouissons nous de ce qui se profile à l’horizon avec ceux qui ne se contentent pas de « baver sur le passé », de « condalmner », mais qui ouvrent des chemins nouveaux à partir « des clairières en attente » ( livre de Jean Lavoué 2021) en relevant les « bénédictions cachées de notre temps » (expression de Michel Camdessus, conférence Avril 2021 aux Semains sociales).
            Merci à tous pour ces débats partagés.

    • Je ne fais qu’exprimer mon expérience.
      Éduqué dans une famille catholique j’ai découvert ce qu’a enseigné Jésus : « Participer à la construction d’un monde de PAIX ». Séduit, j’ai décidé d’en faire mon « idéal » et pour moi, c’est ce que je considère être ma FOI. J’ai ensuite voulu la cultiver, me nourrissant de tout ce que des « transmetteurs » m’ont apporté dans ce sens (religion, milieux culturels, petits groupes d’échange …). L’Évangile en est resté la racine principale, décrivant ce qu’est l’ÉGLISE instituée par Jésus, et COMMENT LA CONSTRUIRE. Je dois avouer que petit à petit j’ai pris un peu de distance (comme beaucoup d’autres !) par rapport à ma religion originale que je ressens comme pas toujours cohérente avec l’essentiel de l’Évangile. Et, entre autres, je rends grâce à l’Esprit pour tout ce que nous apporte notre Pape François.

      • Le problème, Michel (de Guibert), et en essayant de ne pas trop vous heurter – car je mesure combien ces questions touchent aux racines de l’être, aux fondamentaux, et c’est pourquoi elles peuvent être si intimement déchirantes et destructrices, pour vous comme pour moi – est qu’il ne suffit pas à l’Esprit Saint de souffler, il faut encore qu’il soit entendu.

        Un simple exemple, pour en revenir au sujet que je connais le mieux par la force des choses : nombreux sont ceux qui espéraient que les récentes modifications du droit canon relativement aux abus seraient significatives, vu le contexte. Mais la montagne a accouché d’une souris. Il apparaît par exemple que les personnes vulnérables sont celles qui n’ont pas toutes leurs facultés intellectuelles ou mentales. Rien sur les personnes soumises à l’autorité, qui sont pourtant éminemment vulnérables, on le sait quand on l’a vécu, Jean-Marc Sauvé l’a pointé après des milliers d’auditions.
        Pour le reste, on s’aperçoit qu’il est toujours plus grave de profaner un objet sacré qu’une personne, surtout si dans ce dernier cas, le violeur était sous l’emprise de la passion, ce qui diminue sa responsabilité. Heureusement que les violeurs ne violent pas froidement, juste pour passer le temps. Plus grave aussi quand ça se produit en public. Je me demande si quelqu’un a déjà violé en pleine nef, un dimanche.

        Pour finir, une anecdote concernant l’ex-religieuse déjà évoquée ici, violee par un prêtre de son ordre. L’official chargé de l’affaire a quand même pu lui dire que ce n’est pas elle qui avait été profanée, mais l’Eglise, puisqu’elle ne devait pas oublier qu’elle aussi avait fait des voeux à l’époque et que les deux étaient majeurs.

        La « loupe grossissante » dont vous parlez, à mon sens, pointe simplement le symptôme le plus visible d’un dysfonctionnement de fond, auquel ceux qui ont le « pouvoir », comme malheureusement des laïcs aussi, ne veulent pas toucher pour ne pas se trouver totalement déstabilisés.

        • Anne (Mardon), je ne connais pas le droit canon, mais ce que vous mentionnez pose problème en effet !
          Quand je parle de « loupe grossissante », je veux dire que ne voir de l’Eglise que ses turpitudes est tout aussi injuste que de ne pas les voir.
          Et je souscris à ce que disait Marie-Christine à propos de la nécessité d’une transmission du message évangélique.

          • Il n’y a pas « loupe grossissante » vu le peu qu’on sait des seuls abus sexuels selon les experts indépendants de par le monde. Il y en a d’autant moins que l’abus sexuel est un des types d’abus inhérents aux pouvoirs que l’institution s’est octroyée au fil des temps, passant outre les mises en garde contenues dans les écritures et celle de chrétiens dont la voix a été étouffée. Le trésor maltraité par ce peu qui est su; que se passera-t-il quand le reste viendra au jour alors que rien ne peut plus s’y opposer? Persister à dissimuler et atténuer ce qui transpire contribue, quelles que soient les intentions, à abimer plus encore le trésor.

          • Michel,

            Je me permets de vous répondre à nouveau sur ce point qui peut prêter à malentendu ou à divergence.

            Je pense qu’effectivement vous faites partie de ces fidèles de bonne foi et de bonne volonté ( et ce n’est pas du tout un reproche ! ) qui n’ont jamais été d’une quelconque façon victimes ou témoins directs d’actes inacceptables pour la conscience morale au sein de l’Eglise. Donc ils n’ont jamais eu à se pencher sur les arcanes du droit canonique, n’ont jamais lu le « Catéchisme de l’Eglise catholique » très attentivement, ( par exemple le chapitre sur les infractions au commandement sur l’interdît de l’adultère y incluant dans une même sorte de péché, viol, contraception, masturbation etc.. est une aberration intellectuelle et morale ), n’ont jamais eu affaire à la justice ecclésiastique ni de démêlés avec les autorités ecclésiales. Ils n’ont pas eu de droits personnels à faire valoir contre l’institution ni de luttes à mener contre plus «  fort » qu’eux par autorité et notoriété.
            Ils sont au courant bien sûr des turpitudes passées et présentes.
            Mais ils pensent qu’il n’y a rien la de bien nouveau ; de graves turpitudes ayant toujours existé et n’ayant pas empêché pour autant la transmission du «  trésor » jusqu’à nous, étant entendu que nous sommes tous des pêcheurs.

            Or nous sommes sans doute la première génération de catholiques à vivre un tel changement de société et donc de mentalités que ce raisonnement «  traditionnel » ne fonctionne plus et fonctionnera de moins en moins à l’avenir.
            D’où mon avis très pessimiste ( qui peut sembler à première vue paradoxal) à la fois sur la nécessité de la transmission et sur son impossibilité actuelle et future ( sauf pour une petite minorité «  identitaire », desséchant et figeant le « message » ), tout du moins dans l’ère occidentale d’ancienne chrétienté,
            A vrai dire, il s’agit d’un constat que j’estime lucide, même pas d’un avis.

        • Anne et Michel ( de Guibert),

          Si les autorités ecclésiales ne prennent pas très vite conscience de ce qui mine de l’intérieur ( et non de l’extérieur ) la credibilite de l’institution, à cause de diverses agressions et abus, et n’y remédient pas de façon elle aussi crédible, par le changement significatif du droit canon ( mettant en avant les dommages faits à la personne et non la «  sacralite «  du commandement divin ou de l’institution) et du fonctionnement du système, je crains fort que la crédibilité de l’institution ne s’amenuise encore davantage.
          Il ne suffit pas en effet d’invoquer l’Esprit Saint qui inspire peut être mais ne peut rien faire sans l’engagement résolu des hommes en faveur de la vérité et de la justice. La lucidité sur les temps, qui devrait aussi logiquement engager une prise de responsabilités, est en ce sens primordiale.
          Certaines atteintes graves aux droits humains ont pu être très longtemps tolérées par le passé et ainsi apparaître compensées par la transmission des «  trésors » dont nous parlions. Or ce n’est plus le cas dans nos sociétés. La «  loupe grossissante » est en fait un changement de mentalités du à des prises de conscience nouvelles, une plus grande attention aux droits de la personne, beaucoup moins de révérence spontanée pour les autorités etc…
          Si la lucidité sur notre « post modernité «  fait défaut, le risque actuel est de se contenter de vœux pieux, voire de sombrer inconsciemment dans l’opportunisme et même le cynisme du genre: tant pis pour ceux qui partent ou qui se révoltent contre mensonges et injustices. Seuls comptent ceux qui restent fidèles malgré tout. Replions nous donc sur le dernier «  carré des fidèles «, bien plus ; adoptons notre «  offre «  a sa seule demande de «  réassurance «, en attendant des temps meilleurs…qui sans doute ne manqueront pas d’advenir puisque nous avons l’éternité pour nous.
          Cette tendance ne réduit pas, bien au contraire, mon pessimisme.

  • Emprunter des chemins de traverse, si je veux rester cohérente avec ce que j’ai découvert à 20 ans, est pour moi inévitable.

    En ce qui concerne l’Eglise (institution mais aussi peuple de Dieu qui vit de celle-ci), je ne sais pas. Sans doute doit-elle pour le moins appuyer sur le bouton « pause » par rapport à son continuel souci de transmission et, a fortiori, de mission.
    Il est normal que cette gigantesque « machine », assez inamovible depuis le IVe siècle, se retrouve à bout de souffle. Tenter de continuer sur sa lancée sans s’arrêter pour réfléchir sur elle-même m’apparaît comme une fuite en avant.
    Le simple fait, parmi d’autres, qu’elle passe beaucoup de temps à moraliser sur le début et la fin de vie, mais soit parallèlement dans l’incapacité totale de protéger les plus vulnérables contre elle-même, suffit à poser question. Comment peut-elle continuer à transmettre ce qu’elle ne vit pas, sans que ce soient des paroles creuses, donc non crédibles, non transformantes ? Cela va très au-delà du classique « l’Eglise est formée de pécheurs » puisque c’est le fonctionnement même qui est en faute, ce dernier mot me semblant plus juste que celui de « péché » , qui a tendance à déresponsabiliser.

    Je n’ai évidemment aucune solution, je peine déjà énormément à en trouver pour moi-même.
    Je préfère en tout cas m’en tenir, plutôt qu’à
    Mt 28, au dernier verset : « Et moi, je suis avec vous tous les jours jusqu’à la fin du monde ».

    • A Anne
      En écoutant le professeur Axel Kahn évoquer sa fin de vie , je n’ai pu m’empêcher de faire la comparaison entre ce témoignage marqué du sceau de la plus profonde humanité avec le langage impersonnel , et doctrinaire de l’église catholique telle qu’il est fulminé par l’archevêque Ornellas .
      D’un côté l’exemple d’un homme qui assume son humanité et sa finitude , debout , lucide ,et responsable c’est à dire humaine ..De l’autre une théorie abstraite érigée en injonction qui veut toujours ignorer la complexité et la réalité de la vie vécue et de celle qui reste à vivre en être véritablement humain .
      La comparaison ne plaide pas en faveur du discours du magistère de l’Eglise aussi habilement et doucereusement exprimé soit il .

      • J’ignore à quels propos particuliers de Mgr d’Ornellas vous faites référence. Mais j’ai le souvenir d’un ouvrage publié sous l’égide de la Cef, dont il avait supervisé l’écriture, et qui cautionnait la loi Claeys-Leonetti pourtant contestée dans certians milieux catholiques. Je suis reconnaissant à Axel Kahn de ses déclarations empreintes d’humanisme, et peut-être plus encore d’apporter une démonstration publique que l’ont peut, en France, s’aprèter à mourir dans la dignité en respectant scupuleusement la législation en vigueur et sans recourir à l’euthanasie. Dès lors, sur quoi repose l’opposition que vous mettez en exergue entre les deux hommes ?

        • A René
          Axel Kahn a reconnu et assumé que le traitement qui soulagera sa douleur provoquera aussi son décès de manière anticipée . Ce type de sédation étant devenu légal depuis la loi Cleyss Leonetti .
          C’est sur ce point que Ornellas a exprimé son désaccord en répétant que l’église s’opposait a tout ce qui anticipait la « fin naturelle  » de la vie .Certes son propos était peu clair mais il en ressortait que l’on ne pouvait pas utiliser des moyens de soulager la souffrance lorsque ceux ci avaient pour conséquence de provoquer plus rapidement une mort pourtant inéluctable. Son expression est conforme à la doctrine de l’église .

          Certains, à l’époque avaient cru voir une ouverture et une évolution dans la position de l’église .En lisant attentivement son texte alambiqué je m’étais aperçu qu’il n’en était rien .

          • A Guy
            Une chose est de donner des médicaments puissants destinés à soulager les souffrances et qui peuvent abréger la vie, ce que font les services de soins palliatifs, autre chose est de donner délibérément une substance dans le seul but de donner la mort, ce que font certains en Suisse ou en Belgique.

          • Nous n’allons pas relancer ici le débat dont les attendus sont bien connus. Je m’étonnais simplement d’une mise en contradiction des propos de Mgr d’Ornellas et du vécu d’Axel Kahn. Dans le livre « Fin de vie, un enjeu de fraternité » (Salvator 2015) rédigé sous sa responsabolité, je lis (en p. 139) : « Le risque d’abréger la vie quand l’effet recherché est le soulagement des symptômes pénibles est déjà inscrit dans la loi. C’est le principe du “double-effet“. Ce risque est éthiquement acceptable. »

          • D’Ornellas ajoutait, si j’ai bien compris, que l’agonie, pour un chrétien, est un temps riche
            et qu’il lui serait d’une grande aide d’être accompagné spirituellement. Moi ça me fait un peu frémir.Accompagné par qui ? Et qu’en est-il des non croyants ?

          • A Anne
            Oui les propos de Ornellas sont sluvent alambiqués et ambiguës .Il semble faire une ouverture dans la forme et quand on lit attentivement on s’aperçoit qu’il n’en est rien .Merci de rappeler son étrange propos sur l’agonie .Dans une lettre aux diocésains, il appelait même à contempler l’agonie des personnes âgées… Tout cela a des relents de mise en exergue de la souffrance salvatrice qui me choquent profondément .

    • Je souscris, Anne, à lla totalité de votre beau commentaire. Le même ami qui nous disait que nous n’avions pas de vie antérieure, mais une existence antérieure, définissait le Christ comme « une puissance d’accompagnement intérieur ». Comme vous, je suis gêné par le terme de « mission », car la mission repose sur la transmission, le témoignage d’une expérience et par définition, l’expérience est intransmissible. On se gargarise de la formule pontificale que « l’Eglise doit être en sortie missionnaire ». Ca me paraît un tressautement de mots. « La marche de l’Evangile » que le cardinal Lustiger proposait aux Parisiens au début des années 90 a accouché d’une souris, car il s’agissait pendant dix ans, non pas d’aller au contact, mais de réfléchir à la manière de le faire, moyennant quoi on est resté calfeutré dans les églises et on n’en est jamais sorti. Le seul impératif que je me donne est de ne pas avoir honte de Jésus devant les hommes et la seule parole que je m’autorise est de dire que je vais à la messe tout en restant moi-même pour que ceux qui me côtoient sachent qu’un chrétien l’est, non comme une statue de cire, mais avec toutes ses contradictions.

  • A propos du risque d’élitisme dans une démarche de foi qui n’est pas exclusivement subordonnée à la logique institutionnelle ..

    Je crois que Jean Sulivan nous donne la réponse qui permet d’échapper au handicap du bagage culturel et de son langage qui peut être obstacle à la communion .
    .
    Elle est dans la reconnaissance d’une commune errance dans l’approche existentielle de la Parole :
    « Hommes sans lois ils portent leur lois en eux plus exigeante que vos codes ; D’instinct ils sentent la part de haine qu’il y a dans l’amour organisé et l’insondable tristesse sur les visages des garde à vous du devoir  »
    Leur race est invincible . Il ont des complices avec qui rire . Ils meurent ou vous faisant un léger clin d’oei lqui vous suite la vie entière  »
    Mais le ton d’une voix tel geste , un regard ; peut être . un repas pris ensemble . un acte qui signifierait . (matinales p 82 à 86.)

    Mais la transmission , l’institution , les signes tangibles de la communion ? objecte à juste titre Marie Christine .

    Et bien j’ai la faiblesse de voir dans cette citation de » Matinales » une définition de l’Eglise . Ce niveau de communion et de reconnaissance mutuelle auquel nous appelle Jean Sulivan dépasse et transcende nos catégories . Parce qu’il l’a lui même expérimenté avec les clochards avec lesquels ils partageait régulièrement le repas , il peut affirmer que ces moment de vie partagés dont on rend compte par un langage symbolique ou poétique compréhensible et accessible à tous permettent de créer cette communion . Ce que d’aucuns appellent l’église invisible .

    Alors peu importe que certains aient une expression de leur foi très piétiste , peu importe qu’ils pratiquent le rite extraordinaire ou qu’ils se sentent éloignés de toute démarche religieuse , peunimporte leur niveau culturel et leur capacité d’expression , .peu importe l’étiquette qu’ils mettent sur leur personne, le signe d’appartenance qu’ils exhibent pour donner aux autres et à eux même l’impression d’exister . Tout cela est dérisoire par rapport à la manière d’exister , d’exister vraiment dont nous parle Sulivan .

    La seule transmission qui vaille est celle de l’exemple donne par la vie vécue ( ceux d’entre nous qui ont été parents en savent quelque chose .)

    Jean Sulivan nous appelle au dépouillement de tout signe d’appartenance , de toute prétention dire qui nous sommes de manière extérieure à ce qui peut vivre profondément en chacun d’entre nous . c’ . C’est sans doute au bout de ce renoncement qui est d’abord libération que commence la Vie , Celle que le Christ nous promet en abondance ici et maintenant . Celle. que nous pouvons partager sans qu’aucun obstacle culturel , social ou religieux viennent l’entraver .

    Sans doute seuls les poètes comme Jean Lavoué et ceux qu’ils citent dans son livre peuvent rendent tangible cette réalité . N’étant pas poète , j’en suis incapable . Mais le plus important n’est il pas de l’expérimenter ?

    • Guy, je vous rejoins décidément sur le fait qu’avec Jean Sulivan, on est hors de l’élitisme. Il ouvre au contraire de larges portes, fait respirer.

      Voici ce qu’il dit dans « l’instant d’éternité » (pp. 61-62) :
      « La parole n’est pas spécifiquement religieuse. Elle est liée à la terre, elle est à tout homme, et l’Evangile est l’expression de cette parole. Tout homme, quelle que soit sa religion ou sa foi, peut l’entendre car elle est à lui, elle est à tous (….). Bien sûr, elle n’appartient pas à l’Eglise, mais sans l’Eglise l’aurions-nous entendue ? Cette parole fait éclater tout enseignement, aussi parfait soit-il. Elle n’est jamais lue une fois pour toutes. Elle est inépuisable. Chaque génération, chaque peuple doit recommencer. L’Eglise redoute l’Evangile car il l’empêche de s’établir dans des vérités définies qu’elle tente d’imposer comme si la recherche de l’homme n’était pas plus vivante que ses connaissances. L’Evangile est la limite de la science de l’Eglise qu’il précède et anticipe. L’Eglise a des frontières qu’ignore l’Evangile. La parole aussi est sans frontières, elle est illimitée. »

        • Vous avez tout à fait raison Julien. La parole n’appartient à personne. Elle murmure en nous, c’est tout.

          • Merci pour ces invitations à raisonnement basées sur du simple bon sens, et donc recevable par tous (une des caractéristiques de l’Évangile).
            Remarque : Ne pas confondre « raisonnement » et « savoir », même s’ils se complémentent l’un, l’autre.

  • Ce n’est pas moi qui trouve que l’Evangil est empreint de banalité, c’est Régis Debray qui le qualifie d' »enseignement de rue » dans « Dieu, un itinéraire ». Comme vous, moi, l’Evangile « me va très bien ». Je ne sais pas comment nos anciens construisaient leurs mythes, mais j’imagine qu’ils les citaient tout le temps, qu’ils farcissaient leur esprit, pour ne pas dire que les mythes d’antan étaient la farce de l’esprit des antiques… Moi, il n’y a pas d’heure où ne me vienne à l’esprit une citation de l’Evangile qui m’indique de quel côté doit pencher ma pensée et si possible mon agir.

    Si je « mythologise » l’Evangile en faisant corps avec lui dans mon esprit, je veux bien employer ce terme galvaudé, car aujourd’hui tout est mythe. Il me déplaît que nous mythollogisions tel épisode biblique, voire que nous prenions pour un « poème » le « récit de la Création ». N’étant plus à un paradoxe près, j’adhère à la formule de Jean Lavoué sur le « poème évangélique », mais me récrie contre le « poème de la Création ». J’ai discuté longuement avec le Père Bernard Lecareux dont j’apprends à l’instant le décès en vérifiant l’orthographe de son nom, RIP à ce saint et honnête homme de bien! J’aimais qu’il crût en l’inerrance biblique et j’aurais aimé faire le pèlerinage d’Israël sous la houlette de ce patriarche mosaïque.

    Je souscris à la définition dujungienne du mythe comme présent que rappelle Annick de Souzenelle. Pour moi, De Gaulle est un mythologue qui n’est pas mythomane et dont le mythe fonctionne partiellement, parce qu’il savait en se mentant qu’il produisait un mythe, celui de la France incarnée qui se survivait en sa personne et n’avait pas perdu la guerre.
    « A partir de maintenant, je suis la France », déclara-t-il à tante Yvonne quand elle reetrouva à Londres la trace de son grand homme.

    Mais le mythe n’est pas le sujet de ma réponse. Vous touchez juste quand vous percevez que je ressens une certaine frustration à lire l’Evangile et voici d’où elle provient. L’Evangile me parle de manière proverbiale, mais il ne répond pas à une de mes questions les plus fondamentales. Pour la poser, je ferai un détour par les idées. Je me suis souvent demandé ce qui vivait le plus, des idées censées être immortelles ou des hommes qui les ont et les professent; du goût des choses et de l’esprit de vin ou de l’homme qui apprécie les unes et les autres et fait usage de la vie. Or ce qui m’étonne dans l’Evangile est qu’il ne soit pas antérieur à toute réaction humaine et qu’il suppose l’agriculteur qui sème ou l’intendant qui fraude, les émotions humaines et les « aspérités du caractère de Jésus » dont parlait le Père Claude Jouneau à un groupe de recherche dont je faisais partie. Ce qui me manque, c’est que le Verbe ne m’ait pas formé de manière embryonnaire comme on parle de tissage dans le psaume 138, c’est qu’il ne m’informe qu’après coup. Cela me manque parce que, s’il m’avait formé avant, je serais exempté du combat spirituel alors que je ne suis pas combattif.

    Claudel fait dire à Meza dans « le Partage de midi » qu’il est « épelé par le Verbe ». Il est épelé quand son caractère a déjà fait surface et déjà fait de lui un personnage. Il est informé après, il n’est pas formé avant. Cela me manque.

    Je me souviens d’une discussion que nous eûmes avec mes deux meilleurs amis. L’une demandait à l’autre: « Tu crois que nous avons eu une vie antérieure? » Et l’autre de répondre: « Non pas que nous avons eu une vie antérieure, mais une existence antérieure, car nous avons tous participé à l’instant de la Création et nous avons tout vu. » Mais nous n’avons pas participé à l’instant de la création évangélique et pour cause, c’est l’Evangile qui nous recrée.

    • Moi aussi, Julien, il n’y a pas de demi-journée où ne me vienne à l’esprit une citation de l’Évangile qui m’indique « de quel côté doit pencher ma pensée et si possible mon agir », ce que je considère être le fondement de ma foi, qui que ce soit qui l’ait écrit (ou traduit). Je demande pardon aux lecteurs choqués par ces mots !
      Il est vrai que certains passages apparaissent un peu obscurs à première lecture, et bien il suffit d’échanger avec des « frères » pour en éclaircir la plupart.

  • Quelle richesse dans ces échanges : questions et réponses qui s’entrechoquent, se répondent, et provoquent à s’interroger soi-même et l’envie d’en parler avec d’autres. MERCI aux uns et aux autres. C’est pour moi, à la retraite, après avoir vécu plus de 50 ans dans les circuits de l’Action Catholique une vraie bouffée d’air et une source de questionnement et de provocation à la recherche, à continuer la réfélxion.
    Je retiens ce que l’un ou l’une a noté que l’essentiel est dans la FRATERNITE, dans le sens d’avoir de la considératiion pour l’autre pour les autres. Pas toujours facile dans un monde qui de bien des manières entretient surtout la polémique… chemin facile vers le complotismeen de nombeux domaines.

  • Une petite rectification à propos de mon commentaire précédent.
    Si je me souviens bien, des exégètes ont pensé que l’évangile de Matthieu avait été rédigé en hébreu en même temps qu’en grec. La théorie a l’air abandonnée.
    Mais ce n’était pas le sens de ma phrase. Je voulais dire : « le texte hébreu TRADUIRA plutôt… » Je trouve cela intéressant aussi…

    • Oui, c’était l’opinion de Jean Carmignac (qui avait repéré des sémitismes dans le texte grec et qui avait fait des essais de rétroversion du grec vers l’hébreu) et de Claude Tresmontant.
      Ils pensaient du reste à une version en hébreu antérieure à la version grecque.

  • En relisant tous les commentaires, riches et intéressants, je pense que pour certains (dont je suis), l’appartenance à l’Eglise n’est tout simplement plus possible, à moins d’aimer se faire violence et souffrir, ce qui pour moi est un non sens.
    J’essaie de mesurer mes mots, sachant combien beaucoup, sur ce blog, sont attachés à l’Eglise.
    Il ne s’agit pas seulement de la question des abus en tous genres, qui ne sont qu’un révélateur tardif, mais criant de ce qui, justement, dans l’enseignement et la tradition, a pu les rendre possibles, voire inévitables.

    Pour d’autres, si cette appartenance reste douce, nécessaire, enrichissante, je le comprends, du moins je m’efforce de le comprendre, puisqu’au fond c’est une question d’expérience.

    Mais finalement, Eglise ou pas Eglise, le problème de Dieu reste pour moi entier. Il n’était pas plus résolu lorsque j’étais catholique. Le Christ demeure un modèle indépassable, mais plus rien n’est balisé.
    C’est inconfortable, la vie est inconfortable.
    Comme toujours, je ne livre que mon expérience et toutes les autres sont respectables.

    Merci à vous, René, pour ce blog qui permet d’approfondir et clarifier ses idées.
    Bonnes vacances à tous.

    • Étant arrivé, par d’autres voies, à la même conclusion que vous Anne, du moins à peu près, je signale l’ouvrage de Peter Sloterdijk, « faire parler le ciel » (Payot, mars 2021) qui, si je me réfère au titre fort explicite et aussi à l’article de La Croix du 30/03 ou à la recension qu’en a fait Laurence Devillairs pour Etudes (07-08/2021) aborde la question « Dieu? » à partir des diverses cultures au cours de l’histoire.
      Deux citations donnent la première le ton et la seconde le propos de l’auteur (je n’ai pas lu le livre) :
      1/ « De la même manière que se sont tout récemment formés sur les océans de gigantesques tourbillons de déchets en plastique dont la dégradation biologique prendra des siècles, sinon des millénaires, de gigantesques tourbillons composés de résidus de dieux pourraient apparaître sur les océans de l’âme, même si on les remarque plus rarement. Leur épuration et leur recyclage ne sont réglés ni sous l’angle théologique, ni du point de vue ethnologique, psychologique ou esthétique, ni sur le plan de l’histoire culturelle. »
      2/ « La religion congédiée et renvoyée à l’inutilité sociale. C’est l’une des réalisations de la modernité. » … ajoutant plus loin « Elle est aussi superflue que la musique »… sans laquelle la monde serait invivable ce qui est, me semble-til, le point commun à tous ici.
      Pour préciser brièvement le « du moins à peu près » du début de mon propos, j’en suis arrivé à la conclusion que l’Église (quelle que soit l’idée que nous nous faisons du sens de la vie humaine) est composée des « humains de bonne volonté », en quelque temps et lieux qu’ils aient vécus et de quelque religion qu’ils se soient réclamés de leur vivant.

      • Je ne suis pas sûr de très bien comprendre la fine pointe de votre commentaire… Il ne me semble pas vrai que la religion ait été renvoyée par la modernité à « l’inutilité sociale », même si tel ou tel en avait le désir. Le pire si je puis dire est que le religieux chassé par la porte de la modernité revient par la fenêtre sous des déguisements qui peuvent nourrir légitimement une forme de nostalgie.

        Je n’oblige personne à croire ni à pratiquer quelque religion que ce soit. Mais je conteste radicalement que la religion soit à mettre au passif de notre vécu collectif. Et je considère que l’exercice de ma liberté de croyant n’est attentatoire à ce jour de la liberté de personne. Et si je puis me permettre, je redoute le jour où l’homme et la femme ne chercheront plus dans une forme de transcendance une manière de percer le mystère de leur propre existence.

        • L’inutilité sociale des religions, comme celle de la musique, relève du constat (l’auteur est un brin ironique voire sarcastique comme le signale Laurence Devillairs dans Études). Les sociétés européennes et d’autres sont passées de « la religion » à la libération du sens religieux. Ce constat de l’auteur, je le partage et ce n’est parce que des sociétés exercent leur droit d’inventaire sur le sujet « religion » qu’elles considèrent que tout est beau ou moche. Sans les christianismes, il n’est pas sur que cette libération auraient été possible, du moins en notre temps.
          A condition que les démocraties ne rompent pas face aux autocraties, cette libération se poursuivra ainsi que l’émiettement en chapelles des religions malgré leurs efforts pour maintenir « leur » unité.

  • Bonjour René,
    Merci pour ce texte très intéressant sur la Christianie. Je vous avoue avoir été surpris que vous ne mentionniez pas le nom de Jean Marie Martin, théologien respecté et discret, qui fait un gros travail de réflexion et de lecture des écrits de Jean et Paul, et qui intitulé son blog ( que je recommande même s’il s’adresse à des lecteurs un peu formes théologiquement ) « la Christite ».
    Ses conclusions recoupent celles de Jean L’avoue et de Raymond Panikkar.

    • Je n’en ai pas fait mention pour l’unique raison que je ne le connaissais pas… Merci donc d’attirer notre attention sur son œuvre.

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