Ce jour d’avril 2012 où je me suis senti redevenir «chrétien de gauche».

 

Par tradition personnelle et familiale je n’appartiens pas à la gauche mais à ce christianisme social, ouvert et généreux, qui n’est plus aujourd’hui incarné par une famille politique. Peut-être, d’ailleurs, est-ce mieux ainsi.

Je n’ai jamais été «encarté» nulle part, mais de la CFDT au CCFD en passant par des années de militance à la Vie Nouvelle, je sais où mon cœur m’appelle. Même si, dans ma vie professionnelle, une exigence d’éthique professionnelle m’a toujours interdit de confondre mes responsabilités journalistiques avec un quelconque engagement partisan : sinon au service du combat pour la dignité, la justice et la liberté qui, avec l’amour du frère, sont au cœur de l’Evangile. C’est pourquoi je me surprends un peu moi-même à trouver aujourd’hui mon nom parmi les «pères fondateurs» (il faudra fissa, trouver quelques compagnes, si nous ne voulons pas nous voir légitimement brocarder…) d’un blog dont la raison sociale «A la table des chrétiens de gauche» peut surprendre… en 2012. Si mon nom y figure, avec mini-cv et photo bon-chic bon-genre, c’est bien que j’ai du donner mon accord.

Sur mon blog : des articles pour dénoncer les projets «sociétaux» du candidat socialiste.

Voilà deux ans que j’ai ouvert mon blog personnel. Je l’ai «tenu» avec des hauts et des bas. Ce «papier» est le 104e si j’en crois l’outil statistique fourni par l’hébergeur. Je n’ai dégainé sur la présidentielle que le 11 février 2012, avec une «Lettre ouverte à François Hollande sur le droit de vivre dans la dignité» qui a beaucoup «tourné» sur FB, un second papier sur le même thème (1), puis un article sur le mariage gay et l’homoparentalité.

C’est assez dire que mon propos de blogueur n’était pas de participer à un débat de politique politicienne mais de pointer ce qui, déjà, me posait question dans le projet du candidat Hollande. Au point d’affirmer, le 16 mars : «Au nom d’une éthique de conviction je reste sensible au projet de justice sociale porté par le candidat socialiste ; au nom d’une éthique de responsabilité je n’apporterai pas mon soutien au défenseur d’un projet de loi qui se veut compassionnelle mais qui pose, sans doute en toute innocence, la première pierre d’un futur génocide des vieux et de tous les non-rentables de la société marchande !»

Une soirée sur KTO… 

Que s’est-il donc passé pour que le 3 mai suivant j’annonce mon intention de voter François Hollande au second tour de la présidentielle, malgré ces projets que je continue de contester ? Entre-temps j’ai été invité par KTO pour une émission spéciale sur la présidentielle. Nous étions alors, à quelques jours de l’échéance, au paroxysme du «chantage» intra-catholique sur les «points non-négociables». Car il faut bien reconnaître qu’au-delà du microcosme, personne ne comprenait vraiment de quoi nous parlions. De cette émission, je ne retiendrai ici que l’intervention du père Matthieu Rougé, curé de Sainte Clotilde et, à ce titre, «aumônier des parlementaires» (2) pour cette unique raison que c’est à lui que je dois ma «conversion»…

J’ai entendu de sa bouche que «réduire l’analyse de la crise à ses seuls éléments économiques, sociaux, financiers, risquait de masquer ses dimensions culturelles, morales et spirituelles» ce à quoi je pouvais souscrire ; j’ai entendu qu’il était des domaines «qui n’étaient pas du ressort de choix politiques» c’est-à-dire qui ne pouvaient pas être soumis à délibération démocratique, ce qui est conforme au discours traditionnel de l’Eglise mais qui, aujourd’hui, n’est plus reçu d’une partie de ses fidèles.  Car, s’il n’appartient pas, en effet, au législateur de fixer le bien et le vrai, il lui revient néanmoins de décider, dans une société déterminée et désormais pluraliste, du permis et du défendu.

J’ai entendu que si le texte de la Conférence des évêques de France d’octobre 2011 pointait bien 13 points de discernement, il en était trois qui se distinguaient des autres comme «non-négociables» car «touchant au respect fondamental de la dignité humaine», dignité qui, pour le coup, semblait ne pas inclure les conditions objectives d’accès de chacun : au logement, à la santé, au travail, à l’éducation, sans lesquels on voit mal comment un homme, une femme, pourraient assumer «devant Dieu ?» cette «dignité» qu’est l’accueil d’une naissance ou la vie de famille … Venir au monde, dès lors que l’on a été conçu, et mourir sans violence après avoir vécu au sein d’une famille hétérosexuelle, voilà ce qui plairait à Dieu. Tout le reste serait de l’ordre du contingent, chacun se débrouillant comme il peut avec ce qu’il a et ce que le gouvernement en place veut bien lui concéder…

J’ai entendu que l’argument du «moindre mal» ne pouvait être retenu, que la tentation du vote blanc était œuvre du diable et que la seule question à se poser désormais pour tout bon catholique était de savoir : «qui, dans son programme (de Nicolas Sarkozy ou de François Hollande), respectait le mieux la personne humaine ?» Devinez ? Euréka : c’était le président sortant, CQFD.

… et pour moi tout bascule ! 

Sauf que j’avais cru comprendre, depuis des mois, que la Cef se refusait à indiquer le «bon choix» aux catholiques de France (3) et que je n‘avais trouvé nulle trace dans le document des évêques de la notion de «non-négociable» (4) que le Président de la Cef lui-même semblait avoir banni de son vocabulaire… Mais, subtilité de l’organisation ecclésiastique, le Père Matthieu Rougé ne dépend pas du président de la Cef mais du cardinal-archevêque de Paris. Peut-on lui reprocher d’avoir, ce soir-là, «fait son travail» ?

Le 30 avril, en fin de soirée, je me suis senti glisser dans ma peau de «chrétien de gauche». Le 3 j’annonçai, sur mon blog, ma décision de voter pour le candidat socialiste «malgré» ses projets de réforme de sociétale, bien décidé à continuer le combat. Et je m’enquis aussitôt de savoir comment et avec qui je pourrais désormais faire entendre que l’on pouvait être fidèle à l’Evangile, en communion de foi avec le pape et les évêques, et agir librement «en chrétien» dans la société où il nous est donné de vivre et demandé de témoigner. Voilà le sens de mon engagement au sein des «Chrétiens de gauche» qui tiennent désormais, sur leur blog, table ouverte.

 

  1. Je mets sur un autre registre l’article consacré à la retraite à 60 ans.
  2. Son titre exact est directeur du Service pastoral d’études politiques.
  3. Même si, finalement, je n’avais pas eu une trop mauvaise intuition en titrant un article de mon blog, le 17 février : «L’Eglise ne donne pas de consigne de vote, mais…» 
  4. Ni d’ailleurs de réferences aux textes de 2002 et 2006 du cardinal Ratzinger puis de Benoît XVI évoquant cette notion.

3 comments

  • MERCI de ce texte très clair. Je vous rejoins tout à fait. Moi non plus, je n’ai pas voulu voter pour Nicolas Sarkozy … pour les mêmes raisons que vous, je pense. Il me semble que l’Eglise catholique risque d’apparaître de nouveau comme un soutien de la droite, et que ceux qui opèrent ce rapprochement risquent fort, à leur insu, de nuire à l’Eglise et de compromettre son action: elle apparaîtra de nouveau liée aux puissants, financiers ou politiques. Est-ce cela le message de l’Evangile? Est-ce cela la fidélité au Christ?
    En même temps, oui, je crois qu’il nous faut absolument lutter contre le projet du mariage homosexuel, ne fût-ce que pour ne pas jouer les apprentis sorciers avec les enfants. Nous avons à faire entendre notre voix, mais hors de toute sympathie politique, un peu comme les évêques avaient tenté de le faire en 1984, à propos du projet de nationalisation de l’enseignement privé.

  • Les prurits nombrilistes et suicidaires des catholiques m’effarent!
    Baptisé dans l’Église Catholique depuis plus de 82 ans. Titulaire retraité d’une carte de presse antédiluvienne. Lecteur de La Croix depuis que Le Monde est passé au « libéralisme ». Nanti d’une expérience de responsable de la rédaction d’un petit hebdo professionnel, je prie les journalistes catholiques d’aujourd’hui de chercher les mots, styles et techniques qui permettraient aux moins de quarante ans de comprendre que le Chritianisme c’est Jésus, de l’Annonciation à la Pentecôte, de la tentation au désert au sermon sur la montagne, de la Samaritaine au renversement des tables des changeurs,des répiques à Pilate à la condamnation par la Sanhédrin sans la moindre accointance avec les sépulcres blanchis du Vatican ni avec la babarbarie des Chicago boys.

Comments are closed.