Les pieds dans le bénitier

Dans un ouvrage récent, Anne Soupa et Christine Pedotti reviennent sur l’épopée du « Comité de la jupe » puis de la « Conférence catholique des baptisés de France », dont elles précisent les objectifs. Je partage leur analyse… moins leur propositions d’action.

On se souvient de leur coup de sang, en novembre 2008, contre la « petite phrase » malheureuse du cardinal archevêque de Paris à propos de la prise de responsabilités des femmes dans l’Eglise : « le tout n’est pas d’avoir une jupe, c’est d’avoir quelque chose dans la tête ». Dans Les pieds dans le bénitier (1) nos deux « pétroleuses » (soit dit avec affection) reviennent sur cette goutte d’eau qui fit déborder le vase, les conduisant à créer le Comité de la Jupe puis la Conférence catholique des baptisés de France. Initiative qui allait se retrouver renforcée par les « événements » de l’hiver 2008-2009 : levée des excommunications sur quatre évêques Lefebvristes dont le triste Mgr Williamson, affaire de l’avortement de la « petite brésilienne » et polémique autour des propos de Benoît XVI sur  l’usage du préservatif dans la lutte contre le sida en Afrique. Autant d’événements qui, on s’en souvient, ont fortement ébranlé l’opinion catholique et fait parfois l’objet de jugements pour le moins hâtifs à l’encontre des médias, de la part de la hiérarchie catholique.

Dans leur livre, Anne Soupa et Christine Pedotti reviennent, dans le détail, sur leur initiative et ses motivations. Occasion pour elles de développer l’analyse, qu’avec d’autres, elles font de la situation actuelle de l’Eglise catholique et de ses blocages. Sort fait aux femmes et plus généralement aux laïcs dans une Eglise en voie de recléricalisation où règne la « presbytérocratie ». Même si elles soulignent que leur dénonciation du cléricalisme ne vaut pas mépris des clercs. Mais enfin rappellent-elles, « c’est le peuple chrétien tout entier qui est peuple sacerdotal » et l’ensemble des baptisés qui comme « prêtres, prophètes et rois » sont configurés au Christ et appelés à partager une commune responsabilité dans l’Eglise. Une ecclésiologie légitimée par Vatican II, mais aujourd’hui battue en brèche.

Dans le même esprit, elles dénoncent le maintien, dans l’enseignement du Magistère : du mépris de la modernité au nom « d’une détention des clés de l’éternité » ; du rejet de la revendication à l’autonomie de la raison humaine, perçue comme « péché d’orgueil » ; de la délégitimisation d’une culture du débat, dans des sociétés de tradition démocratique, « au prétexte qu’en régime catholique, tout viendrait de Dieu pat voie hiérarchique… » ; de la stigmatisation du peuple chrétien accusé « de ne plus fournir son contingent de prêtres ». Rien de très nouveau mais qui, ainsi rappelé, aide à comprendre les réticences actuelles de nombre de catholiques, à l’invite pontificale d’une « nouvelle évangélisation » qui semble vouloir prendre les traits d’une forme de restauration. Les propos de Benoît XVI sont-ils si éloignés de ceux de Jean-Paul II lors de sa visite en Pologne, en juin 1979 : « La civilisation vraiment digne de l’homme doit être chrétienne. » (2)

Anne Soupa et Christine Pedotti ont raison de dépeindre le contexte actuel d’une Eglise où la « peur de Rome » semble l’emporter à tous les échelons de l’institution, et la peur tout court, qui conduit à tous les repliements, à des réflexes de forteresse assiégée, et à cette conviction, partagée par beaucoup même si elle reste informulée, que « c’est le moment de se débarrasser de tous ceux qui ne sont pas fiables ». Comme elles, j’ai entendu bien des fois, dans de précédentes fonctions,  l’injonction de ces « nouveaux croisés d’un catholicisme intégral qui nous intiment de nous taire ou de partir. »

On connaît leur réponse, depuis le premier jour : « ni partir ni nous taire », auquel elles ajoutent désormais cet autre slogan qu’elles disent « fondateur » de leur action : « Nous ne demandons rien mais nous espérons tout. » Ne rien demander, expliquent-elles, parce que, de toute manière, cela nous sera refusé alors qu’agir ne dépend que de nous. « Les laïcs fidèles du Christ sont en fait beaucoup plus libres qu’ils ne le croient. le Vatican gouverne les clercs (…) Les laïcs ne prêtent pas de serment particulier d’obéissance, comme les théologiens ou les évêques, ou même les prêtres et les diacres. »

Certes, mais faut-il pour autant se « résigner » comme elles le demandent ou comme je le comprends pour ma part. Permettez-moi de les citer, ici, un peu longuement :  » Mettons-nous en marche, en responsabilité, à l’échelle d’intervention qui est la nôtre (…)  Afin que les idées que vous allez avoir ou que vous avez déjà, puissent être immédiatement suivies d’effet, nous vous demandons d’accepter de vous situer dans les règles actuelles de l’Eglise catholique : discipline du célibat masculin pour les prêtres, non admission des divorcés-remariés à la communion eucharistique, gouvernement central du Vatican… Règles que nous acceptons, non parce que nous les approuvons, mais parce qu’il est beaucoup plus urgent de retrouver du dynamisme et d’agir, que d’user nos forces à réclamer des réformes à une administration sourde. »

Si passer à l’action est effectivement la meilleure manière de montrer que « l’on ne part pas »… se résigner, par simple tactique, à des blocages que l’on réprouve n’est-il pas, finalement, l’une des différentes manières qui existent de… « se taire » ?  D’autant, chères amies, que quelques unes des « propositions d’action » publiées en annexe, me laissent dubitatif. A quoi peut-il bien servir de « chercher une ville où pourrait se tenir un concile » dont la probabilité est pour le moins incertaine et qui, pour le coup, ne dépend pas de nous, pauvres laïcs ? A quoi, tout autant, dresser la liste, dans nos paroisses, de « viri probati », ces « hommes de confiance » le plus souvent mariés, que d’aucuns voudraient voir accéder au sacerdoce, si le refus demeure d’engager tout débat sur les ministères ?

Ne voyez, dans l’expression de ces réserves, que le souci de partager avec vous une même réflexion au service de notre Eglise et de son devenir. Mais ne sont-ce point-là, mesdames et chères amies, des prudences par trop épiscopales ? Je préfère, pour ma part, votre invitation, plus simple, à demeurer « là où nous devons être, dans les plaines, avec nos frères et soeurs humains ».

(1) Presses de la Renaissance, 270 p. 19 €

(2) La Documentation catholique n°1767, p.613.