Présidentielle : les trois coups 

Présidentielle : les trois coups 

Avec simplement quatre millions d’électeurs, le premier tour de la primaire à droite fait déjà figure d’ouverture, déterminante, du scrutin présidentiel.

Cet article a été repris, le 25 novembre, par le site Causeur.fr, sous le titre : Fillon, le coup de fouet qu’il fallait à la gauche. Il a également été repris sur le site A la table des chrétiens de gauche.

Ce matin je suis reconnaissant à la droite d’avoir, peut-être en partie malgré elle, contribué à réhabiliter le débat politique dans ce pays. Que quelque 4 millions d’électeurs aient participé à cette partielle est pour moi une bonne nouvelle. Une partielle qui, n’en doutons pas, fait déjà figure de premier tour de la présidentielle de 2017 qui en comptera donc six… pour ceux qui le voudront. Comment aurait-il pu en être autrement ? J’ai écrit dans ce blogue combien et pourquoi la perspective d’un second tour entre Nicolas Sarkozy et Marine le Pen m’était insupportable comme à de nombreux citoyens de ce pays. Au lendemain de ce scrutin j’exprime donc ma satisfaction de voir cette perspective disparaître de l’horizon… et d’y avoir contribué.

L’expression, à droite, d’un désir d’alternance sans compromis

Comme une majorité de Français, la surprise reste pour moi la percée fulgurante de François Fillon qu’en toute honnêteté je n’ai pas vu venir. Parce que les cartes me semblaient bien distribuées entre une droite forte incarnée par Nicolas Sarkozy et une droite soucieuse d’élargissement au centre portée par Alain Juppé. Aujourd’hui je constate, comme beaucoup, que nombre d’électeurs de droite ont fini par lâcher l’ancien président, dont l’image, ternie, devenait impossible à assumer, pour se reporter sur François Fillon par ailleurs libre de toute collusion avec le centre. Il faut donc lire le scrutin d’hier comme le désir d’une majorité d’électeurs de droite de marquer une alternance politique nette, sans concession, avec un quinquennat qu’elle exècre.

Un second tour interne à la droite et au centre

Chacun s’accorde à dire que François Fillon ne s’est pas pour autant installé, hier, à l’Elysée. Que les jeux ne sont faits ni au sein de la droite, pour la primaire, ni à plus forte raison au niveau du pays, pour la présidentielle. Bref : que tout peut encores arriver. C’est exact. Mais qu’on le prenne dans un sens ou dans l’autre on voit bien que tout suggère la possible victoire de François Fillon.

On imagine mal comment Alain Juppé pourrait, en une semaine, inverser un rapport de forces qui est de deux-tiers – un tiers en faveur du député de Paris, suite au ralliement de Nicolas Sarkozy (1). Et l’on peut douter que les 600 000 électeurs de gauche qui, dimanche, se sont déplacés pour faire barrage à l’ancien président de la République se sentent particulièrement intéressés à départager les deux anciens premiers ministres. (2) D’autant que l’intérêt objectif de la gauche est finalement d’avoir en face d’elle un « vrai » candidat de droite dure : en l’occurrence François Fillon. Ce second tour risque fort de redevenir, pour le coup, un scrutin interne à la droite et au centre. Au premier tour on élimine, au second on choisit ! Ce n’est pas le moindre paradoxe de cette primaire.

Derrière la présidentielle, une recomposition du paysage politique ? 

Je lis, ici ou là, que la gauche serait encore à même de l’emporter. Mon scepticisme est total. Avec déjà trois candidatures annoncées hors primaire (Yannick Jadot pour EELV, Jean-Luc Mélenchon et Emmanuel Macron) on imagine mal par quel miracle une gauche éclatée qui représente dans les sondages quelque 35% des intentions de vote pourrait être présente au second tour de la présidentielle. Avec ou sans François Hollande. Comment Emmanuel Macron, qui entend dépasser le clivage droite-gauche pourrait-il trouver à droite les voix dont il a besoin pour nourrir sa propre dynamique, alors que l’essentiel de cet électorat, avide de revanche sur le quinquennat de François Hollande, se sent galvanisé par le score de François Fillon et en mesure de l’emporter, précisément à droite toutes ?

Bien évidemment de longs mois nous séparent encore du scrutin de la présidentielle et il faut souhaiter, pour notre démocratie, que le débat politique se prolonge, s’approfondisse et s’amplifie, dans la dignité qui a marqué pour l’essentiel les semaines que nous venons de vivre. Et qui peut nous rendre fiers au regard des dérives dont nous avons été les témoins atterrés, outre-Atlantique.  Car de ce débat dépend non seulement le choix d’un nouveau Président de la République, mais la clarification nécessaire à une recomposition ultérieure du paysage politique et sans doute à une réexamen de nos pratiques démocratiques.

L’ombre portée d’une «droite catholique réactionnaire…» 

Depuis hier, nombre de commentateurs épiloguent sur la personnalité de François Fillon qui serait, dans cette présidentielle, outre le vecteur d’une droite dure au plan économique et social, le porte étendard de la Manif pour Tous. Et donc l’émanation d’une droite catholique réactionnaire. Je ne suis pas sûr que ce soit là la manière la plus intelligente d’entrer dans la compréhension des événements que nous avons vécus depuis 2012. Et, pour la gauche, la meilleure manière d’affronter son avenir. Le déni de la réalité est toujours une faute politique. Aujourd’hui elle se paie au prix fort. Loin de moi de considérer que le discrédit de la gauche dans l’opinion viendrait du seul vote de la loi Taubira. Il s’ancre bien évidemment pour l’essentiel dans la crise financière, économique et sociale que le gouvernement n’a pas su ou pu enrayer.

L’impasse d’une idéologie libérale-libertaire

Mais dans la recomposition du paysage politique qui s’annonce et qui n’interviendra qu’après l’échéance présidentielle, la gauche devra tout de même s’interroger sur l’impasse d’une idéologie libérale-libertaire qui la conduit à un état de décomposition qu’elle se refuse toujours à regarder en face. Pour avoir négligé les classes populaires au bénéfice des classes moyennes dont aujourd’hui elle ne parvient même pas à assurer l’avenir, la gauche a creusé le lit du Front National et fait naître dans le pays un profond désir d’alternance.

Pour avoir refusé de voir que si le pays était majoritairement ouvert à une conjugalité homosexuelle, il restait réfractaire à la perspective d’une filiation qui supposait, à terme, la généralisation de la PMA et de la GPA, la gauche s’est aliéné une partie de l’électorat catholique, souvent issu du centre-gauche, qui n’est ni homophobe ni réactionnaire. Sauf aux yeux d’une gauche idéologique persuadée d’incarner le sens de l’Histoire. En quoi serait-il réactionnaire de défendre la notion de «droits collectifs» – le bien commun – nécessaires à la cohésion d’une société, contre celle de «droits individuels» sans limite ? En quoi serait-il être homophobe d’affirmer que l’égalité des droits des adultes ne peut se concevoir et se construire que dans le respect de l’égalité des droits des enfants ?

La ligne que porte aujourd’hui François Fillon dans ce débat : maintien des droits liés à la conjugalité homosexuelle et à l’adoption simple, refus de tout élargissement de cette filiation est tout simplement la ligne de consensus de la société française sur le sujet, telle qu’exprimée à l’automne 2012 par l’Union nationale des associations familiales (UNAF) où figuraient des associations familiales laïques. C’est la ligne aujourd’hui défendue par L’Avenir pour tous de Frigide Barjot, là où la Manif pour tous continue de réclamer l’abrogation pure et simple de la loi Taubira, y compris dans sa composante conjugale, ce qui était la position de Frédéric Poisson.

Nous sommes un certain nombre de catholiques, ancrés à gauche, à avoir défendu cette ligne de compromis, avec constance, dès l’élection de François Hollande. Nous avons averti qu’il y avait dans cette promesse de campagne le risque de diviser profondément le pays. On s’est moqué ! Nous avons souligné, au lendemain du vote, qu’à la faveur d’une alternance politique fortement marquée de désir de revanche, ce qu’une loi avait fait une autre loi pouvait le défaire ! On nous a plaints de notre aveuglement. Nous y sommes ! Ou presque !

Pour une nécessaire recomposition politique

Aujourd’hui je ne me réjouis pas particulièrement de voir ce débat refaire surface. J’ai toujours exprimé que, pour ma part, il ne serait pas déterminant dans mon choix personnel pour la présidentielle de 2017. Je regrette simplement l’aveuglement persistant de la gauche sur ces questions sociétales ou toute critique, même venant de son camp, est lue comme réactionnaire. Si ce blocage persiste, il risque de compromettre demain une nécessaire  recomposition politique qui ne ferait pas leur juste place à celles et ceux qui entendent se battre contre les dérives de l’économie libérale et tout autant contre celles d’un libertarisme également destructeur.

Pour l’heure je prends acte de l’événement politique que constitue incontestablement le premier tour de cette primaire à droite. Elle frappe en quelque sorte les trois coups de la Présidentielle : trois coups qui marquent pour des mois le lever de rideau de la pré-campagne, trois coups qui ont déjà mis à terre Nicolas Sarkozy, ébranlé Alain Juppé et mis François Hollande et la gauche au pied du mur.

 

(1) Ce sera, de fait, au terme du second tour, l’exact rapport de forces entre les deux finalistes : 66,5% contre 33,5%. (Note rajoutée le 28 novembre.)
(2) Soulignons au passage que si ces six cent mille électeurs de gauche n’avaient pas participé à la primaire, on peut imaginer que François Fillon ait pu être élu dès le premier tour.

© René Poujol

11 comments

  • Espérons que les « Poissons roses » feront bouger les lignes à gauche comme Fillon les a fait bouger à droite…

  • La recomposition politique viendra du peuple et par le peuple, comme c’est le cas actuellement dans la plupart des pays démocratiques occidentaux. Elle ne viendra pas des appareils que le peuple ne cesse de déstabiliser, tant par son bulletin de vote, que par l’influence des réseaux sociaux et autres moyens qui passent par-dessus la verticalité politique et la verticalité des médias.
    Autrement dit, il faut s’attendre encore à des surprises aux présidentielles de 2017. Moins que jamais les jeux ne sont faits à l’avance. Même si le raisonnement peut faire la démonstration que c’est plié, et que le vainqueur final de la primaire sera le futur président.
    Pour l’immédiat il fallait, à juste titre, virer Sarkozy. C’est fait !
    Mais pour le reste tout est encore dans les possibles.
    Malgré la multiplicité des candidatures « égotiques » , le peuple des électeurs est bien capable de se fixer sur une certaine candidate, par application du principe simpliste : « celle-là, on ne l’a pas encore essayée… alors pourquoi pas ! » (et même au second tour !)
    L’électeur moyen, s’il ne manque pas d’intelligence, peut parfaitement être attiré par une solution simpliste, quand bien même ce serait pour lui se tirer une balle dans le pied…
    les accidents de chasse peuvent exister autant que les accidents électoraux !

  • Faisant partie des 600000 électeurs de gauche qui ont voté au premier tour de cette primaire, j’irai voter au second tour.

  • Merci René de cette analyse. Si des sympathisants du Centre et de la Gauche se sont mobilisés ce dimanche pour écarter Nicolas Sarkozy et éviter d’avoir un second tour de la présidentielle Le Pen-Sarkozy, je pense qu’ils ne devraient pas être indifférents au second tour de la Primaire de droite. Car, entre un Fillon et un Juppé, lequel des deux sera le plus en capacité de rassembler et de faire barrage à Marine Le Pen ? Dans un duel Le Pen / Fillon, il y a fort à craindre que la droite libérale n’emporte pas l’adhésion des électeurs du centre et de gauche et ouvre par leur abstention un boulevard à la démagogie frontiste.

    • L’argumentation est bonne. Mais je crains que ne prévale, dans cet électorat, l’idée que la gauche conserve ses chances face à une droite dure. Et je n’imagine pas davantage ces électeurs de gauche et du centre avoir, dans leur majorité et dans l’hypothèse d’un second tour Fillon – le Pen, la même tentation de l’abstention que si Sarkozy l’avait emporté. Enfin, 600 000 voix, fussent-elles toutes en faveur de Juppé, risquent de ne pas suffire à contrebalancer l’engouement de ceux que la « divine surprise » du succès de François Fillon rend sans doute dans l’immédiat aveugles sur les « risques » de sa désignation comme champion de la droite républicaine. Mais je peux me tromper.

      • Je ne sais pas ce que feront les autres, je ne peux me prononcer qu’en mon nom. Mais ce qui est absolument certain, c’est que si le second tour de la présidentielle devait opposer Le Pen à Fillon, je n’irai pas voter, comme je ne serais pas allé voter pour Sarkozy contre Le Pen non plus.

        Bayrou, Juppé, oui, je le ferais, comme j’ai voté Chirac en 2002. Mais Fillon, ça, jamais.

  • Les qualités personnelles ; sobriété, prestance, sincérité, honneteté, continuité de l’effort, équilibre familial plus que le programme ont permis à François Fillon d’arriver largement en tête du premier tour des primaires de droite et du centre. A ces qualités j’espère qu’il ajoutera la pugnacité et le sens du rassemblement pour vaincre les solutions simpliste de la candidate au 2ème tour des élections présidentielles. La maturité des électeurs du premier tour des primaires prouve que l’objectif est atteignable. Ce n’est pas un pronostic mais un espoir.

    • Il y a du vrai dans ce que vous écrivez sur le profil personnel de François Fillon, comparé à l’image dégradée de Nicolas Sarkozy et qui a justifié son rejet. Mais on n’élit pas un homme Président de la République uniquement parce qu’il est « propre ». Le programme ne peut passer pour secondaire. Ce sera sans doute l’objet du débat, cette semaine.

  • L’idée de primaire résulte des évolution de la constitution (durée du mandat, parrainages, législatives accolées à l’élection présidentielle, et des fractures apparues au sein des deux « grands partis, devenus incapables, fautes de militants (comme les syndicats!) et par le jeu des ambitions. Les partis qui avaient déjà la haute main sur les investitures (élections locales, territoriales, députés y compris européens) prennent maintenant la main sur la présidentielle. C’est à moyen terme poursuivre dans la voie qui a permis au FN de passer de ses 5% usuels à 30%. Attention, la bascule est proche! Le danger principal serait une élection contre MLP, en sorte que le Pt faute d’une majorité durable, devra louvoyer avec l’opinion, les sondages, les experts et la rue le cas échéant. Un programme sera dans ces conditions aussi illusoire que celui de Trump. La situation idéale serait un 2d tour entre deux démocrates, si possible libres par rapport aux partis, … et un résultat en Allemagne l’an prochain qui permette de sortir enfin l’UE de sa médiocrité.

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