Propos romains… sur l’immigration.

Je ne commenterai pas ici les sous-entendu électoralistes de la visite au Vatican de Nicolas Sarkozy. Mais je dois avouer que certain propos présidentiel sur l’immigration, rapporté par la Croix, me parait être ou d’une maladresse rare (ce qui est peu probable s’agissant d’un discours déjà écrit) ou d’un cynisme consommé.

Nicolas Sarkozy et Benoît XVI ont-ils ou non évoqué la question qui fâche : celle de la politique française à l’égard des Roms récemment mise en oeuvre ? Le communiqué officiel de la salle de presse du Vatican n’en dit mot et cela, au fond, nous importe peu. On se souvient néanmoins, qu’au plus fort de la polémique qui avait vu plusieurs évêques Français « monter au créneau », le pape, depuis sa résidence d’été de Castelgandolfo, avait appelé, en français, « à savoir accueillir les légitimes diversités humaines. » Des propos qui n’étaient pas passés inaperçus. Même si, tous les sondages le montrent, les catholiques français sont peu empressés, dans leur majorité, à emboiter le pas de leurs évêques sur un sujet aussi brûlant que l’immigration.

Et pourtant, peut-on reprocher à ces derniers de redire les exigences de l’Evangile ? Oui, semble affirmer Jacques Rollet, théologien et politologue, dans un forum de la Croix en date du 13 septembre. Paradoxalement, s’il évoque la célèbre distinction de Max Wéber entre éthique de conviction et éthique de responsabilité… c’est précisément pour mieux reprocher aux évêques de ne pas se rallier à cette éthique de responsabilité. Comprenne qui pourra. Dans sa chronique, l’auteur cite Raymond Aron : « être moral en politique, c’est se demander : que ferais-je si j’étais au gouvernement ? » Soit mais c’est tout simplement se tromper de cible et adresser au cardinal archevêque de Paris le reproche que l’on pourrait faire, pourquoi pas, à la première secrétaire du parti socialiste. Etre moral EN POLITIQUE, dit Aron ! Mais ce n’est là ni le registre ni la responsabilité des évêques.

Si l’on refuse à des évêques le droit à se réclamer d’une éthique de la conviction, à qui le reconnaîtra-t-on ? Comment imaginer quelque progrès moral que ce soit, dans une société, si on demande aux tenants d’une éthique de convictions de se rallier à la seule éthique de responsabilité ? Quel débat démocratique est-il encore possible si le légal est considéré, a priori, comme suffisamment moral pour n’avoir pas à être remis en cause ? Or c’est bien ce que semble suggérer cette chronique pour le moins contestable.

Certes la question n’est pas simple. Et l’on a vite fait, en matière d’immigration, de sombrer dans l’angélisme. Mais deux choses ont profondément choqué l’opinion et justifié, sans doute, l’intervention de plusieurs évêques. Tout d’abord la stigmatisation collective des Roms. S’il y a parmi eux, des délinquants, la loi et le bon sens nous disent que ce sont les seuls délinquants qu’il faut poursuivre et non la totalité d’un communauté. En droit pénal il n’existe pas de responsabilité collective. Et si le délit vient du maintien de camps, sur le territoire français, au-delà des délais prévus par la loi, encore faut-il que les procédures soient appliquées sans recherche d’effet médiatique et dans le respect des personnes. Ce qui est loin d’être ici le cas !

Par ailleurs, allons au bout de choses : qu’est-ce qui est le plus choquant : l’expulsion massive de roms, sur ordre du gouvernement, après destruction de leurs campements ou le fait, pour les citoyens que nous sommes, de fermer les yeux sur leurs conditions de vie, inhumaines, dans ces mêmes camps, à ceux pas de chez nous ? De ce point de vue, on peut comprendre la réaction de groupes de chrétiens qui, précisément, se souciaient, eux, de leur venir en aide.

Mais venons-en au voyage romain du chef de l’Etat. Dans son article de ce lundi 11 octobre, Frédéric Mounier, correspondant permanent de La Croix à Rome, rapporte la teneur de la « méditation » du cardinal français Jean-Louis Tauran, dans la chapelle dédiée à Sainte-Pétronille, protectrice de la France, au coeur de la basilique Saint-Pierrre, ou le chef de l’Etat était allé se recueillir : « Nous demandons à Dieu, pour le peuple de France et ses dirigeants, courage et persévérance afin que chacun à sa place considère ce qu’il peut accomplir, seul et avec d’autres, pour le respect absolu de (…) l’accueil des persécutés et des immigrés… » On reconnaît là la patte du diplomate.

Une heure plus tard, toujours selon La Croix, dans son discours à l’ambassade de France près le Saint-Siège, Nicolas Sarkozy lui faisait cette réponse : « Lutter contre l’immigration illégale qui produit tant de détresse et de drames, qui prive les pays les plus pauvres de leurs forces vives, c’est un impératif moral. » Alors là les bras m’en tombent ! Ce qui prive les pays les plus pauvres de leurs « forces vives », Monsieur le Président, ce n’est pas l’immigration illégale, c’est « l’immigration choisie » qui figure en si bonne place dans votre politique. Je n’ai pas souvenir qu’on ait jamais ramené aux frontières, menottes aux mains, tel chirurgien de nationalité égyptienne, tel avocat libanais ou informaticien indien… Et l’explication, officielle, selon laquelle si la France n’accueillait pas ces « cerveaux » du tiers monde, ils iraient se vendre ailleurs, n’est en rien une réponse à la hauteur des enjeux. Le développement du tiers monde reposerait-il, à vos yeux, sur sa seule main d’oeuvre non qualifiée qui, par désespoir de ne trouver chez elle un emploi, tente quotidiennement de franchir les frontières de l’Europe  » à la recherche de sa survie » pour reprendre les propos déjà anciens mais toujours actuels du Président Boumédienne à la tribune de l’ONU ?

Oui la question des Roms dépasse largement la seule responsabilité des autorités françaises. Et plus généralement la meilleure façon de prévenir les flux migratoires est encore d’assurer aux peuples du Sud un avenir dans leur propre pays. Que laisse-t-on percevoir aux citoyens français de la volonté politique de régler ces problèmes au fond, lorsqu’on se contente de leur faire croire qu’il suffirait d’être ferme sur le contrôle des frontières ? C’est ce qu’on appelle prétendre résoudre un problème en le supprimant !

Rappelons ici que les Semaines Sociales de France consacrent leur session 2010 au thème de l’Immigration. Les 26, 27 et 28 novembre au Parc Floral de Paris, bois de Vincennes.

2 comments

  • Sur le plan politique, la question de l’immigration est trop complexe pour se satisfaire uniquement de bonnes intentions et de compassion. Ce n’est d’ailleurs pas le rôle du politique.

    Mais le rôle des gouvernants est encore moins d’instrumentaliser un sujet grave à des fins électoralistes avec des arguments aussi spécieux que ceux que vous évoquez dans cette note.

    Si sur le plan éthique, les positions du Vatican sur la question des Roms et de l’immigration semblent tout à fait justifiées, elles devraient, à mon sens, être plus globales plutôt que de ne montrer du doigt que la France ; ceci pour plusieurs raisons dont la première est le respect de la laïcité qui veut que les instances religieuses n’interfèrent pas sur les lois.
    Plus que jamais, une telle disposition me semble importante au moment où une autre religion tente de faire régresser certains droits en Europe.

    La deuxième raison est que ce n’est pas parce que Nicolas Sarkozy a fait de la question des Roms un outil de propagande au service d’une politique peu glorieuse, qu’il faut fermer les yeux sur le fait que les Roms ne sont pas mieux acceptés ailleurs et notamment dans leur propre pays , ce qui provoque le fait qu’ils cherchent asile ailleurs et qui rend si dramatique leur situation.

    Mais le positionnement des évêques en faveur des Roms et de la nécessité d’un traitement humain des questions de l’immigration est nécessaire et bienvenue quand elle s’adresse aux chrétiens pour les sensibiliser. Il me semble que la dimension sociale et compassionnelle de l’Église catholique doit prendre la pas sur les questions plus politiques.

    Mais en tant que citoyens français, les évêques sont tout à fait légitimés dans leur appel à plus d’humanité.

  • Belle prise de position, René POUJOL. Merci
    Serais-je aveuglé parce que c’est également la mienne ?
    Juste deux questions.
    L’église, en la personne de son chef et de ses évêques, peut-elle se contenter d’un discours ?
    Parmi toutes les brebis du troupeau, il en est bien quelques-unes qui ont des responsabilités, civiles ou politiques, qu’elles ont choisi d’assumer.
    Ne devraient-elles pas manifester aussi leur engagement par des actes (de résistance ?) propres à faire réfléchir ceux qui nous gouvernent ?

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