Quand les laïcs passent à la trappe…

Lorsque sur Facebook, le site officiel de l’Eglise catholique en France ne retient d’une manifestation de la presse catholique que les interventions des clercs, peut-on dire que l’on est encore dans l’ecclésiologie de Vatican II ou à nouveau dans une forme de cléricalo-centrisme ?

Vendredi 27 janvier, la Fédération Française de la Presse Catholique a inscrit au programme de ses 16e Journées d’études François de Sales organisées sur le thème du «défi du numérique», une table ronde de blogueurs chrétiens.

Depuis deux jours, les débats inondent les pages Facebook où nombre de participants mettent photos et commentaires. Il est 11 h 09 lorsqu’apparaît sur mon fil d’actualité, posté par «Eglise catholique en France» une photo de la tribune où l’on distingue cinq personnes, accompagnée de cet étrange commentaire : «Parmi les blogueurs chrétiens, deux prêtres invités aux Journées François de Sales : P. Pierre de Charentenay,sj, (un seul monde) et P. Pierre-Hervé Grosjean (Padreblog) participent a une table ronde de blogueurs chrétiens.»

Aussitôt je poste ce commentaire qui apparaît sous ma signature : «Il y a aussi deux blogueurs laïcs. Ne font-ils partie de l’Eglise de France ?» La réponse survient, quelque minutes plus tard, sous forme d’un complément de légende étrangement formulé : «A leurs côtés, Erwann le Morhedec (Koztoujours) et Marc Favreau (Hôtel synodal) avec qui la Conférence des évêques est bien en lien.»

Rapide décryptage : il existe aujourd’hui sur la toile quantité de blogueurs catholique dont certains se révèlent d’une grande agressivité vis à vis des évêques. On peut donc comprendre la précision apportée pour «rassurer» les 11 340 «amis» Facebook de «Eglise catholique de France». Nos deux blogueurs laïcs sont homologués ! Rien à craindre ! Mais cette précision même pose question en ce qu’elle laisse entendre, que la FFPC aurait bien pu inviter des blogueurs «non conformes»… puisqu’il est jugé nécessaire de préciser qu’ils le sont. Mais conformes à quoi ? A une certaine éthique acceptable par tous, où à une forme de labellisation sur la base de critères propres à la seule institution ?

La morale de l’histoire est que pour «Eglise catholique en France» seule la présence de clercs dans une manifestation fait «Eglise» et mérite donc d’être portée à la connaissance de ses «amis» sur Facebook. Cette approche sera d’ailleurs confirmée tout au long des Journées. Seules seront évoquées nominativement la présidence de la messe par Mgr Boivineau évêque d’Annecy, les interventions de Mgr Bernard Podvin, du P. Henri-Jérôme Gagey et bien sûr de Mgr Celli Président du Conseil pontifical pour les communication sociales.

Que ce dernier débat ait été animé par Stefan Lunte, directeur d’un hebdomadaire catholique régional et conseiller du secrétariat général de la Comece (Commission des conférences épiscopales d’Europe) ne méritait apparemment pas d’être signalé, pas plus que l’animation de la table ronde des blogueurs chrétiens par Jean Mercier chef du service religieux de la Vie, ni précédemment la présentation d’un vaste panorama de l’internet catho par Nicolas Senèze, chef adjoint du service religieux de la Croix, responsable de la news letter Urbi & Orbi ; ni l’une ou l’autre des interventions de Bernard Bienvenu, président de la FFPC. Tous laïcs… !

Tout cela serait, au fond, sans gravité s’il ne s’agissait que de susceptibilité mal venue. Mais l’enjeu est bien plus essentiel. La question ici posée tient à l’ecclésiologie à laquelle renvoient, consciemment ou non, volontairement ou non, ces pratiques. Est-on toujours dans l’ecclésiologie promue par Vatican II, celle d’une Eglise peuple de Dieu où les laïcs ont leur propre rôle à jouer ? On aurait pu l’attendre à propos d’une rencontre où, dans l’interview qu’il nous a accordée, Mgr Celli rappelait l’invitation du Saint-Père faite à tous : évêques, prêtres et laïcs… d’affronter la culture numérique. Ou est-on revenu à une ecclésiologie ante-conciliaire de type cléricalo-centriste, que l’on pourrait résumer par cette formule : là où est le prêtre, là est l’Eglise ? D’évidence c’est aujourd’hui cette ligne de conduite qui est suivie par «Eglise catholique de France.»

Ceux qui portent la responsabilité de cette communication devraient comprendre que les laïcs engagés dans l’Eglise que sont la plupart des journalistes de la presse et des médias chrétiens, puissent sincèrement se sentir blessés d’un tel ostracisme.

 

12 comments

  • J’avais remarqué, sans en tirer une même conclusion, mais, du coup je me demande si je serai homologué ou non! Nous sommes encore dans la réception du Concile, faite d’aller et retour et de tiraillements, des tensions perdures pour non pas faire une place au laïcs, mais pour reconnaître que l’avenir de l’Eglise passe par un travail en communion, clercs et laïcs, dans une responsabilité partagée. Je participe à une session sur le sujet la semaine prochaine. Cordialement

  • Le nouveau groupe travail « Ministres ordonnés et fidèles laïcs », que les évêques de France ont mis en place à leur dernière assemblée à Lourdes, ne sera donc pas inutile. A la veille du 50ème anniversaire du Concile ce choix des évêques pour un nouveau groupe de travail est astucieux qui permettra d’avancer. Il me semble prometteur de travailler sur l’exercise des trois munera par les évêques.

    Par ailleurs, la FFPC a elle mêmeune marge de progression pour l’organisation des journées d’études en ce qui concerne l’implication des femmes comme il a été dit.

  • Dire l’Eglise catholique de France est à mon sens faux, l’Eglise n’est-elle pas universelle ? l’Eglise en France… subordonnée au Vatican.

    C’est à cause de raisonnement comme ceux-là, que les laïcs prennent la place des curés avec la multiplication des ADAP,… en clair que l’Eglise se protestantise.

  • Mouais. Je vous trouve un peu chafouin. J’aurais apprécié de voir une argumentation un peu plus élargie à l’appui de votre propos. S’il n’y a que cet exemple, c’est léger : après tout, le webmaster ou community manager de « église catholique de France » n’est pas représentatif d’une volonté des « évêques de france », et a probablement voulu faire ce que font tous les communicants : mettre en valeur la « maison » au sens strict.

    Dommage, en effet. Mais pas de quoi faire un fromage, je trouve.

  • Merci pour ce post, fort apprécié. Le clergé ramène à lui une couverture qui a été très souvent tirée, raccommodée, agrandie par la communauté de blogueurs cathos. Comme tout blog sur la toile, on a des affinités avec tel ou tel blogueur. Il n’en demeure pas moins qu’il y a 3 ans, lors de cet hiver fort rude pour l’Eglise, ce sont les blogueurs qui sont souvent montés au front, devant un silence assourdissant de la conférence des évêques. Qu’ils aient partagé ou fustigé les positions de l’Eglise, ce sont eux qui ont pris la parole pour clarifier des positions. Ce sont encore eux qui se font échos des différentes voix qui s’expriment, car oui, aussi impressionnant que cela puisse paraître: les laïcs pensent (et ne gobent aps toute crue l’homélie du dimanche – amen)

  • Merci René, pour ce commentaire informé. Mon expérience (je vous laisse découvrir où) me fait dire que la « com » de l’Église est peut-être clérico-centralisée et encore sélectivement « clérico-centralisée » mais plus encore elle est épiscopalo-contrôlée. Ce qui lui donne aussi un côté sans saveurs, sibyllin et aseptisé. Il est bien triste que les seules expressions ecclésiales de laïcs qui sont mises en avant, sont celles qui ne dérangent pas, celles qui vont dans le sens d’un catholicisme français dit « bien-pensant », plutôt « entre-nous-iste ». Continuez à faire entendre votre voix, elle fait écho à des plaintes silencieuses de nombreuses personnes.

  • Que la CEF n’ait malencontreusement cité que les deux prêtres, c’est un fait, et c’est regrettable. En revanche, je n’interprète pas du tout comme vous le « avec qui la CEF est bien en lien ». Pour moi c’est au contraire une bonne nouvelle !! Cela signifie que la CEF est au courant que les blogueurs cathos laïcs existent, c’est déjà énorme, et ensuite qu’elle est en relation avec, ce qui est plus qu’encourageant. Mais que pouvons-nous demander de mieux ?
    Par ailleurs, ce qui est pour moi véritablement choquant, c’est l’absence des blogueuses à cette table ronde, comme l’a souligné le Petit chose. Là c’est symptomatique d’une certaine vision de l’Eglise qui m’attriste (cf. mon dernier billet de blog)
    Merci de m’avoir lue.

  • Merci de vos commentaires. Je dirai à François que le distingo subtil entre Eglise de France et Eglise qui est en France échappe, le plus souvent, au commun des mortels. Supposer des arrières pensées à la personne qui utilise l’une ou l’autre formule me semble fort risqué. Pour ce qui est des laïcs qui veulent prendra la place des prêtres, je pense qu’il en existe. Mais je crois – c’est du moins mon expérience – que la plupart des laïcs dans l’Eglise veulent simplement, avec les prêtres, tenir leur rôle de baptisés. Point de protestantisme là mais un catholicisme bien compris. Ce que je dénonce c’est simplement cette confusion entre l’Eglise institution cléricale et l’Eglise sacramentelle, telle que remise à l’honneur par Vatican II. Lors du voyage de Benoît XVI à Lourdes en 2008, je m’étais autorisé à relever – pour le regretter – que dans son discours aux évêques, dans l’hémicycle Sainte Bernadette, il les avait invités à être attentifs à la situation de leurs prêtres, dans leur diocèse, à les soutenir, à les encourager sans un seul mot pour les laïcs qui, bien souvent, font « tourner la boutique ». Conception « ecclésiastique » de l’Eglise m’avait commenté un évêque en privé. On en est toujours là.
    Je dirai de même à Topcha que n’étant pas totalement de mauvaise foi, il ne m’a pas échappé que des photos des Journées ont été mises sur le site… postérieurement, mais sans une seule « parole » de laïc. Jusqu’à la publication de l’interview de Bernard Bienvenu, ce week-end. Comme quoi mon coup de g…. n’a pas été inutile.

  • @Topcha. N’étant pas « de mauvaise foi » je suis allé voir le site que vous m’indiquez et dont vous êtes, je crois bien, le modérateur. Mon commentaire est le suivant : il ne suffit pas d’aligner quelques photos prises lors des Journées François de Sales pour estimer qu’on a rempli sa mission d’informateur. Que valent des brochettes d’intervenants photographiés à la tribune lorsqu’on ne dit rien par ailleurs des propos qu’ils ont tenu ? Si vous n’êtes pas « de mauvaise foi »… vous me comprendrez !

  • Je communie à votre réaction (bien trop gentille!). Je suis prêtre depuis 1960. Il y a quelques mois j’ai écrit à mon évêque pour lui dire que je voulais redevenir un fidèle laïc. Un cancer a remis à plus tard ce projet. Il faut d’ailleurs autant de temps pour retourner à l’état laïcal que pour devenir prêtre.
    On ne peut supprimer le clergé. Il est en place depuis trop de siècles… On pourrait penser qu’il disparaisse faute de combattants. Mais de nouveaux clercs naissent, col romain et boutons de manchettes.
    Il faut travailler à faire naître des adjoints aux évêques et aux curés qui auront la même dignité pour représenter l’Église et la charge de faire naître des petites communautés (voir le site repas de fraternité). Celles-ci sont plus évangéliques que les grandes cérémonies liturgiques des paroisses, des cathédrales et du Vatican.
    Les paroisses seraient des lieux de service (sacrements, catéchèse, oeuvres caritatives). Les petites communautés seraient la fraternité souhaitée par Jésus et le lieu de la communion avec les autres croyants et les non-croyants.
    Fraternellement,
    Georges

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