Comme au premier matin de Pâques

Comme au premier matin de Pâques

C’est la destinée de chaque être, comme de chaque Eglise, de connaitre ce passage de la vie à la vie, par-delà l’épreuve de la mort.

Pour nombre de Français la Semaine sainte ne représente plus que la dernière survivance d’une pratique religieuse, jadis majoritaire dans notre pays, dont le prophète des temps modernes Michel Onfray a cru pouvoir dénoncer l’imposture et le déclin inexorable. Sauf que des millions de chrétiens dans l’hexagone – et des centaines de millions à travers le monde – continuent de vivre ce Triduum pascal comme le sommet de l’année liturgique. Trois jours, chevauchant les jeudi, vendredi, samedi saints et le jour de Pâques, et récapitulant le cœur de la foi chrétienne à travers la passion, la mort et la résurrection du Christ.

Le plus étonnant peut-être est que la sécularisation de nos sociétés occidentales n’a rien fait disparaître de la fascination des hommes pour l’étrange destinée du Nazaréen ni de la compassion que suscite la vue de quelque piéta. Qu’y a-t-il de plus universel, de plus contemporain, de plus bouleversant que l’image d’une mère tenant entre ses bras le corps ensanglanté de son enfant martyrisé ? Là, tout anticléricalisme prend congé, toute allergie aux pratiques dévotes jugées obscurantistes disparaît devant l’évidence d’une souffrance qui récapitule le plus profond de l’existence humaine. A laquelle la foi chrétienne donne sens.

Car s’il est une expérience universelle pour chaque homme, chaque femme, quelle que soit sa condition ou sa croyance, c’est bien celle du passage de la joie fraternelle du repas partagé, à la souffrance et à la mort solitaires, à la désespérance d’un ciel vide, puis, parfois, à l’aube de la résurrection. Expériences multiples de morts et de renaissances tout au long d’une même vie individuelle ou collective. Appréhension de l’ultime séparation face à laquelle nous hésitons à croire possible ce que nous portons au fond du cœur de désir d’éternité, de rencontre pour toujours avec celles et ceux que nous avons connus et aimés. Dans l’expérience commune de ce désir partagé, les chrétiens tranchent seulement sur leurs frères en humanité par leur décision de le prendre au sérieux. Parce qu’ils croient, dans la foi, que Christ a vaincu la mort le jour de Pâques, pour toujours et pour tous les hommes.

Mais ce qui, en trois jours, récapitule l’existence humaine, peut également s’élargir aux communautés, aux Eglises particulières. Peut-être, dans son existence historique, l’Eglise universelle, incarnée à travers le monde dans des Eglises locales, n’échappe-t-elle pas au mystère pascal de la mort et de la résurrection.

Certaines d’entre elles, en Asie, Afrique ou Amérique latine, connaissent aujourd’hui la fécondité du Jeudi Saint. Des foules enthousiastes y proclament les merveilles de Dieu. En Son nom, des prêtres y consacrent et partagent le pain et le vin ; des hommes et des femmes y lavent quotidiennement les pieds de leurs frères comme Jésus au Cénacle. Peuple en marche à la rencontre de son Dieu qui vient…

D’autres Eglises, au Proche-Orient, ou ailleurs, partagent les souffrances du Christ et le supplice de la Croix. Il y a quelques jours à peine, lors du dimanche des Rameaux, quarante-quatre personnes étaient tuées dans l’explosion de deux bombes visant des églises coptes, à Tanta au nord du Caire et à Alexandrie. Derniers martyrs d’une longue liste sanglante où figurent en nombre des Syriens et des Irakiens. Après qu’en janvier 2015, sur une plage de la Méditerranée, en une mise en scène atroce, vingt-et-un chrétiens orthodoxes égyptiens aient été décapités par les hommes de l’Etat islamique, suivis quelques semaines plus tard de vingt-huit fidèles d’une église anglicane de Tripoli. Des Eglises d’Orient martyrisées comme d’autres le furent, ailleurs, à d‘autres moments de notre histoire, notamment derrière le rideau de fer… parfois dans l’indifférence ou la résignation. Sauf lorsque des menaces d’attentat contre des églises de «chez nous», à Villejuif (Val-de-Marne) ou l’égorgement d’un prêtre célébrant la messe pour quelques fidèles, le père Hamel, viennent nous solidariser dans la chair avec ces frères d’Orient.

D’autres Eglises, enfin, dans nos pays de vieille chrétienté, en Europe ou en Amérique du Nord, vivent, elles, le silence, l’absence, le grand vide du Samedi où Jésus descendit aux Enfers. Non que l’apostasie ait fait définitivement son œuvre comme on l’entend parfois, faussement. Mais parce que le doute et la prise de distance, nés des maîtres du soupçon et plus encore des délices du consumérisme capitaliste, sont venus comme anesthésier les âmes. Au point de nous donner parfois l’image d’Eglises elles-même descendues aux enfers visiter les morts…

Et pourtant, ces communautés célébrantes du Jeudi saint, martyrisées du Vendredi, silencieuses du Samedi vivent les unes et les autres dans l’espérance d’une même et unique Eglise ressuscitée et confessante du matin de Pâques. Christ est ressuscité ! Il est vraiment ressuscité. Et nous vivons cette nuit sacrée comme au premier matin de Pâques.

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Illustration : nuit de Pâques 2017, abbaye de Sylvanès (Aveyron)

8 comments

  • ALLÉLUIA ! Oui Christ est vraiment ressuscité !
    Merci René pour cette belle méditation pleine d’espérance.
    Belle fête de Pâques à toi et tes proches.
    Amitiés.
    Odile

  • Merci Cher René Poujol pour ce texte magnifique qui nous donne encore plus de vigueur pour conserver notre foi bien vivante au fond de notre coeur et pour continuer à diffuser le message de l Evangile dans un monde qui ne croit plus en rien.
    Que le Seigneur vous garde

  • Très belle méditation , cher René. Et dans 100 ans, de qui parlera-t-on ? De Michel Onfray ou du Nazaréen ? Je crois connaître la réponse. Bonne fête de Pâques à toi !

  • Michel Onfray n’est qu’un petit philosophe médiatique, qui parfois sur certains sujets dit et écrit des choses intéréssantes et justes . Sa haine du christianisme relève d’obscurs règlements de compte, et quelque part d’un amour refoulé, inavoué. Il est très révélateur que suite au déçès de son épouse, il ait écrit un texte « Requiem laïc »…. comme si en cette douloureuse épreuve, il ne parvenait pas à se détacher de la très grande liturgie chrétienne….la Messe des Morts, Requiem, la seule adéquate à l’événement.

    Il n’y a pas de Requiem laïc, car là , justement, la laïcité n’a rigoureusement rien à dire, ce n’est pas sa fonction. Là nous ne pouvons que rejoindre la belle méditation de René Poujol, l’espérance que la Vie qui est Amour l’emportera sur la haine et la mort . Et espérer qu’un jour, les intellectuels médiatiques, porteurs du désespoir, connaitront leur chemin de Damas .

    • Merci de ce commentaire. J’ai souvent été surpris de voir combien des personnes qui se disaient agnostiques ou même athées entraient en résonnance avec quelques unes des plus belles pages de la musique sacrée, comme les requiems de Mozart, Duruflé, Fauré ou même, sur une période contemporaine, Preisner… Preuve que ce qui s’exprime là transcende les croyances et exprime profondément non seulement la souffrance mais l’espérance des hommes.

  • Parfois, je me demande si la hargne que l’on constate envers les chrétiens n’est pas en fait le reflet d’une immense déception grandissante au fil des temps, vis-à-vis de l’espérance qu’avait soulevé Jésus Christ. Quand on échange avec des « incroyants », on relève surtout des arguments très forts contre l’immaturité et l’irresponsabilité voire l’ignorance des chrétiens en générale et de leurs « cadres » en particulier. Il y a très peu d’arguments fort contre Dieu lui-même…Nous sommes un « peuple de prêtres, de prophètes et de rois », mais nous passons notre temps à en « janséniser » le nombre, à exclure, à excommunier, à polémiquer, sans écouter, à quelque moment que ce soit, ce que nos frères ont à nous dire. Un des coups de grâce a été asséné lors de l’affaire de Récif, où on a oublié d’excommunier « l’anencéphale » à l’origine de ce drame….Nous prétendons détenir une autorité de l’Evangile, d’autres du Coran, au nom d’un même Dieu : cela ne peut conduire qu’à une confrontation létale de plus, dont ce que vous décrivez ne sont que les prémisses.
    Et si nous cessions de chercher la paille qui est dans l’œil de notre voisin, et cherchions la poutre qui est dans le nôtre.

  • Je ne sais pas si Jésus est ressuscité, au sens commun du terme. En tous cas ma foi n’a pas besoin de le croire car elle devenue, au fil des ans -expériences de vie, rencontres, recherche de réponse à des questions, actes posés …-, toute autre que celle qui me fut enseignée. Le lien entre la forme reçue et celle vécue a beau s’être rapetissé, il en demeure une trace, … C’est cette trace qui fait que je me dis universel tout en ayant une grande liberté avec les dogmes, les mystères … et les mots qui les enserrent. Cette foi peut se résumer, pour autant que des mots puissent l’exprimer, par la capacité de chaque instant à contenir un infini d’amour et une infinie détresse. Tel est à mes yeux le cœur de ce que les évangiles nous apprennent de la vie spirituelle de Jésus et des quelques personnes dont ils nous disent que Jésus leur a dit « ta foi t’a sauvé » et des quelques uns qui ont compris sans difficulté les sermons dans la plaine et sur la montagne.

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