Synode sur la famille : un enjeu historique

Synode sur la famille : un enjeu historique

Il suffit d’un rapide retour en arrière, sur les mois qui ont suivi l’élection du pape François, pour mesurer à quel point il souhaite faire du synode sur la famille qui vient de s’ouvrir à Rome, l’un des actes majeurs de son pontificat. 

 

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Cet article a été rédigé pour la Lettre des Semaines sociales de France et publié dans son n°76 d’octobre 2014.

 

Souvenons-nous : le pape François est élu le 13 mars 2013. Cent jours plus tard, dans l’avion qui le ramène des JMJ de Rio, répondant à la question d’un journaliste sur la situation douloureuse des divorcés remariés, il redit sa conviction que l’Eglise doit «soigner les gens avec miséricorde», mais que cette question doit être abordée dans le cadre plus général «de la pastorale matrimoniale» et qu’il entend en saisir le groupe des huit cardinaux dont il a fait son conseil.

 

Les choses vont aller très vite. Dès la fin de l’été le Vatican annonce la tenue d’un synode sur la famille qui se déroulera en deux temps : synode extraordinaire du 5 au 19 octobre 2014 (nous y sommes) pour poser les termes du débat ; synode ordinaire un an plus tard pour formuler les propositions sur lesquelles il appartiendra ultérieurement au pape de trancher. Le 5 novembre suivant est rendu public un document préparatoire où l’ont peu lire, à propos de la crise du mariage et de la famille : «On comprend combien est urgente l’attention de l’épiscopat mondial face à ces défis. Si, par exemple, on pense au seul fait que dans le contexte actuel tant d’enfants et de jeunes, nés de mariages irréguliers, ne pourront jamais voir leurs parents recevoir les sacrements, on comprend combien sont urgents les défis posés à l’évangélisation de la situation actuelle. Les attentes qui s’en suivent sur les choix pastoraux à propos de la famille sont énormes.» Au document est joint un questionnaire en 39 points, adressé à tous les fidèles, destiné à nourrir une large consultation. Le décor est planté !

 

La famille au cœur du malentendu entre l’Eglise et la société 

 

Mais l’enjeu est considérable. Car s’il est un domaine où le sentiment domine d’un divorce croissant entre l’enseignement de l’Eglise et les évolutions de nos sociétés, au moins en Occident, c’est bien celui de la vie personnelle, sexuelle et conjugale. Pour les catholiques, la question emblématique reste, certes, celle de l’accès aux sacrements des divorcés remariés, dont l’urgence est soulignée, depuis plus de trente ans, dans la quasi totalité des synodes diocésains (1) Mais plus largement, c’est bien les questions liées à la vie sexuelle et affective, au mariage – ou au non-mariage – et à la famille, qui sont posées : sexualité hors mariage, contraception, homosexualité, cohabitation, divorce et remariage, unions de personnes de même sexe, recours aux techniques de procréation médicalement assistée…

 

L’ampleur du phénomène, qui touche tout autant les communautés chrétiennes, pose une double question à l’institution catholique : celle d’une analyse pertinente de ses causes et celle de la nature de la réponse à apporter. Or, l’idée dominante dans les documents d’Eglise, telle qu’exprimée avec constance jusqu’à ce jour, y compris dans l’instrumentum laboris (2) préparatoire au synode, reste celle d’un dévoiement généralisé des mœurs de la part d’une société sécularisée qui a prétendu s’affranchir de la Loi divine. De sorte que la réponse serait de rappeler à temps et à contre temps la Vérité de l’enseignement du Magistère tout en ajustant la pastorale aux réalités du moment.

 

Dans l’interview accordée aux revues jésuites, au cours de l’été 2013, le pape François confie : «Je vois avec clarté que la chose dont a le plus besoin l’Eglise aujourd’hui, c’est la capacité de soigner les blessures et de réchauffer le cœur des fidèles, la proximité, la convivialité. Je vois l’Eglise comme un hôpital de campagne après une bataille.» (3) Le synode romain, à ses yeux, se doit donc d’être pastoral et ne vise aucunement à une remise en cause de la doctrine catholique.

 

De la pastorale, à la doctrine… et au dogme.

 

Or, une lecture attentive de l’instrumentum laboris et des diverses prises de position de théologiens, cardinaux, évêques ou observateurs, qui se multiplient depuis l’annonce du synode, montre bien que l’opinion catholique est une nouvelle fois partagée entre : une frange intransigeante pour laquelle toute évolution même pastorale est déjà problématique car susceptible d’entrainer un infléchissement doctrinal ; une majorité qui, avec le pape François, pense possible, notamment sur la question des divorcés remariés, de trouver une solution pastorale qui ne contredirait pas l’enseignement de l’Eglise ; une autre sensibilité enfin, silencieuse sous les pontificats précédents de Jean-Paul II et Benoît XVI, pour laquelle l’Eglise n’échappera pas à un questionnement plus radical sur les fondements théologiques mêmes de sa morale sexuelle et conjugale, si elle veut réellement relever les défis du monde contemporain et se rendre intelligible.

 

Prenons un seul exemple. On sait le cardinal Kasper proche du pape François dont il a explicité la position d’ouverture pastorale, dans une conférence donnée, à sa demande, les 20 et 21 février 2014 devant le consistoire des cardinaux, aujourd’hui disponible en librairie. (4) Depuis cette date on ne compte plus les déclarations hostiles à son intervention. La plus récente étant la publication, à l’initiative de quelques cardinaux de curie, et non des moindres, d’une «réfutation» de ses positions, au nom de l’intangibilité de la «doctrine catholique de l’indissolubilité du mariage» (5) Or, dans son intervention devant le consistoire, le cardinal Kasper expliquait pourtant les drames de la famille contemporaine, de manière classique, par référence au péché originel qui a jeté Adam et Eve – et toute l’humanité après eux – hors du Paradis terrestre. Est-il nécessaire de souligner ici combien il est aujourd’hui difficile à nombre de nos contemporains, y compris chrétiens, d’adhérer à une telle lecture du récit Biblique qui continue pourtant de fonder les positions du Magistère ?

 

Sera-t-il suivi ?

 

Le synode qui vient de s’ouvrir et la seconde session «ordinaire» qui suivra d’ici un an auront ces «désaccords» pour fond de scène, même s’ils restent peu perceptibles du grand public. Des désaccords ni plus ni moins semblables à ceux qui ont marqué le concile Vatican II puis nombre de synodes tel celui sur la nouvelle évangélisation (6). Mais  déjà en s’engageant personnellement en faveur d’une «solution pastorale» pour les divorcés remariés et en prenant le risque d’une large consultation du peuple chrétien sur les questions familiales, le pape a suscité une espérance dont la déception serait sans doute lourde de conséquence, pour l’Eglise comme pour son pontificat.

 

Dans un livre récent, le journaliste Jean-Marie Guénois (le Figaro) dit sa conviction que beaucoup, dans le monde catholique, «ne réalisent pas que François, tellement différent de son prédécesseur, pourrait être le pape d’une véritable renaissance de l’Eglise, car ce pape de feu entend porter à incandescence les âmes catholiques endormies.» (7) Mais dans le même temps, il souligne les résistances fortes que suscite ce pontificat, à la Curie mais aussi dans certains milieux d’Eglise, et il s’interroge : «Sera-t-il suivi ?» Première réponse dans deux ans !

 

PS. Dans son homélie (brève) du 5 octobre, lors de la messe d’ouverture du Synode, le pape François a repris le texte de l’évangile de Matthieu  23,4 : « Les mauvais pasteurs chargent sur les épaules des gens des fardeaux insupportables qu’eux-mêmes ne déplacent pas même avec un doigt ». Pouvait-il être plus explicite sur ses intentions ?

 

 

  1. En 2009 Pèlerin publiait un sondage de TNS-Sofres révélant que 37% des catholiques pratiquants réguliers (le cœur des fidèles) étaient concernés, pour eux-mêmes ou leurs proches, par le divorce et 18% par le divorce et le remariage ; 70% disaient leur souhait d’une évolution du Magistère sur cette question.
  2. Synode sur la famille, Instrumentum labris, Ed. Salvator, 144 p. 14,90 €. Avec des commentaires de René Poujol et Gérard Leclerc
  3. Pape François, L’Eglise que j’espère, Ed. Flammarion/Etudes, 2013, p.68
  4. Cardinal Walter Kasper, L’Evangile de la famille, Ed. du Cerf, 96 p. 9 €
  5. Collectif : Demeurer dans la vérité du Christ, Ed. Artège, 312 p. 19,90 €
  6. Des désaccords dont les vaticanistes ont fidèlement rendu compte mais totalement gommés dans les propositions finales du synode, devenues à ce point sans relief que le pape François n’y fait quasiment pas référence dans son exhortation apostolique post-synodale Evangelii Gaudium.
  7. Jean-Marie Guénois, Jusqu’où ira François ?, Ed. JC Lattès, 2014, p. 27

 

 

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5 comments

  • oui un enjeu Vital

    URGENT

    une pétition a été lancée par Anne Soupa de soutien à Notre Pape et d’espérance sur le site de la CCBF

    si vous voulez être actif dans ce synode allez lire et signez si vous êtes d’accord , bien sûr !!!

    Conférence catholique des baptisé-e-s francophones | Ni …
    http://www.baptises.fr/

    >

    >

  • Bonjour René,

    Comme vous le dites, l’enjeu du synode est historique et il est bon que les positions diverses puissent être exprimées, même celle qui n’ont pas vos suffrages ou les miens. Je crois que, cela aussi, François l’a clairement explicité lors de l’ouverture du synode.

    Je crois que le choix de l’intervention du card. Kasper est clairement le fruit de cette méthode, plus que le signe d’une position arrêtée du Pape François sur le sujet. Ce que le card. Burke a exprimé en disant que « le Pape François n’a pas de laryngite » et que, s’il ne s’est pas exprimé, ce n’est pas pour qu’on parle à sa place.

    ***

    Vous le soulignez, grande est la distance entre l’Eglise et la société.

    L’exemple que vous prenez le montre bien : le concept de péché (originel ou de péché tout court) n’est plus admis dans la société, qui ne partage pas l’idée de l’objectivité du bien et du mal ni l’idée que la créature est appelée à la perfection de son être, et particulièrement de sa volonté.

    Et l’idée de blessure psychoaffective est en passe de subir le même sort, chacun revendiquant d’être considéré, non pas à l’aune de l’espérance eschatologique qui est la nôtre, mais comme un être déjà 100% accompli, qui n’aurait besoin ni de guérison ni de salut.

    Paradoxalement, c’est à l’ère des sciences humaines que la formation humaine, dans l’Eglise comme dans la société, fait le plus défaut.

    Voilà où se situe précisément le fossé, profond, entre Eglise et société. Là, l’enjeu pastoral est énorme : comment accueillir et appeler à plus, sans engendrer culpabilité ni désespoir ? Comment donner aux personnes les moyens de grandir dans leur vie affective et volontaire ?

    On peut déplorer la rigueur de la discipline sacramentelle. Reste qu’elle demeure un des rares « signes de contradiction » qui peuvent amener les personnes à une prise de conscience. Et de toute façon, la changer sans réfléchir en profondeur à la manière de rejoindre les personnes et de leur proposer la vérité du Salut, ce serait mettre un cautère sur une jambe de bois.

    • Un seul commentaire. Il y a un monde entre la notion de péché qui certes n’a pas « bonne presse » (je vous l’accorde nos sociétés sont passées du péché à la faute puis… à la simple erreur), et le dogme du péché originel. Je crois que le concept même de péché héréditaire est incompréhensible, irrecevable, dans la société occidentale contemporaine. Tous nos papes insistent sur le dialogue foi et raison. Pascal avait coutume de dire que la raison peut admettre ce qui la dépasse, pas ce qui la contredit. Là nous sommes dans la contradiction. Dans la dé-raison. Le mal existe, il existe en chacun de nous, encore faudra-t-il que l’Eglise nous propose une autre lecture théologique de son origine.

  • Les divorcés remariés, sans le vouloir, posent un problème beaucoup plus large et fondamental que la recherche d’une nouvelle pastorale à leur égard.
    C’est la théologie des sacrements et de leur administration qui est en cause.
    Les sacrements sont un don de Dieu et nul homme, fut il consacré, ne peut s’arroger le pouvoir de refuser ce don qui ne vient pas de lui.
    Toutes les règles sophistiquées du Droit Canon ne peuvent conduire qu’à la vérification du principe du droit romain « summum jus, summa injuria »
    Quand à la Loi, Jésus a bien précisé qu’il était venir pour l' »accomplir » ce qui est à 1000 lieux de l' »appliquer ».
    Ce faisant, Jésus a entrainé les Docteurs de la Loi et tous ceux qui les suivaient dans le chemin de la haine et de la division.
    Ne soyons pas surpris des « réactions » actuelles et suivons le Christ et le pape François sur le chemin de la Miséricorde qui est, par elle même, accomplissement de la Loi.

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