Toutes les civilisations se valent-elles ?

Je crains fort que la polémique née des propos de Claude Guéant sur les civilisations, ne tienne pas uniquement à l’exploitation politicienne d’une «petite phrase» tirée de son contexte.

Citons le ministre de l’Intérieur : «Contrairement à ce que dit l’idéologie relativiste de gauche, pour nous, toutes les civilisations ne se valent pas. Celles qui défendent l’humanité nous paraissent plus avancées que celles qui la nient. (…) Celles qui défendent la liberté, l’égalité et la fraternité, nous paraissent supérieures à  celles qui acceptent la tyrannie, la minorité des femmes, la haine sociale ou ethnique».

Prenant sa défense, le président de la République a cru pouvoir déclarer : «Le ministre de l’intérieur a dit qu’une civilisation, un régime, une société, qui n’accordaient pas la même place et les mêmes droits à des hommes et à des femmes, ça n’avait pas les mêmes valeurs. C’est du bon sens.» Certes, sauf qu’une civilisation, un régime et une société…ne sont pas exactement la même chose. La France n’est pas la Hongrie pourtant héritières, l’une et l’autre, d’une civilisation Occidentale, à laquelle appartint aussi l’Allemagne nazie. Le Maroc et l’Arabie Saoudite procèdent d’une même civilisation arabe… et pourtant !

L’idée même de vouloir hiérarchiser les civilisations conduit à une impasse. Car les critères de jugement que je vais utiliser procèdent de la culture, de la civilisation à laquelle j’appartiens. Quelle pertinence peuvent-ils avoir pour me permettre de juger une autre culture, une autre civilisation, en toute objectivité ?  Je ne suis point spécialistes de ces questions, mais le moindre bon sens donne à penser qu’il n’y a civilisation qu’au terme de siècles d’évolution de sociétés qui ont su s’agréger, intégrer de manière originale une conception de la place de l’homme dans la communauté, de la relation au sacré, du droit, des arts et de la culture, du rapport au monde environnant et à l’univers cosmogonique. Leur longévité, leur rayonnement, en des lieux divers de la planète terre, fonde entre elles une égale dignité.

La civilisation babylonienne fut-elle plus ou moins grande que sa sœur égyptienne ou, plus tardivement, que les civilisations précolombiennes ? Question absurde !

La civilisation occidentale qui a magnifié la liberté de l’individu, permis le développement des sciences et techniques… et assuré le triomphe de la société – et non de la civilisation –  de consommation au prix d’un saccage de la planète, a-t-elle plus ou moins de «valeur» que les civilisations traditionnelles d’Afrique, certes restées en marge d’un type de développement économique, mais respectueuses d’un lien sacré avec la terre et entre les générations ? Question tout aussi absurde ! Et cela n’a rien à voir avec ma préférence personnelle de continuer à vivre ici plutôt que là ! Aujourd’hui plutôt qu’en des temps anciens !

Comment ne pas voir qu’en ce début d’un millénaire où rien n’est durablement assuré de la paix entre les peuples et les continents, agiter le chiffon rouge d’un possible hiérarchisation des civilisations nippone, chinoise, indienne, arabe, africaine, occidentale… tient de l’irresponsabilité ? Ce qui n’empêche pas de mener le combat pour l’émergence d’une conscience universelle autour de valeurs « humanistes » communes.

Que l’homme d’une civilisation – comme celui d’une religion – ait la conviction d’être dans la vérité, ne l’autorise pas à en conclure que l’homme d’une autre civilisation, d’une autre religion, soit dans l’erreur. J’aime cette citation qui me revient en mémoire (et dont je reviendrai, ici, vous donner les références qui, pour l’heure, m’échappent) : «Une vérité superficielle est une vérité dont l’exact opposé est une erreur ; une vérité profonde est une vérité dont l’exact opposé est également une vérité profonde.»

Sans cet infini respect de l’autre aucun dialogue n’est possible, car il ne peut s’instaurer que sur un pied d’égalité. Et je tiens, pour ma part, que l’on peut être assuré dans sa foi et ses convictions, dans son attachement à une civilisation, et regarder avec respect et estime, l’homme ou la femme d’une autre tradition.

 

3 comments

  • Merci, René, de ce beau texte; comme j’ai pu le dire dans d’autres échanges sur FB, si, au mieux, la déclaration de Claude GUEANT est une maladresse, au pire elle prend sa place dans une caractérisation de certaines populations et certains peuples, voir est une opération électorale; on peut combattre et fustiger certaines pratiques, ce ne sont pas celles-ci qui permettent de dire qu’une « civilisation » est mauvaise ou inférieure. Sinon, que dire de pratiques de « notre » civilisation en Irak par exemple ou ce qui peut arriver en France selon les évolutions politiques à venir (risque d’autorisation de l’Euthanasie?

    Comme toi, je crois que tout homme peut apporter à l’autre, qu’il recherche à atteindre une part de la vérité et que la paix ne sera possible que par le respect de ces diversité.

  • Pour moi cela tient surtout à la confusion entre la civilisation et les valeurs. On peut estimer que telle ou telle valeur est bonne ou mauvaise ; mais la civilisation dans son ensemble ? C’est absurde. Cela m’évoque la distinction entre le pécheur et le péché. On peut rejeter le péché, le vouer aux gémonies, lutter contre lui ; mais on doit aimer le pécheur car personne n’est à ce point atteint par le péché qu’il s’identifierait à lui. Comme un homme, une civilisation peut générer le pire et le meilleur, et notre histoire comme l’histoire des autres civilisations le démontre de façon éclatante.

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