La loi Taubira, provisoirement définitive ?

La loi Taubira, provisoirement définitive ?

Que la loi sur le « mariage pour tous » soit entrée dans les mœurs ne supprime pas les questions qu’elle continue de poser. 

________________________________________________________

Cet article a été repris sur le site Causeur.fr. et Atlantico que je remercie vivement.

________________________________________________________

Le 18 mai 2013 le Président de la République promulguait la Loi Taubira, au lendemain de sa validation par le Conseil Constitutionnel. Le 29 mai, le premier mariage gay était célébré en grande pompe à Montpellier. Trois ans plus tard où en est-on ? Selon l’Insee, le nombre des mariages célébrés aurait fortement chuté sur une période récente passant de 7 367 en 2013, à 10 522 l’année suivante puis à environ 8 000 en 2015. Dans l’opinion publique, il semble que le prétendu « mariage pour tous » soit passé dans les mœurs ou tout du moins qu’une large part de ceux qui étaient en désaccord avec cette réforme sociétale aient opté pour la résignation. Faute de perspective réelle. En novembre 2014, 68% des Français se disaient favorables au mariage homosexuel et 53% à l’adoption par les couples de même sexe. Une évolution que Jérôme Fourquet, de l’Ifop, commentait en ces termes : «Quand le sujet revient au cœur de l’actualité l’électorat un peu mou et hésitant rebascule en effet dans l’opposition mais une fois que c’est voté et que la bataille est finie cet électorat flottant se rallie à la majorité et à la légalité.» Il est probable que, depuis lors, les chiffres n’ont pas changé.

C’est l’ouverture à la filiation qui continue de faire problème

De quoi conforter le discours officiel, porté par les médias, sur l’évidente modernité d’une « loi de progrès » qui restera sans doute LA réforme emblématique du quinquennat. Pour autant, le doute demeure, ici et là, sur sa légitimité. Pour une minorité, on le sait, c‘est le principe même de l’union homosexuelle qui est inacceptable. Pour d’autres ce n’est pas tant la conjugalité homosexuelle qui fait question, que l’ouverture à la filiation qu’autorise le mariage, au-delà de la seule adoption des enfants biologiques de l’un des membres du couple. Non pas par défiance vis-à-vis de leur capacité à aimer ou élever des enfants, mais par choix « républicain » d’honorer tout autant une autre forme d’égalité des droits : ceux des enfants, garantis par une Convention internationale.

Au fond, le sondage commandé à l’Ifop à l’automne 2015, par Virginie Tellenne pour le collectif l’Avenir pour tous, n’était pas si loin de ce que je pense être l’état réel de l’opinion, lorsqu’elle échappe à la surenchère médiatique : 46% des personnes interrogées se disaient favorables au maintien tel quel de la loi, 32% souhaitaient sa réécriture vers un statut d’union civile sans filiation, 22% se prononçaient pour une abrogation pure et simple.

Le vrai consensus européen : le contrat d’union civile

On va m’objecter que je prends mes désirs pour des réalités. J’assume sans aucun état d’âme ! Car c’est là mon intime conviction. J’observe d’ailleurs que l’Italie vient d’opter pour un statut d’union civile qui, plus largement que le mariage, semble faire majoritairement consensus au sein des opinions publiques européennes, quelle que soit la disparité des législations.

Aller au-delà, même lorsque c’est politiquement possible, tient du discours idéologique sur un prétendu «sens de l’histoire» dont la portée universaliste reste à démontrer et dont on aimerait pouvoir débattre librement. Car, avec d’autres, je persiste à considérer que si l’institutionnalisation du couple gay est et restera un acquis (1), l’ouverture à la filiation, aujourd’hui avec l’adoption, demain avec le développement inévitable de la PMA-GPA ou de l’utérus artificiel, continuera à «faire problème» pour nombre de citoyens européens «progressistes» et hostiles – parce que progressistes – à la dictature d’un individualisme libertaire destructeur des liens sociaux. (2)

Je n’exclus donc pas l’hypothèse d’un revirement à venir des opinions publiques, exaspérées par les excès même d’une marchandisation du vivant, au détriment des enfants à naître. Et, pour ce qui est des couples gay, d’un retour de fait à ce à quoi on aurait dû s’en tenir : le contrat d’union civile, fût-ce sous le vocable maintenu de mariage. Ce retournement est-il imaginable à l’horizon de la présidentielle de 2017 ? C’est fort peu probable. Pour la raison même que je viens d’évoquer et qui suppose que nous fassions collectivement l’expérience des impasses éthiques dans lesquelles nous sommes engagés, au regard des progrès de la science, lorsqu’il font l’objet d’une application purement mercantile dans le domaine de la reproduction humaine. La prise de conscience prendra du temps, mais elle viendra !

Contenir les dérives du «droit à l’enfant» pour tous les couples

Par ailleurs, il est peu probable que cette question d’une abrogation ou d’une réécriture de la loi Taubira soit portée par les candidats à la présidentielle. Sûrement pas à gauche où un tel reniement est tout simplement impensable. Sans doute pas davantage à droite où aucun des candidats à ce jour en mesure de l’emporter ne s’est prononcé en ce sens, (3) hormis Marine le Pen qui conforte là une forme de légitimité-séduction auprès d’une frange de l’électorat catholique. (4) Et je puis comprendre la désespérance de l’Avenir pour tous qui continue, sur cette ligne de crête, à mener un combat mobilisateur courageux mais solitaire.

Trois ans après la promulgation de la loi instituant le « mariage pour tous », c’est donc le statu quo qui semble prévaloir. Sur fond de ressentiment et de désir de reconquête de la part d’une jeune génération de militants politiques et intellectuels issus des rangs de LMPT. Plus que le retour sur la loi elle-même, sans doute est-ce aujourd’hui le combat pour contenir les dérives du droit-à-l’enfant, aussi bien pour les couples homosexuels qu’hétérosexuels, qui a le plus de chances de trouver un soutien trans-partisan (5) parmi les citoyens de ce pays et de convaincre les candidats à la présidentielle de la plus grande prudence programmatique.

© René Poujol

__________

  1. Ne serait-ce que parce que la sexualité a acquis une autonomie sans doute définitive par rapport à la procréation.
  2. Une hostilité vis-à-vis des pratiques de procréation médicalement assistées qui vaut également pour les couples hétérosexuels.
  3. On a en mémoire le dernier revirement de Nicolas Sarkozy sur cette question, début 2016, après avoir concédé le principe de l’abrogation aux militants de Sens Commun.
  4. Même si, dans une déclaration récente, le numéro deux du FN, Florian Philppot ironisait sur cette abrogation jugée par lui aussi pressante que «la culture du bonzaï»… 
  5. On retrouve cette idée dans le projet politique des « Poissons roses » au sein du parti socialiste.

______

Ma manif à moi…

Le mariage pour tous est un débat auquel j’ai consacré, dans ce blogue, une bonne vingtaine d’articles (voir l’onglet «Archives» de la page d’accueil, Années 2012, 2013 et 2014), sans jamais être tenté, depuis lors, d’en faire une relecture globale. Au printemps 2015 Virginie Tellenne, alias Frigide Barjot, m’a demandé de revisiter avec elle la manière dont j’avais vécu ces événements, pour son livre L’humain plus fort que le marché (Ed. Salvator) paru à l’automne de la même année. C’est cet entretien que je propose, aujourd’hui sur mon blogue, en intégralité et en cinq parties. Moins pour relancer le débat que pour témoigner d’un itinéraire personnel.

1 – Un observateur engagé

https://www.renepoujol.fr/entretients/un-observateur-engage/

2 – Un petit tour et puis s’en va

https://www.renepoujol.fr/entretients/ma-manif-a-moi-2…r-et-puis-sen-va/

3 – Eglise : le débat impossible

https://www.renepoujol.fr/entretients/ma-manif-a-moi-3…debat-impossible/

4 – Préserver les droits des enfants

https://www.renepoujol.fr/ma-manif-a-moi-4…roits-de-lenfant/

5 – Abroger, ne pas abroger …

https://www.renepoujol.fr/entretients/ma-manif-a-moi-5…r-ne-pas-abroger/

6 comments

  • Quelques observations, mon cher René :
    1° L’expression de « mariage pour tous » me semble relever d’un glissement sémantique regrettable. L’intitulé de la loi est « mariage de personnes de même sexe ». Le glissement sémantique n’est pas dénué d’arrières-pensées car il avait pour objectif la revendication d’une égalité comme pour montrer a priori que ceux qui s’y opposaient refusaient l’égalité des droits à certains, ce qui était évidemment inacceptable. En outre, mariage pour tous signifierait pas seulement pour les personnes de même sexe, mais aussi d’autres formes d’union, ce qui laisse perplexe.
    2° Pas d’accord pour mettre ensemble PMA et GPA car cela est ambigu. La PMA peut poser problème dans certains cas. Tandis que la GPA pose – en tous cas- un double problème : l’exploitation du corps de la femme et la vente d’enfants car c’est bien de ça qu’il s’agit. C’est pour cela que la PMA doit être encadrée, et la GPA combattue vigoureusement !
    Mais je partage tes conclusions !

  • Cher René, tu me permettras, une fois de plus, d’exprimer mon désaccord… Je sais, je sais, on n’avancera pas plus ; mais bon, après tout, c’est toi qui continues à publier sur le sujet : tu dois donc t’attendre à ce qu’on continue à te répondre. 😉

    Tu reconnais toi-même deux choses. D’une part, d’après les derniers sondages, plus de la majorité absolue des Français est d’accord pour conserver l’adoption (je ne parle même pas du mariage, là c’est les deux tiers). D’autre part, tu admets aussi qu’une fois qu’une bataille est finie, une majorité des hésitants se rallie à la légalité (cette seconde idée permettant d’ailleurs d’expliquer le premier fait).

    A partir de là, de deux choses l’une. Soit on se fonde sur ce qui est accepté par la majorité d’une société, et alors on peut tout de suite arrêter le débat : l’adoption par les couples homos EST admise par la majorité des Français. Au passage, quand tu dis que les chiffres n’ont probablement pas bougé depuis novembre 2014, je ne partage pas ton avis : je pense au contraire que de plus en plus de gens acceptent le mariage et l’adoption par les couples homos, tout simplement parce que c’est passé dans la loi et que ça se banalise dans les faits. Le sondage de l’IFOP que tu cites est sujet à caution : pour un résultat de 50%, la marge d’erreur est, d’après le sondage lui-même, de 3% ; quand 46% des sondés affirment qu’ils souhaitent ne pas changer la loi Taubira, c’est donc peut-être 49% ; mais passons.

    Soit on affirme que la majorité se trompe, mais alors il faut argumenter sa position. Or, je trouve que tu ne le fais que très légèrement. Examinons les choses.

    1. Le mariage et l’adoption par les couples homos n’est pas consensuel au niveau européen. Certes, mais on s’en fout : on ne parle pas d’une loi européenne mais français. Si on devait se demander, à chaque fois qu’on pond une loi en France, si elle ferait consensus au niveau européen, on n’aurait pas les couilles sorties des ronces.

    2. Le cas de l’Italie. Comment dire ? Évidemment, si tu vas chercher l’Italie, la Pologne ou l’Irlande, forcément, tu ne vas pas trouver de gros consensus en faveur de l’adoption pour les homos. Mais est-ce représentatif ? Pas plus que si j’avais été cherché, moi, la Suède, le Danemark et le Royaume-Uni comme modèles…

    3. Une union civile sans filiation serait, même en France, plus consensuelle que le mariage avec filiation. Je le redis : non ! Je serais prêt (et beaucoup avec moi) à me battre contre une union civile sans filiation autant que Ludovine de la Rochère est prête à se battre contre la loi Taubira – c’est dire. 😉 A tout prendre, je préfère que les homos n’aient droit à rien du tout plutôt qu’à une seule union civile sans filiation : quand ils n’ont droit à rien, ça ne peut que mener à une évolution qui PEUT être le mariage avec adoption ; alors qu’une union civile sans filiation risquerait de sembler suffisante à beaucoup. Voilà pourquoi elle est politiquement dangereuse et doit être combattue (même si ce n’est pas automatiquement le cas : en France, le PACS a préparé le terrain à la loi Taubira).

    4. Tu reprends l’argument du « développement inévitable de la PMA-GPA ». Deux choses qu’il convient de distinguer. Pour ce qui est de la PMA, j’y suis, à titre personnel, plutôt opposé, mais aussi bien pour les couples hétéros qu’homosexuels. Ce que vous ne parviendrez plus à faire admettre dans l’opinion, c’est qu’elle soit morale pour les uns, mais pas pour les autres. Alors décidez-vous : soyez contre ou soyez pour, mais détachez cette question du mariage homo, elle est sans rapport.

    Sur la GPA, mon avis est moins net. Mais là encore, l’argumentaire me semble bien fragile. La loi Taubira n’a pas, que je sache, rendu légale la GPA en France ; j’attends toujours la réalisation des prophéties qui nous la promettaient à brève échéance ! Quant à l’inscription à l’état civil des enfants nés par GPA à l’étranger, là encore, et contrairement à ce qu’on entend, elle n’a pas attendu la loi Taubira pour exister. Et pour cause : elle est une obligation légale qui découle du Code civil, qui dispose, par son article 47, que « tout acte de l’état civil des Français et des étrangers fait en pays étranger et rédigé dans les formes usitées dans ce pays fait foi ». Autrement dit, si la GPA est légale dans un pays étranger, les autorités françaises ont l’obligation légale d’enregistrer la nationalité française d’un enfant né par GPA dans ce pays. Encore une fois, rien à voir avec la loi Taubira, juste la bête application du Code civil.

    On est d’accord sur un point en tout cas : ce n’est pas en 2017 que la remise en cause de la loi Taubira s’invitera dans la campagne ! Et honnêtement, 5 ans plus tard, je vois mal les candidats continuer à lutter contre quelque chose qui sera plus encore entré dans les mœurs.

    Je serais plus pessimiste que toi, en revanche, sur la marchandisation du vivant (qui est réelle, même si, à mon sens, la loi Taubira n’y contribue pas) ; je crois que les gens, dans leur majorité, y trouveront leur compte, et que l’éthique passera sous le tapis au profit… du profit.

    • Mon cher Meneldil,

      Que tu sois – et cela depuis toujours – en désaccord avec moi sur cette question n’est pas vraiment une surprise. J’entends ton argumentation et elle ne me convainc pas plus aujourd’hui qu’hier. Si j’ai écrit ce papier ce n’est pas, je l’ai dit, pour relancer le débat, mais pour dire qu’à mon sens il n’était pas clos. Mais à une échéance que je ne saurais situer. Ecrivant cela, je prends le risque de me tromper, comme toi en prétendant le contraire… Je ne vais pas reprendre ici tes arguments point par point, ce qui n’aurait aucun sens car je ne te convaincrai pas davantage avec mes réfutations déjà cent fois servies.

      Simplement tu crois à ce fameux sens de l’histoire qui veut que l’on aille au bout de la reconnaissance des droits individuels, sans aucune limite et sans risque majeur, et que la logique marchande liée aux découvertes de la science soit assurée de l’emporter, indépendamment de toute considération éthique ou morale… Mais alors soit logique : ce que tu dénonces chez moi comme des « épouvantails » non liés à la loi : la PMA, la GPA, l’utérus artificiel finira par s’imposer à tous, homosexuels comme hétérosexuels, la loi Taubira ayant simplement servi d’accélérateur à ces pratiques, en ouvrant les portes de la filiation à des couples biologiquement infertiles. Je n’ai jamais écrit autre chose !

      Mon intuition est que cette évolution, sous le signe de l’individualisme triomphant (ce que le pape François dénonce avec une sainte obstination) , est mortifère pour toute société où le « bien commun » suppose un minimum de concessions, donc parfois de renoncement. En sorte que : soit cette opinion publique sur laquelle tu continues de t’appuyer, fera un virage radical pour sauver sa peau le jour où elle prendra conscience du gouffre qui s’ouvre sous ses pas, soit, dans l’incapacité à négocier cette « réaction » (le vilain mot !), notre société éclatée disparaîtra de l’histoire comme tant d’autres avant elle, ce qui ne me pose personnellement aucun problème majeur, à part, peut-être pour mes arrières petits-enfants.

      Encore une fois c’est là mon analyse. Je ne l’impose à personne. Je souhaite simplement, comme tout citoyen Français, disposer du droit de l’exprimer. En constatant, et c’est là mon regret, que sur cette question il est aujourd’hui difficile de sortir d’une forme de dialogue de sourds. Seul l’avenir, peut-être lointain, nous départagera. Qu’au moins ce différent n’empêche pas entre nous une estime réciproque. Ce que je crois.

  • Cher René,

    Que tu aies le droit d’exprimer ton opinion, c’est pour moi une évidence, et je suis trop attaché aux libertés individuelles, justement, pour chercher à t’en retirer le moindre morceau. Au moins depuis les attentats contre Charlie Hebdo, tu connais ma conception, disons, large, de la liberté d’expression.

    De même, il est évident que nos différends sur le fond ne changent rien à l’estime que je te porte. Sinon, je n’estimerais pas grand-monde !

    Quelques mots, moins pour revenir sur le fond du débat que pour clarifier ma pensée.

    D’abord, je ne crois pas à un « sens de l’Histoire », en tout cas certainement pas au sens où tu l’entends. Je crois à une victoire finale du Bien sur le mal, mais en attendant, je crois que l’Histoire connaît des hauts et des bas. Je ne crois absolument pas à un « progrès » continu ; s’il fallait absolument choisir entre deux extrêmes, je serais même plutôt décliniste. Mais au fond, je ne suis ni l’un ni l’autre : sur certains points, je crois que nous progressons dans la compréhension de la volonté de Dieu, autrement dit du Bien ou de ce qui nous rend heureux, et que sur d’autres points, nous régressons, au contraire.

    Ce qui est vrai, en revanche, c’est que je crois profondément en les droits et les libertés individuels, et que je pense qu’il ne faut pas les nier, les bafouer, les piétiner ou les refuser sans de très solides raisons. Ainsi, je crois que la liberté d’expression doit avoir des limites, mais des limites très larges. De même, en matière d’égalité, je crois qu’il faut de très solides raisons pour établir des discriminations ou des inégalités. Tu parles de la nécessité d’une part de renoncement : je peux être d’accord, si le renoncement est justifié. Dans le cas de l’adoption par les couples homos, je ne vois aucune justification. Renoncer à quelque chose pour le bien commun, d’accord ; renoncer pour le plaisir de renoncer, je n’en vois pas l’intérêt.

    La seule chose que je dis, c’est que pour interdire aux couples homosexuels d’adopter, de telles raisons n’existent pas. D’ailleurs, tu ne le nies pas vraiment, puisque tout ce que tu invoques à l’appui de ta thèse, c’est un principe de précaution : « on ne sait pas, donc gardons l’interdit ».

    Or, je ne crois pas du tout que la comparaison soit pertinente. Les menaces qui pèsent sur l’environnement engagent notre survie en tant qu’espèce, ou tout au moins la continuation d’un mode de vie heureuse, vraiment humaine et digne d’être vécue. C’est cette importance de l’enjeu qui justifie le principe de précaution. Personne ne peut défendre honnêtement l’idée que l’adoption par les couples homos engagerait des enjeux d’une nature ou d’une importance comparable.

    Attention en revanche sur un point : je fais clairement la différence entre ce qui, selon moi, VA arriver, et ce qui, selon moi, DEVRAIT arriver. Ce n’est pas la même chose. Si je pense que la marchandisation du vivant finira, de fait, par s’imposer, ce n’est pas parce que je le souhaite, ni parce que ce serait le « sens de l’Histoire » ; c’est seulement parce que je pense que le rapport de forces en présence est favorable à cette marchandisation. Les riches, les puissants, les capitalistes ont intérêt à cette marchandisation, voilà pourquoi elle a toutes les chances de s’imposer ; ça n’en fait pas un bien, ni le « sens de l’Histoire ».

    Mais je ne vois toujours pas le lien avec la loi Taubira : il ne suffit pas de proclamer péremptoirement qu’elle lui sert d’accélérateur, encore faudrait-il le démontrer. Tout ce que tu trouves à dire pour cela, c’est qu’elle aurait « ouvert les portes de la filiation à des couples biologiquement infertiles ». Or, c’est une contre-vérité pure et simple : ces portes étaient déjà grandes ouvertes par l’autorisation de la PMA aux couples hétérosexuels infertiles. La loi Taubira, j’insiste, n’apporte donc rien de nouveau.

    Bref, ne confondons pas les choses. Je suis sans doute plus pessimiste que toi sur les évolutions de la société à venir, mais je crois qu’il ne faut pas se tromper de combat. Il est parfaitement vrai de dire que l’individualisme menace le bien commun, mais ce n’est pas dans l’adoption par les couples homos qu’il le fait : c’est dans le fait que chacun a sa bagnole, bouffe deux fois plus qu’il ne devrait, rejette des tonnes de plastique chaque année dans la nature. Ça, oui, ça menace tes arrières-petits-enfants. Et même tes petits-enfants.

    • Meneldil,

      Merci pour nombre d’éclaircissements de ta réponse, notamment sur le « sens de l’histoire » et la victoire (possible) de la marchandisation du vivant. Concernant la question de l’adoption ou de l’ouverture à la PMA-GPA, je te propose de te reporter au volet de mon entretien avec Virginie Tellenne, posté sur mon blogue, et qui traite de cette question. Voici le lien https://www.renepoujol.fr/ma-manif-a-moi-4…roits-de-lenfant/

      J’ignore si tu comprendras mieux mon point de vue. J’ai essayé en tout cas d’aller au bout de ma pensée sur le sujet. Avec milles précautions, tu le verras.

    • Qu’est le bien/mal, humainement parlant, en conscience – péché – puis au nom d’une société – crime – ? Ainsi, l’acte pédophile blesse d’autant plus la victime que l’agresseur est un proche, une autorité reconnue par une société pour laquelle l’acte est un crime. Pourtant nous savons que le pédophile est un malade, ni pécheur ni criminel. Ce déni de la maladie est d’autant plus cruel qu’il s’ensuit l’abandon du malade, la négation de son humanité et l’absence de protection ! Parler dans ces conditions de Vérité a quelque chose de grinçant, et ce déni semble cruel aussi pour la victime. Il faut admettre que la vérité est une illusion dès qu’on quitte le champ de la connaissance, et refuser de confondre la révélation, si importante qu’elle soit, avec La Vérité.

      Venons en au « sens de l’histoire », peu compatible avec la gréco-romaine loi naturelle. Ce sens est bien présenté par la métaphore de « La Montagne de l’Âme » (Gao Xingjian), à savoir qu’à chaque génération des humains gravissent cette montagne, sans jamais parvenir au sommet ; puis, aux génération suivantes, quelques-uns se hissent un peu plus haut que les « meilleurs » des générations précédentes, même s’il y a des rechutes… et cela en toutes disciplines. On peut dire que ce sommet qui ne sera jamais atteint est Vérité collective qui nous appelle. L’observation optimiste montre que ce qui l’emporte, au fil des générations, est plutôt bien malgré les rechutes. Ainsi, seul de son temps contre tous, Abélard a considéré l’attitude du peuple juif envers Jésus comme normale dans le contexte. Il fut désavoué par Rome, par Bernard de Clairvaux et par son ami Pierre le Vénérable pour lequel le juif est un bien meuble ; il fallait des sous pour la croisade ! L’institution a mis des siècles avant de renvoyer l’idée de « peuple déicide » aux poubelles de l’histoire. Dans quelques siècles la fracture de la Réforme à laquelle Érasme s’est opposé de toutes ses forces suivra ce même chemin, ainsi que le iota, … comme il est arrivé, dans d’autres registres, pour la torture, l’esclavage, l’évolution, la prostitution, … et comme il arrivera pour l’IVG, la contraception

      Avec cette acception du bien et du mal et du sens de l’histoire, le mariage entre adultes qui s’aiment est un progrès, et les autorités catholiques y viendront parce que les discours sur la montagne et dans la plaine, la loi d’Amour, s’imposeront, même aux clercs ! C’est pourquoi il m’est incompréhensible que « la société catholique » se soit fourvoyée ainsi, elle qui est restée amorphe face à la perspective que le travail le dimanche devienne « la norme », et cela en plein synode sur la famille ! Cette grande erreur confirme qu’être catholique suppose d’être anticlérical, tant que le « système » sera fondé sur l’obéissance à l’autorité et non à la conscience. L’autorité devra abandonner sa règle essentielle qui place les consciences sous sa tutelle, elle a beau rejeter le prophétisme, celui-ci n’a pas été aboli par Jésus (voir Teilhart de Chardin sur les trois pierres mal engagées sous l’édifice).

      Sur la marchandisation, je suis pleinement d’accord avec René, même si la société se laisse aller, les hommes de bonne volonté se battront, s’accrocheront à la montagne, se nourriront des discours sur la montagne et dans la plaine. Le parcours de la loi prostitution en France invite à l’optimisme, à la foi en l’humanité habitée d’une âme.

Comments are closed.