Le pape me dit : « Tu es athée ? Reste-le! »

Le pape me dit : « Tu es athée ? Reste-le! »

Dans un livre attachant, Victor Grèzes éclaire et conforte le positionnement interconvictionnel de la jeune association Coexister.

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Cet article a été repris sur le site A la table des chrétiens de gauche et sur celui de la Conférence catholique des baptisés francophones que je remercie. 

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Dans la polémique récente qui a opposé le Premier ministre Manuel Valls à Jean-Louis Bianco, Coexister s’est soudainement trouvé dans l’œil du cyclone. Deux jours après les attentats du 13 novembre, Libération publiait une tribune titrée «Nous sommes unis», signée par quatre-vingt personnalités de premier plan : responsables politiques et syndicaux, chefs religieux, présidents d’associations, intellectuels et universitaires… et Jean-Louis Bianco président de l’Observatoire de la laïcité qui s’est vu reprocher par le Premier ministre d’avoir mêlé sa signature à celle d’organisations considérées «comme participant d’un climat (nauséabond).»

La tribune avait été rédigée à l’initiative de Coexister dont le fondateur Samuel Grzybowski et la nouvelle présidente Radia Bakkouch figuraient parmi les signataires. En quelques heures le débat sur la laïcité se trouvait relancé dans les conditions les plus détestables. Une laïcité qui est pourtant au cœur même de la charte de Coexister  (1) qui accueille indifféremment dans ses rangs : chrétiens, juifs et musulmans, agnostiques et athées. Pour honorer la réalité d’un pays majoritairement de culture chrétienne mais où 36% de la population dit croire en Dieu contre 34% qui se dit athée et 30% agnostique. (2) Mais cette vision de la laïcité est loin de faire l’unanimité. Dans une tribune demandant la démission de Jean-Louis Bianco (3), on peut lire à propos de l’appel «Nous sommes Unis» : «Parmi les signataires se trouve aussi la présidente de l’association interconfessionnelle Coexister, Radia Bakkouch, qui voudrait remplacer la neutralité laïque de l’espace public par la coexistence des religions.» Procès absurde et malveillant !

Le 26 janvier Victor Grèzes, également membre de Coexister publiait à son tour une lettre ouverte à Manuel Valls : «Je suis un jeune français de 24 ans, athée convaincu, militant de gauche, un des porteurs du collectif #NousSommesUnis. Lundi 18 janvier, vous m’avez insultéEt voilà que deux semaines plus tard, pur hasard du calendrier, sort dans les librairies, du même Victor Grèzes : «Je suis athée, croyez-moi» (4), sans doute la meilleure réponse que Coexister pouvait opposer à ses détracteurs de l’heure.

Une forme de vérité qui laisse toute leur place à d’autres formes de vérité

Dans cet itinéraire d’un jeune athée du siècle, l’auteur évoque son enfance auvergnate de fils d’enseignants baignant dans un univers non-religieux mais ouvert. Il a quinze ans lorsqu’à l’occasion d’une année de scolarité en Afrique du Sud il se trouve confronté à l’expression de foi communautaire de ses camarades de classe. Il écrit à ce propos : «Je ne sais pas si cette communauté est faite pour moi, mais je sais que ma présence à leurs côtés témoigne de ma volonté d’avancer dans un même élan citoyen, quelle que soit ma religion, ma croyance ou ma foi.» Il ne variera plus dans cette conviction. Et le récit qu’il nous livre ici de son voyage autour du monde de 2012-2013 avec Samuel le catholique, Ilan le juif, Ismaël le musulman et Josselin l’agnostique, se referme sur ce constat en forme de profession de foi : «Je suis plus athée et plus bienveillant à l’égard de la foi que jamais». (5)

Mon propos n’est pas ici de raconter ce livre plein de sensibilité, de mesure, de générosité… Mais de souligner que l’auteur se rattache à cette frange de l’athéisme qui ne revendique aucune supériorité de principe sur la croyance religieuse. Comme si l’un procédait de la raison pure là où l’autre faillirait par déraison. Evoquant les jours qui précèdent son départ pour ce tour du Monde, il confie : «Je comprends que les croyants sont soumis aux mêmes incertitudes et que, contrairement à ce que je pensais, ils ne se contentent nullement de trouver des réponses toutes faites à des questionnements existentiels qu’ils n’arriveraient pas à dépasser par la raison… Qui suis-je, moi Victor, jeune homme de vingt-et-un ans rempli de certitudes, élevé avec bienveillance dans un cocon engagé en province, pour juger des réponses des autres à tout ce qui nous dépasse ?»

Pour Victor Grèzes l’athéisme est donc une croyance, au même titre que la foi de ses amis. Ce qui n’empêche ni l’un ni les autres de se considérer dans une forme de vérité, sinon, pourquoi croire et affirmer ceci plutôt que cela ? Mais une forme de vérité qui laisse toute leur place à d’autres formes de vérité. Ce qui fait penser à cette phrase, souvent commentée (je cite de mémoire) : «Une vérité superficielle est une vérité dont le contraire exact est une erreur, une vérité profonde est une vérité dont le contraire exact est également une vérité profonde.» (6)

Passer de deux certitudes qui s’excluent à deux croyances qui s’interpellent

Lorsque l’un dit «Je crois en Dieu…» il ne dit pas : je sais l’existence de Dieu incontestable. De même que l’autre ne prétend pas situer son athéisme comme connaissance objective et irréfutable de l’inexistence de Dieu. Mais il faut être bien conscient que cette approche est loin de faire l’unanimité dans l’un et l’autre camps. Pour certains tout athéisme digne de ce nom doit être un athéisme de combat contre l’obscurantisme tout comme, pour certains catholiques, juifs ou musulmans toute foi sincère ne peut s’imaginer qu’opposable à l’incroyance et l’impiété. Passer de deux certitudes absolues qui s’excluent mutuellement et doivent se combattre à deux croyances qui s’interpellent et entrent en dialogue ne va pas de soi. Est-il exagéré de dire que le clivage entre ces deux formes de pensée sous-tend aujourd’hui pour une large part nos débats exacerbés sur la laïcité ?

«Tu es athée ? Ne change surtout pas ! » lui dit le pape François 

Au cours de leur tour du monde interreligieux, les cinq amis de Coexister ont fait étape à Rome. A l’initiative du cardinal Etchegaray, ils ont pu rencontrer le pape François, quelques minutes, à l’issue de son audience hebdomadaire. Victor Grèzes raconte : «Il est très intéressé par notre démarche et nous demande de nous présenter un à un. Lorsque j’évoque mon athéisme, il me regarde droit dans les yeux, m’attrape fermement le bras droit et me dit en souriant : «Tu es athée ? C’est parfait, tu es mon nouvel ami, ne change surtout pas.» Démagogie ? Non ! Eternelle actualisation de Matthieu 25 qui affirme qu’au jour du Jugement dernier il ne sous sera pas demandé quelle a été notre appartenance ou notre pratique religieuse mais si nous avons nourri l’affamé, accueilli l’étranger, visité le prisonnier… Cette vision élargie de l’universalité du Salut reste l’un des acquis majeurs du Concile Vatican II.

Je me réjouis de cette attitude de mon Eglise comme je me réjouis de l’ouverture au dialogue d’un certain nombre de philosophes athées tels Luc Ferry ou André Comte Sponville et de certains responsables politiques. Mais je me réjouis bien plus encore qu’une génération de jeunes se reconnaisse fraternellement dans la démarche de Coexister au service du « vivre ensemble », non pour y contraindre qui que ce soit, mais pour nous dire simplement, sereinement, qu’il est possible. Et que se joue là quelque chose d’essentiel pour notre paix civile.

© René Poujol

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  1. Samuel Grzybowski, Manifeste pour une coexistence active, Ed. de l’Atelier, 112 p. 5 €
  2. Sondage Ifop de 2011 cité dans le livre p.40
  3. Non seulement il n’y a pas eu démission mais aujourd’hui-même, 11 février, le Premier ministre Manuel Valls confirmait dans leurs fonctions Jean-Louis Bianco Président, et Nicolas Cadène rapporteur général de l’Observatoire de la laïcité. La Libre pensée, la Ligue des Droits de l’Homme et la Ligue de l’enseignement, peu suspects de non laïcité, avaient recueilli en ce sens 10 000 signatures de soutien.
  4. Victor Grèzes, Je suis athée, croyez-moi. Ed. de l’Atelier, 140 p. 10 €
  5. Ce tour du monde a été raconté par Samuel Grzybowki dans Tous les chemins mènent à l’autre, Ed. de l’Atelier, 208 p. 10 €
  6. Pensée généralement attribuée à Niels Bohr (1885-1962)

 

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9 comments

  • Merci René pour cet article que je qualifierais d’apaisant dans les débats tendus de ces derniers jours au sujet de la laïcité.
    Je n’ai pas lu le livre du jeune auteur, mais sa Lettre ouverte, oui. Son approche d’une laïcité vécue dans le respect mutuel est encourageante. Ses valeurs humanistes et citoyennes sont exemplaires.

    Bien sûr, je me situe du côté des croyants convaincus. Cela ne m’empêche pas de fréquenter au quotidien des athées dont font d’ailleurs souvent partie mes meilleurs amis. Je ne cherche pas à les convertir, et ils me respectent profondément dans ma croyance et même dans mes efforts d’évangélisation sur le net. Une de mes amies, athée convaincue, ne m’offre que des livres spirituels ! Une belle marque de respect…

    Pour ma part, j’irais juste un peu au-delà de la phrase :
    « Lorsque l’un dit «Je crois en Dieu…» il ne dit pas : je sais l’existence de Dieu incontestable. »
    Pour avoir été longtemps labourée de doutes, j’ai maintenant, à la maturité de mon âge, atteint une foi très sereine, perdu la crainte que Dieu ne soit pas. C’est très personnel, mais dans l’expérience mystique, il nous est donné de dépasser la croyance pour entrer dans la connaissance de Dieu. C’est peut-être rare, c’est sans doute un privilège, mais je le goûte en rendant à Dieu une foi totale, un abandon dans une confiance absolue. Consciente que la mystique n’est pas donnée à tous les esprits, j’en témoigne, c’est tout, sans vraiment chercher à persuader.

    Et je soulignerai un dernier point : la mystique enferme rarement dans une religion donnée. Au contraire, elle élargit considérablement la conscience de la grandeur de Dieu, et fait tomber certaines barrières que les dogmes ont tendance à ériger.

  • J’ai eu la grande chance de rencontrer et de discuter avec Victor et je peux vous dire qu’il est extrêmement intelligent et très humble et ouvert au dialogue. La France a une chance inouïe d’avoir des jeunes comme lui et comme Samuel, Ilan, Ismaël, Josselin ainsi que tout ceux qui choisissent comme eux d’agir avant de parler ou encore pire…de rester chez soi et d’attendre que les choses changent.

    Encourageons-les plutôt que de les attaquer…Il serait quand même temps que l’on sache d’où vient réellement le danger…assurément pas de ces jeunes-là, je vous l’assure.

  • « Tu es athée, c’est parfait, tu es mon ami, ne change pas ». Ces mots du Pape François n’éclairent-ils pas l’existence de ce groupe « Coexister » de jeunes croyants en Dieu pour certains , non croyants pour d’autres ? N’ont-ils pas en commun l’essentiel ? La reconnaissance de leurs différences, le respect et la bienveillance mutuelles qui permettent d’oeuvrer ensemble pour le bien commun. En réalité existe-t-il une différence fondamentale entre le croyant qui cherche et doute et le non croyant qui lui aussi cherche et doute ?
    Par contre la coexistence est plus difficile entre les croyants et les non croyants dogmatiques et la masse des indifférents qui ne se posent aucune question.

  • Maurice Zundel avait un point de vue intéressant sur l’athéisme. Il disait qu’une grande partie de l’opposition entre personnes athées et personnes croyantes provenait d’un malentendu.

    Dans la même veine, j’ai lu un livre dont je ne me rappelle pas le titre d’une femme rabbin qui écrit très joliment : « ce Dieu auquel vous ne croyez pas, je vous rassure tout de suite, je n’y crois pas non plus ».

    Je me demande si le Pape François n’a pas le même point de vue.

    Au fond, les personnes athées ciblent souvent très bien cette idole que nous autres croyants adorons parfois à la place de Dieu.

    Parmi d’autres, le Dieu Pervers décrit très bien par Maurice Bellet, cette idole qui veut la soumission, qui veut garder le pouvoir sur ses adorateurs, qui veut que nous « gagnions notre ciel » à la sueur de notre front par toutes sortes d’injonctions impossibles à accomplir complètement : « soit parfait », l’idole des scrupuleux, des angoissés que nous adorons tous de temps à autre.

    • Je suis d’accord : le dieu que refusent la plupart des incroyants je le refuse aussi.
      Au fond, il est très difficile de préciser ce que l’on entend par Dieu .
      Le nid où je me réfugie, dans ma pauvreté et ma désolation, m’est propre et incommunicable. Charles Froger

  • L’expression « les mots sont trop petits » est sans doute consensuelle sur Dieu. L’abus de mots dénote alors un mélange d’inquiétude, de refuge en cas de déséquilibre entre activité intellectuelle et matérielle, une aspiration spirituelle venue de notre profondeur, …

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