Lettre ouverte à un jeune catholique qui a voté pour Marine le Pen.

Cher Julien, Vous avez pris l’initiative de m’écrire quelques lignes (*), en réaction au précédent article de ce blog : «Vatican : il faut que tout change…» et je vous remercie de cette liberté.

«Soyez un homme d’espérance» comme vous y invite votre évêque pour lequel j’ai la plus grande estime. Voyez-vous, je serais assez à l’aise avec votre question «comment vivre dans une Eglise gouvernée par l’Esprit Saint et pas par le militantisme ?» s’il n’était aussi clair, dans vos propos, que le militantisme : c’est moi qui l’incarne !

Vous évoquez «la condescendance et le ton hautain de (mon) article envers les cardinaux.»  en vous demandant «ce qu’ils ont fait»… qui puisse justifier à ce point mon propos. Je ne crois pas avoir visé particulièrement les cardinaux mais la Curie dans son mode de fonctionnement. Bien qu’on puisse légitimement s’interroger sur des prises de position récentes, de cardinaux précisément. Je pense au cardinal Allemand Brandmüller, affirmant que la déclaration conciliaire Nostra Aetate, qui a mis fin au mépris séculaire envers les Juifs, «n’était pas contraignante». Et tant d’autres paroles cardinalices qui semblent prendre leur distance avec le pape Benoît XVI.

La fonction journalistique est libre dans l’Eglise.

Pour vous étonner de ma diatribe, sans doute faut-il que les événements graves de ces dernières semaines, dont la presse s’est longuement fait l’écho, aient échappé à votre vigilance, tout comme les «affaires», plus graves et plus anciennes, que Benoît XVI a courageusement prises à «bras le corps» : silence criminel sur des affaires de pédophilie, indulgence coupable vis à vis du fondateur des légionnaires du Christ… qui ont conduit nombre de croyants à quitter l’Eglise.

Ce que vous interprétez comme «condescendance» de ma part n’est jamais que le libre exercice d’une fonction journalistique dont le code de droit canonique reconnait la légitimité, étant sauf le respect du aux personnes. Ce qui est le cas. Je crains que votre amour pour l’Eglise «dont le Christ est la tête» ne vous fasse conclure un peu rapidement à l’irrecevabilité de toute critique touchant les institutions, les hommes (je n’ose pas ajouter «et les femmes») qui en constituent la structure humaine. Je ne crois pas que le silence «pudique» sur toutes ces questions soit une attitude responsable, ni courageuse, ni bénéfique. On ne peut changer que ce qu’on aime. Il faut donc aimer l’Eglise – et j’aime l’Eglise – pour avoir envie de lui donner un autre visage.

Rappeler la Doctrine sociale de l’Eglise n’est pas appel à voter à gauche.

Vous dites également votre peu d’inclination à «voter à gauche» comme j’appellerais à le faire entre les lignes de mon journal. Deux réponses à cela : j’ai quitté toute responsabilité à Pèlerin depuis bientôt trois ans. Et je ne crois pas que la rédaction ait renoncé à ce qui, sous mon autorité, a toujours été notre pratique : une totale neutralité en matière électorale. Mais chaque lecteur lit la presse à partir de sa propre sensibilité. Et peut interpréter la «liberté» de son journal, comme une prise de position hostile à ses propres choix. Un hebdomadaire catholique est dans son rôle à rappeler les exigences de la doctrine sociale de l’Eglise comme nos évêques nous y invitent.. sans être pour autant «de gauche». Souvenez-vous de la phrase de Dom Helder Camara, l’archevêque de Recife : «Lorsque je m’occupe des pauvres, on dit de moi que je suis un saint ; quand je demande pourquoi ils sont pauvres, on me traite de communiste.» 

Cette liturgie que vous méprisez, c’est celle de l’Eglise catholique.

Par ailleurs, cher Julien, je saisis mal le lien que vous opérez entre ma prétendue «condescendance», mon «appel à voter à gauche» et votre peu de goût pour la liturgie en langue vernaculaire «tournée vers le peuple» (versus populum préférez-vous écrire). Sauf à considérer que cette liturgie-là serait l’invention de cathos «de gauche» hostiles au Pape et à la hiérarchie de l’Eglise. Alors qu’elle est tout simplement la liturgie du Peuple de Dieu, voulue et votée par les pères du Concile.

Comme vous j’aime à regarder, au-dessus de l’autel, ce lieu focal où chaque jour jaillit le soleil, qui nous dit la lumière du Christ et la promesse de son retour. Mais le missel de Paul VI a parfaitement su intégrer cette symbolique à ce qui reste les acquis irréversibles de Vatican II en matière de liturgie : la redécouverte de la Parole de Dieu offerte à tous dans une langue accessible et le fait que c’est le peuple des baptisés qui célèbre et non le prêtre seul, même si c’est lui qui préside l’eucharistie en lieu et place du Christ.

Les jeunes cathos ne sont pas tous tradis et électeurs du FN.

Vous m’exhortez «respectueusement» à m’interroger sur les raisons pour lesquelles, comme vous l’écrivez «les jeunes catholiques votent FN et sont tradis.» Permettez une première observation : tous les jeunes catholiques ne votent pas FN et ne sont pas tradis. J’ai encadré, des années durant, de jeunes chefs dans le cadre du scoutisme ; j’ai accompagné de jeunes adultes partant aux JMJ et, plus récemment, de jeunes professionnels rassemblés pour Pentecôte à l’Institut catholique de Paris. Ils ne votaient pas FN et n’avaient pas de goût marqué pour la Tradition, au sens où vous l’entendez. Mais je vous accorde que le nombre de ceux qui partagent votre sensibilité doit nous «interpeller».

Je crois comprendre les raisons qui vous ont conduit ainsi que vos amis, à choisir Marine le Pen : le sentiment que les valeurs qu’elle défend sur la famille, sont celles que promeut l’Eglise catholique : mariage hétérosexuel, refus de l’avortement et de l’euthanasie, rôle premier des parents dans l’éducation des enfants ; l’idée que le «sentiment national» serait aujourd’hui l’unique voie pour pérenniser la «France de toujours» face aux menaces du mondialisme, du multiculturalisme, du pluralisme – donc du relativisme – religieux.

Permettez-moi de vous écrire ceci : il n’est pas plus raisonnable de se crisper aujourd’hui sur la nostalgie d’une «France catholique» largement fantasmée qu’au temps de Saint-Augustin de se lamenter sur la chute de l’empire romain. Si le christianisme possède le «génie» que lui attribuait Chateaubriand, c’est bien d’avoir été capable, tout au long de l’Histoire, de «féconder» les cultures auxquelles il a été confronté. De même qu’il faut aimer l’Eglise pour la changer et désirer la changer à hauteur de l’amour qu’on lui porte, il faut aimer le monde si l’on prétend l’ensemencer d’Evangile. Et l’aimer tel qu’il est.

Ne fourvoyez pas votre générosité en égoïsme domestique…

Or, voyez-vous, Julien, je crains que votre générosité indéniable, propre à toute jeunesse, ne cache en fait l’une des multiples facettes de cet individualisme qui est la marque de notre époque. Vouloir se construire une «famille chrétienne» est louable, et soutenir toute politique qui semble en garantir les conditions sans doute compréhensible. Mais nous ne sommes pas seuls au monde et le monde est en souffrance.

De l’encyclique de Benoît XVI Caritas in veritate à la déclaration des évêques de l’Union européenne (Comece) sur «l’économie sociale de marché», ou au texte récent des évêques de France sur l’écologie… Des cris d’alarme du Secours Catholique à l’engagement de la totalité des associations caritatives en faveur des exclus, des migrants, du quart-mode, tous nous appellent à la construction d’une France ouverte, solidaire, généreuse, aux antipodes du programme et des valeurs du Front National. «J’étais étranger et vous m’avez accueilli…» nous dit le Christ en Matthieu 25, dans le récit du Jugement dernier. Il est des égoïsmes domestiques qui peuvent somnoler douillettement en toute bonne conscience, à l’abri de la morale chrétienne, alors que le monde connaît les douleurs de l’enfantement.

Nul besoin de chanter en latin pour être pénétré du mystère de Dieu. 

Votre «exhortation à m’interroger» dit assez votre assurance inébranlable en vos «valeurs». Julien, croyez-vous vraiment qu’avoir eu vingt ans en Mai 1968 fait de moi, forcément : un renégat, un salaud, un naïf ou un imbécile ? Croyez-vous vraiment que j’ai consacré trente-cinq ans de ma vie au journalisme dans la presse catholique, avec pour unique ambition de «détourner» les voix de mes lecteurs lors des élections ? D’où vous vient cette certitude qu’on ne puisse être catho qu’au sein d’une droite extrême, et fidèle à son Eglise qu’en référence à une Tradition figée arbitrairement sur la contre-réforme et l’anti modernisme du XIXè siècle ? Ce n’est là ni la foi ni l’enseignement de l’Eglise. Je ne conteste pas que vos assemblées soient priantes. Mais je n’ai nul besoin de chanter la messe en latin, le prêtre dos au peuple, pour être pénétré du mystère de Dieu. Un jour prochain, allez assister à la messe en l’église Saint-Gervais de Paris, où moines et moniales des Fraternités monastiques de Jérusalem chantent la «liturgie chorale du Peuple de Dieu» de mon ami André Gouzes. Et dites-moi si elle est indigne du mystère de Dieu.

Julien, de votre courte lettre je veux retenir l’appel à nous laisser guider par l’Esprit Saint, vous et moi, dans un même appel à la conversion. J’entends vos convictions. Essayez d’entendre les miennes. Laissons le désir du dialogue l’emporter entre nous sur la logique du mépris. Croyez bien que je n’aurais pas pris la peine d’une aussi longue réponse si je n’avais pour vous une forme d’estime, par delà nos différences.

(*) Je suis un jeune catholique de la région parisienne. Je suis un diocésain heureux de Mgr Daucourt qui, comme cela ne vous a sans doute pas échappé, multiplie les initiatives en faveur des personnes divorcées, remariées, homosexuelles etc. Comme il nous le dit toujours : j’essaie d’être un homme d’espérance. Prions pour que tout le Peuple de Dieu le soit aussi. Seulement comment vivre une Eglise gouvernée par l’Esprit Saint et pas par le militantisme ? La condescendance et le ton hautain de votre article envers les cardinaux (d’ailleurs ils ont fait quoi ?) n’incitent pas les jeunes chrétiens comme moi à rester aux messes en langue vernaculaire versus populum, et à voter comme vous l’appelez entre les lignes de votre journal que je lis presque chaque semaine : à gauche. Très chrétiennement je vous exhorte à vous interroger sur les raisons pour lesquelles les jeunes cathos votent FN et sont tradis.

Respectueusement.

6 comments

  • Ce n’est qu’un maigre aspect de votre intervention, et mon silence sur le reste vaudra consentement.
    Néanmoins, il n’est à ma connaissance écris nul part dans le missel Paul VI et dans les décrets du concile Vatican II (qu’il me soit pardonné le mauvais usage du mot décret, j’ai oublié le mot qui convenait) que la messe dusse être dite face au peuple.

  • Merci pour cet argumentaire qui sait rappeler quelles sont les idées de l’Église de façon respectueuse.

  • Aubert, il est vrai que la constitution sur la sainte liturgie n’a pas parlé de l’orientation du prêtre. Elle a pour but une réforme de la liturgie catholique et quand on lit le texte l’on se rend compte que le principe directeur de cette réforme a été la participation active, extérieure et intérieure, des fidèles au sacrement de l’eucharistie. Le Pape Paul VI a nommé, pour mettre en application la réforme voulue par Vatican II, une commission liturgique, et c’est cette commission qui dans un document officiel, approuvé par le pape, Inter Oecumenici, a entre autres choses recommandé la célébration versus populum. Vu que le pape est le responsable de la liturgie dans l’Eglise et qu’il a approuvé le document comme une application des orientations du concile je ne vois pas où est le problème. Permettez-moi aussi de rappeler que Jésus n’a pas célébré la sainte Cène, lors du repas pascal, tourné vers un mur et en latin…

  • Merci Robert, ayant été éloigné de Paris durant une grosse semaine je n’avais pas eu le loisir d’aller chercher la réponse à l’objection d’Aubert. Merci de l’avoir fait. Et bien d’accord sur la conclusion. Mais la fixation sur la notion de « saint sacrifice de la messe » a conduit l’Eglise catholique à faire siens les attitudes et gestes sacrificiels des religions antiques.

  • Dans la ligne de l’objection d’Aubert une foultitude d’autres sont possibles. L’exemple qui suit est du même ordre « liturgique » et au sens profond en ce que la liturgie s’efforce d’exprimer la relation d’une communauté au divin selon le NT
    Le canon 20 du premier concile œcuménique, en ligne avec de précédents conciles et suivi et précisé encore jusqu’au IX ème siècle par d’autres conciles a interdit, sous peine de rejet de la communauté, l’agenouillement, non seulement lors de la prière communautaire du dimanche, mais pour tout prière. Le piétisme a balayé la profondeur religieuse et évangélique de cette attitude, pour en prendre. Un théologien orthodoxe de Paris a mis en ligne un intéressant mémoire à ce sujet (http://www.orthodoxa.org/FR/orthodoxie/theologie/Agenouillement.pdf). La liturgie porte loin au cœur des humains et de leurs communautés, et je partage avec Aubert le souci que, quand il y a débat il convient, pour y participer, d’ en apprécier les termes, sans préjugé (le pape ou mon évêque à dit, n’a pas dit, le concile a dit n’a pas dit). C’est le pourquoi qui compte.

Comments are closed.