Quel malheur pour le commerce !

Quel malheur pour le commerce !

Le débat autour du travail du dimanche illustre à merveille cette prétention d’une élite autoproclamée à nous faire prendre pour une conquête des libertés ce qui traduit simplement son allégeance imbécile au capitalisme le plus cynique. 

Je me suis surpris de n’avoir rien écrit, depuis quinze jours, autour du débat récurrent sur l’ouverture des magasins le dimanche. Il faut y voir, de ma part, une forme de lassitude. J’ai le souvenir d’avoir tellement bataillé sur le sujet, au travers de mes éditoriaux de Pèlerin, que j’ai parfois l’impression d’avoir déjà tout dit… Mais, il est vrai, il y a cinq ou six ans… Je me souviens, à l’époque où Nicolas Sarkozi faisait de ce travail dominical l’illustration emblématique de son : «travailler plus pour gagner plus…», avoir conclu, en désespoir de cause, l’un de mes papiers sur cette citation de Jacques Prévert : «Il suivait son idée. C’était une idée fixe, et il était surpris de ne pas avancer.»

Le nouveau culte… des annonceurs !

L’immobilisme demeure… et l’obsession également ! Jadis, les thuriféraires se trouvaient dans les églises et portaient l’encensoir destiné aux célébrations liturgiques. Désormais, dans nos sociétés dites sécularisées où, Dieu merci, on en a fini de ces superstitions, les nouveaux porteurs d’encensoir sont salariés des stations de radio et des chaines de télévision. Ils n’aiment rien tant qu’enfumer leur public en célébrant le culte (et pas uniquement dominical) des annonceurs qui les font vivre. Et du coup finissent par se croire à l’avant-garde des combats dits sociétaux, alors qu’ils ne sont jamais que des petits marquis aux ordres du libéralisme économique le plus cynique.

Et comme, étant homme de foi, je sais l’être aussi de « mauvaise… » je vais vous la servir sans complexe. Je n’ai jamais vraiment compris comment, en période de crise du pouvoir d’achat, les gens allaient pouvoir dépenser sur sept jours plus qu’ils n’en dépenseraient sur six. Et donc en quoi cela allait créer des emplois sauf à en faire disparaître dans les commerces de proximité pour en créer dans les grandes surfaces.

Etudiant sur canapé…

Je n’ai jamais saisi l’urgence d’ouvrir les magasins d’ameublement le dimanche au motif que c’était dans une zone touristique. Je n’ai pas le souvenir d’avoir vu un Japonais repartir à Tokyo avec un canapé sous le bras. Quant à l’étudiant auquel ladite ouverture offrirait la perspective d’un petit boulot rémunéré, je l’entends d’ici expliquer audit japonais que s’il veut vraiment en savoir davantage sur la qualité du cuir dudit canapé, il vaudrait mieux qu’il repasse le lendemain pour en parler avec le chef de rayon, parce que lui, n’est-ce pas… sa spécialité, c’est la sociologie ! Fermez le ban ! Ou le canapé, si c’est un clic-clac !

On me donne en modèle de modernité la brave secrétaire qui quitte son bureau à 21 heures, le soir, et se trouve heureuse, dans la foulée, de pouvoir acheter ses «Perle de lait» au citron, au Monoprix des Champs-Elysées. Sauf qu’il faut m’expliquer comment en travaillant 35 h, et même en rajoutant les temps de transport, on n’a pas les moyens de tomber à un autre moment de la semaine, sur une supérette qui vend aussi des «Perle de lait», à la vanille peut-être, mais bon… Et si les Chinois, les Russes ou les Qataris en villégiature à Paris, ne peuvent s’offrir leur parfum préféré, sous les étoiles, entre la sortie du spectacle et le retour à l’hôtel, peut-être accepteront-ils de satisfaire leur désir d’achats… à l’heure d’ouverture des magasins.

Echangerais prime de nuit contre salaire décent

L’étape d’après sera de me culpabiliser sur le sort de la «pauvre» vendeuse qui, elle, se fait 150 € de plus en travaillant en dehors des heures normales. Pour ce qui me concerne j’autorise volontiers son patron à lui donner un salaire décent qui lui permette de vivre sans travailler la nuit ni le dimanche. C’est tout simplement ce que proposent ces «réacs» de syndicats, qui n’ont rien compris à la grandeur émancipatrice du libéralisme économique. Pire : ils ont réussi à infiltrer le Vatican où le pape François dénonçait, avant-hier «le libéralisme sauvage créateur d’une «culture du rebut» qui marginalise et laisse mourir les catégories les plus faibles et les pauvres» (1). Drôle de coco celui-là, si vous permettez l’expression !

Alors il va falloir, dare dare, faire un cours d’économie à nos amis thuriféraires des médias audio-visuel. Leur expliquer que leurs prétendues avancées sociétales, conquête suprême de l’individualisme comme victoire indépassable des Droits de l’homme, ne sont jamais que le cadre idéal dont n’osait rêver le capitalisme international.

Prenez un couple avec enfants, faites-le éclater au nom du «droit de chacun a être fidèle d’abord à lui-même et à ses désirs…» , priez le Ciel que le juge décide une garde alternée et que le marché du travail oblige le père à s’exiler à 100 km de là, c’est le jackpot ! Pensez : deux appartements à trouver et meubler plus les frais d’agence, deux voitures à assurer et entretenir, des abonnements SNCF pour les aller-retour quinzomadaires des chers petits, des affaires à avoir « en double » chez papa et maman, des heures de communication sur les smartphones, un psy pour l’ado qui va pas bien, des cours de rattrapage pour éviter à son frère de redoubler sa troisième, des antidépresseurs pour les adultes, quelques cours de sophrologie pour tenter d’en sortir en douceur, du shopping «pour compenser» un peu, un abonnement aux sites de rencontre internet pour se refaire une vie, et un crédit à la consommation pour pouvoir payer… les honoraires d’avocats ! Bingo !

Du culte, à la culture, puis au cul…

Et dire qu’à côté vous avez encore des familles « à la con » – parfois catho, mais pas forcément  – qui n’ont même pas été fichues de divorcer et qui réussissent tant bien que mal à vivre heureuses avec leurs enfants. « Ca surconsomme pas, ces gens-là, mooosieur…, ça surconsomme pas ! » Imaginez le manque à gagner pour le commerce et les services ! Où va-t-on créer des emplois ? On comprend que les hommes-sandwich de radio et de télé n’aiment pas ! Ringard ou vous dit ! Et en plus anti-social.

En un demi-siècle on est passé de la messe dominicale, à la maison de la culture puis au centre commercial… itinéraire d’une émancipation. Du culte, à la culture puis au cul… puisque le sexe est devenu l’ultime argument de toute campagne de pub qui se respecte. Désormais le must est, lorsqu’il fait froid chez soi, l’hiver, parce que le chauffage est hors de prix, et qu’on n’a pas les moyens de se payer le ciné, de pouvoir faire une sortie dominicale au magasin d’ameublement pour rêver un peu sur ce qu’on ne peut pas s’offrir, pendant que les enfants font du trampoline sur les matelas !

Alors je dis aux cahos : ouvrons nos églises le dimanche après-midi, allumons le feu, portons des «Perles de lait» parfum coco faites « maison » par l’équipe locale du Secours Catholique et nous finirons par voir des gens entrer, pour se réchauffer un peu et parler… gratis, sans être emmerdés par un vendeur !

 

PS. Et merci à l’ami Bernard Podvin d’être descendu dans l’arène.
PPS. Pour ceux qui liront ce texte après le 10 octobre, je confesse… que dans une première rédaction le dernier paragraphe disait : « ouvrez vos églises… » Je ne vous fais pas un dessin !

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(1) Dépêche AFP du 3 octobre 2013, réaction du Vatican après le drame de Lampedusa.

7 comments

  • Cher René,
    sans doute n’as-tu pas vu Photoquai, la biennale des images du monde présentée par le musée du quai Branly. On y trouve notamment des photos très édifiantes. Voilà ce que j’ai posté sur mon blog: http://erasme.over-blog.fr/article-quand-l-eglise-aime-le-travail-du-dimanche-et-les-centres-commerciaux-120336315.html
    Il y a manifestement d’autres manière de considérer le commerce et le travail du dimanche que celle que tu nous proposes!
    Bien à toi.
    Desidérius Erasme

    • Effectivement il ne reste plus aux centres commerçiaux qu’à avoir l’intelligence d’y installer aussi des lieux de culte… quoique dans la France laïque, j’attends de voir ! Mais cale n’enlève rien à ma démonstration sur « l’isolement » de l’individu comme stratégie de développement de la consommation… comme compensation !

  • bravo pour cette interrogation
    même si depuis longtemps des personnes n’ont pas d’autre choix que de travailler le dimanche ( dans la santé , l’alimentation…….)

    mais dans ce cas quel est le but : le profit des patrons ou le service ?
    la mort des multiples petits commerces où l’on discute quand on est un ancien isolé et la perte de l’âme des villes et des villages désertés

    la survie financière des travailleurs ou le confort de celles et ceux qui veulent tout quand elles le souhaitent

  • Merci René. Il me fallait un bon commentaire, tu me l’as donné.
    A bientôt de se revoir aux Journées d’études à Annecy. Bernard Bidaut

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