l’Eglise et les médias : entre fascination et réprobation.

Je ne sais si le titre de cette conférence, finalement retenu avec mon assentiment, trouve là sa formulation la plus pertinente. Mais chacun aura compris le sens de l’interrogation qu’il sous-tend : le rapport de fascination et d’incompréhension réciproques (pour ne pas user du mot répulsion, sans doute excessif) qui marque, depuis longtemps déjà, les relations entre l’Eglise catholique et le monde journalistique. 

 

Conférence donnée à PAU, le 9 novembre 2012,

dans le cadre du Service de formation permanente du Centre diocésain du Béarn.

 

Je me souviens d’une rencontre à Lyon, avec le cardinal Billé, au début des années 2000, alors qu’il présidait encore la Conférence des évêques de France. Il m’avait confié, avec un sourire de connivence, que lors de sa prise de fonctions, quelques années plus tôt, son précédesseur à la tête des évêques de France lui avait laissé ce conseil, à titre de testament spirituel : « Et surtout, Père, méfiez-vous des journalistes » ! Je ne suis pas sûr que nous en soyons vraiment sortis !

 

Si vous le voulez bien, j’articulerai mon propos, en deux temps, autour de quelques idées force, avant de me «risquer» à une conclusion :

 

Première partie : l’Eglise et les médias

 

1 – L’Eglise, du fait même de la mission qui est la sienne : annoncer la «Bonne Nouvelle de l’Evangile» a besoin des médias.

2 – L’Eglise fait la cruelle expérience d’une incompréhension grandissante avec le monde et les acteurs de l’information.

3 – Il existe des raisons objectives et permanentes à ce malentendu.

4 – Les stratégies mises en place par l’Eglise, pour dépasser les blocages.

 

Deuxième partie : l’Eglise face au défi du numérique.

 

5 – La révolution du numérique est en train de transformer de manière radicale l’univers traditionnel des médias auquel l’Eglise avait déjà du mal à s’adapter.

6 – L’internet dit de deuxième génération vient bouleverser toutes les hiérarchies du savoir donc de l’autorité.

7 – La question posée à l’Eglise par cette «révolution» est rien moins que le statut même de la Vérité qu’elle prétend détenir et annoncer.

 

Conclusion :  l’Eglise et les médias à l’heure de la Nouvelle évangélisation.

 

 

 

l’Eglise et les médias.

 

1 – L’Eglise, du fait même de la mission qui est la sienne a besoin des médias.

 

11 – On l’oublie trop souvent, même au sein de notre propre Eglise : le christianisme est d’abord une «Bonne nouvelle» : tout homme est aimé de Dieu et invité à répondre à cet amour en aimant son prochain comme lui-même…

 

12 – «(Bonne) Nouvelle» voilà un mot en résonance profonde avec le monde des médias dont la première raison d’être est précisément de nous apporter et de nous commenter les «nouvelles». Ajoutez à cela le mot Parole, au sens de Parole de Dieu, omniprésent dans le discours ecclésial… et vous vous approchez un peu plus encore de l’univers propre aux médias.

 

13 – C’est ici qu’il faut entendre l’exhortation de Saint-Paul, remise à l’honneur au cours de ces dernières semaines, à la faveur du synode sur la nouvelle évangélisation : «Malheur à moi si je n’annonce pas l’Evangile» (1 Cor, 9, 16) en réponse à l’envoi du Christ lui-même, à ses disciples, après sa résurrection : «Allez, enseignez toutes nations…» (Mat. 28, 19)

 

14 – Depuis deux millénaires, l’Eglise s’efforce de rester fidèle à sa mission. Avec des hauts et des bas. Pendant longtemps, cela a été pour elle d’autant plus facile qu’elle maîtrisait les lieux et les outils de la communication et de la parole sur lesquels elle exerçait une sorte de monopole : tympans des cathédrales, vitraux, icônes, peinture… livres, enseignement, université, catéchèse, prédication, lieux de mission et de pèlerinage. Rien ne lui échappait et le contact était direct.

 

15 – L’ébranlement de la Renaissance, puis des Lumières a trouvé son apogée, au XXe siècle, avec l’émergence des mass média (les moyens de communication sociales) dans un contexte de sécularisation accéléré de nos sociétés.

 

16 – Aujourd’hui, quelle que soit la valeur objective de son message, l’Eglise n’a plus guère les moyens de l’imposer au-delà du «cœur du cœur des fidèles» avec lequel elle est en liens direct. Pour le reste, c’est-à-dire 95% de la population, elle dépend du bon vouloir des médias, de celles et ceux qui, eux, sont en contact avec «les hommes et les femmes de ce temps» (Vatican II)

 

 

2 – L’Eglise fait la cruelle expérience d’une incompréhension grandissante avec le monde et les acteurs de l’information.

 

21 – Point besoin d’aller chercher très loin dans l’actualité : remous autour de l’appel à la prière du cardinal Vingt-trois, cet été, à l’occasion du 15 août ; tollé à la suite des propos – maladroits mais fondés – du cardinal Barbarin sur RCF («après ils vont vouloir faire des ménages à trois ou quatre, après peut-être l’interdit de l’inceste tombera…») ; contestation dans certains milieux de «l’ingérence» de l’Eglise catholique (et plus largement des religions) dans le champ politique.

 

22 – Sur une période antérieure on se souvient de l’annus horibilis (2009) du pape Benoît XVI avec les trois événements» que furent : la levée de l’excommunication des évêques Lefebvristes (dont celle de Mgr Williamson qui venait de tenir des propos négationnistes) le 24 janvier ; début mars, l’émotion suscitée par l’excommunication de la mère et des médecins ayant pratiqué un double avortement sur la petite fille brésilienne violée par son beau-père (excommunication dénoncée «sur ordre» de la Secrétairerie d’Etat par Mgr Fisichella à la une de l’OR, avant qu’il ne soit secrètement désavoué et promu ultérieurement à la Nouvelle évangélisation) ; enfin deux semaines plus tard la polémique née de la «petite phrase» tronquée, de Benoît XVI, dans l’avion qui le conduisait en Afrique, à propos de l’usage du préservatif qui, selon lui, ne pouvait «qu’aggraver le problème du sida» dont souffrait le continent noir.

 

Après que l’on eut dans un premier temps dénoncé un «lynchage médiatique», le pape Benoît XVI lui-même reconnaissait, le 12 mars, dans une lettre aux évêques, des erreurs de communication. Les évêques qui n’avaient pas été prévenus de la levée des excommunications avaient du, dans leurs diocèses, faire face à des demandes pressantes d’explication.

 

3 – Il existe des raisons objectives et permanentes à ce malentendu.

 

Sans prétendre à l’exhaustivité, je m’étendrai plus longuement sur ce point qui est au cœur de mon propos et sans lequel, me semble-t-il, on ne peut rien comprendre au différent qui oppose l’Eglise et le monde des médias ni donc à plus forte raison, esquisser une «stratégie» pertinente pour renouer le dialogue.

 

31 – Le moyen habituel de communication de l’Eglise, hérité du passé, est une communication verticale, «ex-cathedra», à partir de sa double mission, bien résumée par le titre de l’encyclique de Jean XXIII, en 1961 : «Mater et magistra». L’Eglise comme mère et éducatrice de tous les peuples… Et l’Eglise a la «faiblesse» (je dis faiblesse, du fait de la différence de perspective qui est celle du monde des médias) d’attendre de la presse au sens large, qu’elle retransmette loyalement cet enseignement.

 

32 – La première difficulté vient du fait que l’Eglise n’a pas une parole «unique» ou «unifiée» facilement accessible et compréhensible de l’extérieur. Le discours d’autorité de l’Eglise enseignante (souvent exprimé sous forme de rappel des principes, de mises en garde et d’interdits) ne coïncide pas avec le discours «pastoral» (qui se veut lui compréhensif et accueillant). Or si le premier discours est général et public (encycliques, déclarations solennelles de tel ou tel dicastère…) le second est personnalisé donc privé.

 

Permettez-moi cette digression un peu taquine… Le débat du moment sur le mariage pour tous, est l’occasion, pour l’Eglise catholique (mais pas elle seule) de rappeler l’importance de la double présence paternelle et maternelle dans l’éducation de l’enfant. Or notre «Sainte mère l’Eglise», en l’absence du père… qui comme chacun sait est au Ciel, se trouve de fait investie, comme une veuve ou une mère placée à la tête d’une famille monoparentale, de la double mission paternelle et maternelle. Et tout psychanalyste vous dira qu’il y a là un risque de schizophrénie. (Référence au livre de Daniel Duigou : l’Eglise sur le divan, Bayard éditions.)

 

Un seul exemple, mais il est éloquent. L’Eglise catholique maintient, pour les raisons que l’on connaît, l’interdiction pour les fidèles d’avoir recours aux méthodes artificielles de contraception. Mais je ne connais guère de prêtre qui menace des flammes de l’enfer les couples de sa connaissance qui y ont recours. Et pour autant, si vous êtes, ce qui a été mon cas pendant dix ans, à la tête d’un hebdomadaire catholique, vous êtes à peu près assuré de vous faire «remonter les bretelles» si, dans un article sur le sujet, vous faites la part trop belle au «pastoral» en négligeant le «magistériel».

 

Combien de fois ai-je entendu des évêques, sur ces questions d’éthique et de morale conjugale, s’étonner devant moi : «Mais comment se fait-il que les gens n’entendent de l’Eglise que des paroles de condamnation, des «non» alors qu’elle ne cesse de dire oui : oui à l’amour, oui à la vie, oui à la fidélité…» Bonne question monseigneur ! Ou encore : «Le pape est dans sa mission a rappeler l’enseignement de l’Eglise, mais chacun sait bien qu’il trouvera auprès des prêtres : accueil, compréhension et réconfort…» Et bien non, précisément, Excellence, tout le monde ne le sait pas… Et comment le sauraient-ils ceux qui n’ont plus de contact avec l’Eglise ? Comment le sauraient-ils si même la presse catholique (que la plupart d’entre eux ne lisent pas) n’est pas légitimée par la hiérarchie à faire entendre une parole pastorale, forcément en décalage avec l’enseignement du Magistère ?

 

33 – La deuxième difficulté vient du fait que la parole de l’Eglise ne peut se réduire à ses discours et déclarations. Nous savons, depuis plus de quarante ans, que la communication humaine est principalement non verbale. L’Eglise peut parler de pauvreté… et continuer, en certains lieux, à étaler ses richesses ; elle peut rappeler les grands principes de la chasteté et se trouver empêtrée dans de sordides affaires de pédophilie ; elle peut vanter les rapports de fraternité et de service dans l’Eglise et ne pas pouvoir étouffer de sordides affaires de rivalités et de pouvoir jusqu’au sein de l’administration vaticane… voire de compromission avec des pouvoirs dictatoriaux dans certaines régions du monde.

 

Et que dire de l’évocation permanente d’un «Dieu d’amour et de pardon» alors même qu’au quotidien, on continue de refuser l’accès aux sacrements aux divorcés remariés ou même l’accès au catéchuménat à certaines personnes homosexuelles… Je connais toutes les raisons évoquées pour justifier le maintien de ces interdictions et le discours paternel qui va avec où l’on redit combien ces personnes «ont toute leur place dans l’Eglise…» Mais comment voulez-vous que, de l’extérieur, les médias ne renvoient pas de l’Eglise et à l’Eglise une image d’hypocrisie ?

 

J’ai souvenir du témoignage de confrères journalistes dans des médias non-confessionnels, me disant l’infini respect que leur inspiraient des personnes comme l’abbé Pierre, sœur Emmanuelle ou tant de militants chrétiens anonymes dès lors que leurs actes semblaient en parfaite harmonie avec leurs discours…

 

Mais progressons encore dans notre réflexion.

 

34 – Le cœur du malentendu entre l’Eglise et les médias vient sans doute du fait que la première se situe en permanence sur le terrain de la «communication» alors que la raison d’être des seconds est «l’information». D’une manière générale (au risque de caricaturer un peu les choses) l’Eglise se satisferait volontiers de voir les médias – et notamment les médias chrétiens – servir de simple relais, de «courroie de transmission» comme on le disait jadis de la CGT à propos du PC, sans toujours bien comprendre le refus qui lui est opposé.

 

Or, les médias fonctionnent sur d’autres logiques. Le premier travail du journaliste est de sélectionner l’information, donc de décider s’il parle ou non d’un événement. C’est à dessein que j’emploie le mot événement. Un fait d’Eglise peut être perçu comme événement par un média catholique parce que ses propres lecteurs s’intéressent à la chose, qui ne retiendra pas l’attention d’un média non-chrétien, persuadé à tort ou à raison, que cela n’intéresse pas son public. La deuxième grande fonction du journaliste est la hiérarchisation de l’info qui lui fera décider de l’importance accordée au sujet, s’il  le retient. La troisième est la mise en perspective de l’information, qui consiste à en expliquer les causes et les conséquences possibles. La quatrième le commentaire.

 

35 – Les développements qui précèdent pourraient donner à penser que l’Eglise porte seule la responsabilité de ce que j’ai appelé le malentendu. Il n’en est rien. La plupart des médias non-confessionnels (je reviendrai plus loin sur les médias chrétiens) devraient pouvoir être interpellés, sans qu’ils ne s’en offusquent, sur deux points : leur culture religieuse (ou plus souvent leur inculture) et leur parti pris vis à vis d’une institution qui porte le poids de nombreux préjugés. Si les journalistes abordaient les questions économiques, politiques, sociétales ou internationales avec la désinvolture qu’ils manifestent le plus souvent vis-à-vis du fait religieux, ils se feraient remercier par leur rédaction en chef.

 

Quelques illustrations : on peut comprendre que dans une société sécularisée comme la nôtre, les récentes visites ad limina des évêques de France ou la tenue d’un synode sur la nouvelle évangélisation ne fassent pas l’ouverture du vingt-heures. Plus difficile à comprendre, alors même que l’on connaît l’engouement de la presse pour les conclaves et l’élection d’un nouveau pape, le silence de la quasi totalité des médias sur le dernier consistoire alors même que le collège électoral susceptible de désigner le successeur de Benoît XVI était profondément remanié. Inculture ! En revanche, la délectation avec laquelle certains médias monteront en épingle la moindre affaire de pédophilie dans l’Eglise procède, à n’en pas douter, de la malveillance. Comme ce fut d’ailleurs le cas aux Etats Unis, la mise en scène, largement exagérée, de faits réels, procède de la volonté délibérée de fragiliser, de décrédibiliser l’une des rares institutions encore à même de dire son fait au pouvoir politique ou économique.

 

36 – Il convient néanmoins, de dépasser cette seule grille de lecture, quelle qu’en soit la pertinence, pour pointer, trop rapidement certes, des obstacles objectifs à une bonne articulation entre la communication émanant de l’Eglise et sa reprise dans les médias même les mieux intentionnés.

 

  • La logique des médias est celle de l’immédiateté, de l’urgence, là où l’Eglise demande toujours le temps de la réflexion ;
  • les médias privilégient la simplicité (pour ne pas dire le simpliste) et la brièveté, là où l’Eglise cultive avec talent la longueur et la nuance (allez donc résumer une encyclique en deux minutes sans tomber dans la caricature) ;
  • les médias jouent sur le registre de l’émotion, de l’affectivité (on a pu qualifier notre société de compassionnelle) là où l’Eglise entend parler le langage de la raison (on le voit dans les débats du moment su la mariage pour tous) ;
  • les médias n’aiment rien tant que la peopolisation de l’information, là où l’Eglise rechigne à une trop grande personnalisation (pas pour tous, et pas toujours…) ;
  • les médias adorent le franc-parler, la spontanéité, là où l’Eglise excelle dans la langue de buis, comme si toute parole avait vocation naturelle à devenir parole d’Evangile ;
  • les médias adorent avoir le point de vue de simples citoyens (de simples croyants) là où l’Eglise semble préférer ne donner la parole qu’à des personnes «autorisées».
  • les médias identifient de manière presque systématique «événement» à changement, rupture, dysfonctionnement, là où l’Eglise se revendique, jusqu’à la caricature parfois, d’une herméneutique de la continuité (Vatican II) tout en privilégiant l’harmonie (tout conflit étant par nature non-chrétien) ;
  • les médias n’aiment rien tant que les joutes oratoires ( au risque de transformer tout talk-show en jeux du cirque) là où l’Eglise aime à considérer que son registre est celui de la Vérité qui n’a pas à être mise en débat …

 

et je pourrais prolonger les oppositions ! Mais il faut conclure cette troisième partie.

 

37 – Ce malentendu, du fait même de ses racines, n’épargne pas la presse catholique.

Je conserve en mémoire une conférence de presse qui au Printemps 2009, à la suite des trois «affaires» évoquées plus haut dans mon propos, avait conduit le cardinal archevêque de Paris, mais ici Président de la Cef, à parler de «lynchage médiatique» visant Benoît XVI. Je n’ai pas le souvenir qu’il ait établi, alors, la moindre distinction entre le traitement de l’information par la presse non confessionnelle et la presse chrétienne. Ce que beaucoup ont ressenti comme une injustice.

 

Je l’ai dit et j’y insiste. Le travail des journalistes de la presse chrétienne est de faire de l’information, non de la communication d’Eglise. Donc de savoir trier, hiérarchiser, mettre en perspective et commenter librement. Au risque de déplaire !

 

  • Difficile, par exemple, de ne vouloir retenir du long (trop long ?) dialogue entre le Vatican et la Fraternité sacerdotale saint-Pie X, aujourd’hui abandonné, que la volonté louable de Benoît XVI de servir l’unité et ramener au bercail les brebis égarées, sans évoquer aussi les conséquences possibles, dans bien des communautés, d’un ralliement qui aurait été obtenu sur des bases doctrinales incertaines…
  • Difficile de ne pas interpeller l’institution, à temps et à contretemps parfois, sur ces abcès de fixation que sont devenus, dans nos pays de vieille chrétienté : les questions de la contraception, des divorcés remariés, de la place des femmes dans l’Eglise, ou de l’ordination d’hommes mariés… dès lors qu’il ne s’agit pas là de la simple fantaisie de journalistes frondeurs, mais de l’expression de vœux émis dans la quasi totalité des synodes diocésains et donc, sans doute, de ce qu’en bonne théologie on appelle le sensus fidei. (expression dont le code de droit canonique reconnaît la légitimité aux laïcs chrétiens engagés dans les médias)

 

 

4 – Les stratégies mises en place par l’Eglise, pour dépasser les blocages.

 

41 – Il serait faux de prétendre que l’Eglise reste insensible à cette question d’une mauvaise compréhension entre elle et les médias. Nombre de diocèses se sont dotés de direction de la communication souvent confiées à de vrais professionnels, même s’il leur est difficile de sortir du statut de «porte parole» officiel de leur évêque.

 

42 – Historiquement les catholiques ont été très tôt présents dans la presse puis les différents médias dont ils ont bien perçu tous les enjeux. En 1873 les Pères Assomptionnistes fondent Pèlerin (la Bonne Presse) dans un contexte politique d’affrontement entre l’Eglise et la République ; plus tard La Vie, Témoignage Chrétien… Le Jour du Seigneur. Avec toujours un souci ne pas s’adresser uniquement aux catholiques. (presse paroissiale toutes boites)

 

43 – Mais cette «puissance» de la presse catholique et surtout son autonomie par rapport à la hiérarchie n’est pas unanimement appréciée. Une autre stratégie consiste alors, par défiance vis à vis de ces médias, avec l’alibi, parfois, d’une «plus grande fidélité» à l’Eglise, à créer de toutes pièces des médias plus sûrs, car directement rattachés aux évêques, en utilisant les opportunités offertes par l’élargissement du paysage audiovisuel en matière de radio puis de télévision. (RCF, RND, KTO….)

 

 

l’Eglise face au défi du numérique

 

5 – La révolution du numérique est en train de transformer de manière radicale l’univers traditionnel des médias

 

51 – L’irruption du numérique est venu : bouleverser nos modes de vie dans les domaines de l’accès à l’information, au savoir et à la communication ; fragiliser tout un secteur économique (celui de la presse écrite) au devenir aujourd’hui incertain (idée que l’information doit être gratuite) alors même que son rôle reste déterminant dans le bon fonctionnement de nos démocraties ; bousculer nombre de hiérarchies et brouiller les cartes, s’agissant : du statut de l’information, de la place de ses acteurs, voire même, j’y reviendrai, de la question de la Vérité.

 

52 – Cette révolution a pris des allures de tsunami dont la déferlante ne fait que commencer. Je cite ici les premières lignes du livre d’Eric Sherer, aujourd’hui responsable du développement à France Télévision : «A-t-on encore besoin des journalistes» (PUF) : «Pratiquement tout ce qui bouleverse et restructure les médias et les métiers du journalisme d’aujourd’hui n’existait tout simplement pas en l’an 2000 : connexions Internet à haut débit, blogs, podcasts, flux RSS, Google News, Gmail, You Tube, Skype, Facebook, Twitter, iTunes, l’univers des applications, les écrans plats, la HD, la 3D, le Wi-Fi, la géolocalisation, les métadonnées, l’iPod, l’Internet mobile, les smart-phones, l’iPhone et le Black Berry, les tablettes, Androïd, l’iPad, les lecteurs e-book, le streaming vidéo, la télévision connectée…» 

 

53 – Dès 2009, l’enquête décennale du Ministère de la Culture consacrée aux pratiques culturelles des Français constatait déjà (période 1997-2008) une baisse de la pratique des médias dits classiques et de la lecture chez les 15-24 ans et l’émergence : «d’une culture numérique fondée sur les écrans qui n’efface pas la (culture) précédente mais qui sera probablement bientôt dominante.» Aux USA 98% des foyers lisaient la presse en 1970, 53% en 2000, 33% en 2010. Aujourd’hui les habitants des pays membres de l’ OCDE, toutes catégories confondues (actifs et inactifs) passent en moyenne : 4 h par jour devant la télévision, 3,5 h devant leur ordinateur, 30’ au téléphone (calculez le temps qu’il leur reste pour la lecture «classique»). En Europe occidentale la première source d’information du public n’est déjà plus : ni la presse, ni la radio, ni la télévision, mais internet. Et encore une fois nous n’en sommes qu’à l’esquisse du prolégomène d’une révolution sans doute supérieure à ce que fut l’invention de l’imprimerie.

 

 

6 – L’internet dit de deuxième génération (2.0) vient bouleverser toutes les hiérarchies du savoir donc de l’autorité.

 

61 – La vraie révolution ne s’est pas produite avec l’internet de première génération, qui nous offrait déjà (mais uniquement) un large accès à des bases de données quasi illimitées. (Site du Vatican, Insee, Assemblée nationale, Centres de documentation…) A l’époque les journaux ont surfé sur cette révolution en mettant eux-mêmes leur contenu en ligne. Chacun restait dans son rôle d’informateur ou de lecteur.

 

62 – Les cartes se sont brouillées, avec l’avènement, en 2000, de l’internet 2.0. dit de deuxième génération. Désormais l’internaute ne se contente pas de lire, il produit de l’information. Eric Sherer : «Le web première génération distribuait la parole des journalistesle web deuxième génération la leur confisque.» En quoi me direz-vous ? Sur les cinq «fonctions» traditionnelles du journalisme (déjà évoquées précédemment) : informer, commenter, sélectionner, hiérarchiser, mettre en perspective… les deux premières (informer et commenter) lui échappent désormais en partie. Toute personne équipée d’un smartphone est devenue une rédaction en puissance (info, image, son, vidéo…. mise en ligne sur internet).

 

Souvenons-nous : tremblement de terre Haïti janvier 2010, révolutions arabes hiver 2010, tsunami Japon mars 2011 : les premières images ont été produites non par des reporters photographes mais par les témoins de l’événement. AUCUN reporter n’aurait pu fournir les images de la vague déferlant sur les côtes nippones… le temps d’arriver sur les lieux, l’événement aurait été terminé.

 

Reste au journaliste : (au-delà de l‘information et du commentaire sur lesquels il n’a plus de monopole) la sélection, la hiérarchisation, la mise en perspective. Demain, sans doute, des personnes seront-elles à nouveau prêtes à payer pour échapper à l’infobésité, même s’il existe un risque de voir là une démarche réservée à un certain «milieu».

 

63 – Dans le même temps le développement de l’internet 2.0, en permettant l’émergence des réseaux sociaux représente une formidable opportunité d’entrer en relations avec d’autres, de constituer des «communautés» (ouvertes ou fermés), de nourrir des débats.

Expérience personnelle riche : débats autour de la pièce de Castelluci «Sur le concept du visage du Christ». Initiative des chrétiens2gauche : 70 pages d’échanges en deux semaines… expérience de Facebook au quotidien.

 

64 – Les médias ont compris qu’ils devaient s’engager dans un autre type de relations à leurs lecteurs : mois hautain, suffisant, distancé. Naissance d’un journalisme participatif, même s’il se cherche encore un peu.

 

 

7 – La question posée à l’Eglise par cette «révolution» est rien moins que le statut même de la Vérité qu’elle prétend détenir et annoncer.

 

71 – L’Eglise n’échappe pas à cette révolution. C’était déjà vrai de l’internet première génération. Et cela bouscule profondément son être «communiquant». Exemple des encycliques qui, jadis, faisaient l’objet de nombreuses médiations (mandements, homélies…) et qui aujourd’hui sont mises en ligne sur le site du Vatican et accessibles à tous simultanément. Passage de la médiation à l’immédiateté… sans médiation. Où la presse chrétienne peut-elle trouver le recul nécessaire au commentaire qu’on attend d’elle ?

 

72 – S’agissant de l’internet première génération, on peut observer aujourd’hui que l’Eglise en tant qu’institution, est bien présente sur la toile, au niveau international, comme au niveau de la Conférence des évêques de France et, labellisés par elle (cef.fr), des diocèses et des paroisses auxquels il conviendrait d’ajouter nombre de congrégations, mouvements et services d’Eglise. Ajouter à cela : institutions universitaires, ou titres de presse comme par exemple la Documentation catholique.

 

73 – Mais là encore la vraie révolution est celle de l’Internet 2.0. On ne compte plus les «blogs» (les comptes FB) qui s’affichent ouvertement chrétiens ou catholiques, sans avoir à demander quelque label que ce soit à une quelconque autorité. (Salon beige qui tire pourtant à vue sur les évêques) Et je pourrais paraphraser ici Eric Scherer en affirmant : «Le web première génération distribuait la parole de l’institution ecclésiale, le web seconde génération la lui confisque.» Les conséquences en sont considérables : chacun peut désormais s’installer sur la toile et revendiquer une identité catholique sans qu’il soit guère possible de s’y opposer.

 

C’est ce qu’exprime à sa façon Jean-Baptiste Maillard dans son livre Dieu et internet lorsqu’il écrit : «Internet sonne le glas de l’imprimatur». Ou encore Mgr Jean-Michel di Falco lorsqu’il constate : «Internet aiguise la crise d’autorité traversant le monde catholique.» Passage d’une communication «verticale» émanant d’une source ayant autorité à une communication horizontale où chacun peut revendiquer, sans contrôle extérieur, sa propre légitimité.

 

74 – La question ici posée est radicale : elle touche à la notion même de Vérité. Internet étant le lieu même du pluralisme et de la libre expression, la question aujourd’hui posée est la suivante suivante : la Vérité peut-elle être mise en débat ? peut-il y avoir place, dans l’Eglise, pour une expression «plurielle» de la Vérité ? Et qui peut s’en porter garant ?

 

 

L’Eglise et les médias à l’heure de la Nouvelle évangélisation.

 

81 – Le Vatican, depuis longtemps, a pris conscience de l’enjeu de ces nouvelles technologies de la communication, au regard de sa mission évangélisatrice. Les textes abondent, aussi bien sous la signature du Conseil pontifical pour les communications, que celle des papes Jean-Paul II puis Benoît XVI. Ce dernier, dans son message pour la 44e Journée mondiale des Communications Sociales de juin 2010, qui coïncidait avec la clôture de l’année sacerdotale, invitait les prêtres à utiliser Internet comme outil pastoral. Plus encore, dans son message pour la 45è Journée, en 2011, il déclarait : «Les nouvelles technologies ne changent pas seulement le mode de communiquer, mais la communication en elle-même.»

 

82 – Si la présence de l’Eglise institution sur le Net est bien assurée, on peut se demander, avec le Pr. Daniel Arasa, de l’Université pontificale de la Sainte Croix (Opus Dei), à Rome, si «L’internet catho» n’est pas réduit à être en fait «un open intranet». C’est-à-dire limité à une démarche de type «les cathos parlent aux cathos», tout en restant accessible à ceux que cela intéresserait en dehors de nos communautés. Il suffit de pointer, sur Google, quelques mots clés comme : christianisme, Jésus, ou encore Dieu, pour découvrir qu’en effet on tombe quasi systématiquement sur des sites évangéliques. Les raisons de ce succès ? Peut-être le fait que là où les catholiques sont saisis par l’urgence de parler, les évangéliques, eux, commencent par écouter…

 

83 – Dans une conférence prononcée à Rome en novembre 2009 devant les représentants de la Commission des évêques d’Europe chargés des médias, Mg Jean-Michel di Falco déclarait : «La prise de conscience par l’Eglise institutionnelle de l’importance d’Internet est là.(…) Mais savoir surfer sur la vague Internet est une toute autre histoire. (…) Si les sites institutionnels avec leur lourdeur sont nécessaires, les électrons libres peuvent l’être aussi. (…) Ces voltigeurs de l’Evangile, je les vois dans les blogs créés par les laïcs.(…) Un site internet doit s’occuper du monde et non se couper du monde. Il doit éviter la langue de bois, éviter d’être lui-même idéologue, cherchant à imposer sa vérité.» 

 

84 – Dans son livre : «Le dilemme du chartreux», Pierre de Charentenay (de la revue jésuite Etudes) émettait l’hypothèse que (je cite : ) « Le politiquement correct, massif et intouchable, d’un certain fonctionnement médiatique, est ébranlé par le pluralisme de la communication en réseau.» Et donc que l’Eglise, ignorée ou maltraitée par les médias, pouvait y trouver une sorte de revanche sous forme d’accès à une parole libre, de contact direct avec le public.

 

85 – On retrouve là cette pensée, nourrie en divers lieux, selon laquelle il suffirait finalement de se passer des journalistes pour que le message soit reçu dans toute sa force et sa vérité. Risque d’illusion ! S’exprimer sur la toile c’est crier dans le désert. Parole perdue au milieu de millions d’autres. Pour quelques blogueurs «référencés» combien n’écrivent que pour quelques amis ? (Moi-même : entre 80 et 350 visites quotidiennes. En revanche mon article sur «Eglise et sexualité» suscite la réponse d’une consœur, publiée sur Rue89 ce qui, par ricochet, me vaut 1 500 lecteurs « inespérés » venus de ce site. Donc grâce à un média !)

 

85 –  C’est dans ce contexte qu’il faut engager la Nouvelle évangélisation. Les moyens de communication sociale (et internet) ne sont qu’un moyen. La nouvelle évangélisation ne peut se réduire à une stratégie de communication (Mgr Ricard) si pertinente, branchée et efficace soit-elle. Il ne suffira pas de mettre le catéchisme de l’Eglise catholique en ligne… ni sans doute de dépenser des milliards sur le projet Aleteia (Vérité). S’il suffisait de proclamer la vérité pour convaincre et convertir, cela se saurait. Tout se joue par et dans la la rencontre personnelle avec le Christ. Serons-nous, vous et moi, des médiateurs de cette rencontre ? C’est au fond la seule vraie question.

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