L’Eglise et le mariage gay : une défaite à la Pyrrhus ?

L’Eglise et le mariage gay : une défaite à la Pyrrhus ?

Le mariage pour tous étant voté, le «bilan» du combat mené par l’Eglise va se trouver très vite sous les projecteurs des médias et dans les commentaires de ses propres fidèles. 

La «devinette» du jour pourrait être la suivante : combien de temps devrons-nous attendre, à l’issue du vote de la loi Taubira par l’Assemblée, pour voir surgir le premier commentaire sur la «défaite» de l’Eglise catholique et ses conséquences ? La Conférence des évêques de France, qu’on le regrette, qu’on s’en réjouisse… ou qu’on s’en tienne au simple constat, avait pris fait et cause contre le projet de loi gouvernemental. Et l’Assemblée à tranché : c’est oui au mariage pour tous. Il reste, bien sûr, d’autres étapes à franchir : le Sénat puis un éventuel recours devant le Conseil constitutionnel. Mais pour l’heure, au regard du vote enregistré en première lecture, il y a bien défaite pour la hiérarchie catholique comme, plus généralement, pour toutes celles et ceux  – dont je suis – qui se sont mobilisés, jusqu’à descendre dans la rue, pour contester le bien fondé de cette «réforme de civilisation» et les conditions dans lequelles le pouvoir a confisqué le débat, au motif qu’il avait déjà été tranché lors de la présidentielle.

Pour le gouvernement, l’honneur est sauf, mais la victoire limitée.

Mais on peut se demander si ce n’est pas une «défaite à la Pyrrhus» au regard du coût de la victoire pour le gouvernement et sa majorité. Car enfin, si mobilisation il n’y avait pas eu dans le pays (1), nous aurions à ce jour, outre le mariage pour tous et le droit à l’adoption : la suppression des mots père et mère dans l’ensemble du Code civil, et, selon toute vraisemblance, l’ouverture de la PMA aux couples de même sexe, que le parti socialiste n’avait pas renoncé à rajouter, par voie d’amendement, au texte gouvernemental.

Or, non seulement ces deux dispositions ont disparu, mais on peut imaginer que le Président de la République y regardera à deux fois avant de demander au Parlement de se prononcer sur la PMA pour les couples de même sexe (2), comme sans doute de trop bousculer les dispositions de la loi Léonetti sur la fin de vie. Le gouvernement peut se prévaloir de n’avoir pas cédé face à la rue, sur l’engagement du candidat socialiste à la présidentielle. L’honneur est sauf !

L’idée d’écologie humaine fait une percée dans l’opinion.

Mais l’essentiel du bilan est ailleurs. La victoire idéologique à laquelle la gauche libertaire et la plupart des médias pensaient être parvenus, favorable, dans la foulée du mariage gay, à l’ouverture aux couples de même sexe de toutes les techniques de procréation assistée (PMA et GPA) est désormais ébranlée, remise en question. Et les rangs de la gauche ne sont pas épargnés comme le Nouvel Observateur a bien du le reconnaître (3).

L’idée d’écologie humaine, comme refus de la manipulation et de la marchandisation du vivant, semble avoir fait sa percée dans l’opinion, même si certains ont contesté qu’elle fasse partie du débat, au seul stade du marage pour tous. Au-delà des dérobades, des faux-procès et des outrances langagières, un débat essentiel s’est engagé… sans doute pour longtemps. Et ce n’est pas le moindre paradoxe d’entendre certains regretter à haute voix que, contrairement aux pays voisins où le mariage gay a été reçu pour ce qu’il prétendait être : une loi de progrès, les Français aient perdu tant de temps à la disputatio et à la délibération démocratique. Comme si ce n’était pas là l’essence même d’une démarche citoyenne.

Quelles conséquences pour l’Eglise catholique ?

L’Eglise catholique, nous dit-on, va payer chèrement son engagement et partant, renforcer  son divorce d’avec la société. Est-ce aussi simple ? Sur la loi Taubira, la Conférence des évêques aurait-elle renoncé à prendre position que son silence ne lui eut sans doute valu aucune gratitude particulière. Mieux : aurait elle apporté son soutien au projet gouvernemental que l’on aurait parlé de «reddition».

Dès lors, autant rester droit dans ses mules ! Et se réjouir, à l’occasion, de lire dans un magazine qui ne passe pas pour calotin : «L’engagement des religieux dans ce conflit si moderne ne s’explique pas d’abord par biblisme ou par naturalisme, mais parce qu’ils font partie, avec d’autres, des derniers défenseurs des faibles et des sans-voix pénalisés par ce social-individualisme en vogue : ils ne sont pas, sur l’homoparenté, en contradiction avec leur propos sur les Roms, les sans-logis, les vieux ou les malades, mais dans la même logique, qui fut longtemps celle de la gauche.» (4) Un ange passe ! Hors du monde catholique lui-même, il se pourrait que la prise de position de l’Eglise, au fond prévisible, soit sur le moyen terme d’un impact négatif limité. (5)

Les vrais dégâts pour l’Eglise : la division des catholiques.

Non, les vrais dégâts – car je pense que dégâts il y a eu – c’est parmi les fidèles qu’ils se sont produits. Le reproche le plus souvent adressé aux évêques est de n’avoir pas ouvert le débat au sein de l’Eglise alors même qu’ils y appelaient dans la société. Mais la requête est ambiguë. Un débat sur quoi ? Sur l’homosexualité ? Ce n’était pas l’objet du projet gouvernemental et ce n’est pas sur cette question que les évêques demandaient l’ouverture d’Etats généraux.

Un débat sur la loi Taubira, alors ? Mais pour quoi faire ? Prendre acte de la diversité des sensibilités parmi les catholiques – une évidence – et en conclure à l’impossibilité pour l’épiscopat d’adopter, sur le sujet, une position collégiale ? Mais outre que cette pratique «démocratique» n’a pas cours dans l’Eglise, les évêques pouvaient-ils réellement «faire silence» sur ce projet de loi ? C’eut été entériner sans broncher ce que beaucoup, même parmi les non-chrétiens, analysent comme une «rupture» lourde de conséquences dans notre conception du mariage et de la filiation. Et sans doute prendre le risque de laisser tel ou tel évêque exprimer librement des opinions qui eussent fait basculer l’image du catholicisme français dans une radicalité extrême. Et par contre-coup, inciter d’autres «frères dans l’épiscopat» à prendre à leur tour la parole pour faire entendre leur différence. Une belle cacophonie en vérité !

L’expression d’un pluralisme de convictions, spontanée et légitime parmi les fidèles, était tout simplement impensable du côté de leurs pasteurs. Mais cette distorsion même s’est avérée lourde de conséquences. Nombre de catholiques, favorables au projet gouvernemental, n’ont pas compris l’engagement univoque de l’épiscopat qui sonnait, pour eux, comme un désaveu. Au-delà, beaucoup ont mal vécu les appels à manifester ou à signer des pétitions, relayés sans nuance dans certaines paroisses. Dès lors l’attitude de la hiérarchie a, de fait, contribué à durcir les «échanges», déjà tendus, entre ceux qui prenaient fait et cause pour le projet Taubira et ceux qui estimaient devoir le dénoncer… au nom du même Evangile. Des fractures se sont produites, qui seront sans doute longues à réduire. Un paradoxe lorsqu’on connaît le souci obsessionnel des évêques de ne pas «diviser le peuple chrétien.» Sauf qu’en l’occurrence, la source de la divisions était… le projet de loi lui-même !

Sur l’homosexualité, il y a urgence à ouvrir la réflexion et le débat. 

Si l’opportunité d’un débat, intra-ecclésial, sur la loi Taubira peut prêter à controverse, il n’en reste pas moins que, sur la question de l’homosexualité cette fois, l’Eglise catholique se trouve au pied du mur. Les homosexuels ne campent pas à la périphérie mais sont là, parmi nous. Seuls ou déjà en couple. Parfois en famille, avec des enfants, issus, le plus souvent, d’une première union hétérosexuelle qui a pu prendre forme sacramentelle. Peut-être demain civilement mariés. Quelle place leurs ferons-nous dans nos communautés ? Refuserons-nous d’appeler sur eux la bénédiction de Dieu, s’ils nous la demandent ? Leur interdirons-nous l’accès à toute responsabilité dans l’enseignement catholique, les mouvements et services d’Eglise ou les ministères ordonnés ? Tiendrons-nous leurs enfants à l’écart de la catéchèse et des sacrements ? Pour certains adultes, qui cheminent depuis peu dans la foi, allons-nous, comme cela se passe dans quelques diocèses de France, refuser de les accueillir comme catéchumènes, au motif qu’ils ne seraient pas disposés à vivre hors du péché ? Et cela, au nom de quelle Parole tirée des Evangiles ?

Déjà, des évolutions se font jour…

Sur cette question, ces dernières semaines auront marqué, à n’en pas douter, un point de non retour dans l’opinion catholique en France. Aura-t-on jamais autant parlé d’homosexualité dans la presse et les médias chrétiens, les salles paroissiales et jusque dans l’intimité des conseils épiscopaux ? Bien des fidèles «de base» avouent porter désormais un autre regard sur les personnes homosexuelles. Et s’il faut rendre à César ce qui lui appartient, reconnaissons à François Hollande d’avoir au moins contribué à cette prise de conscience.

Pour qui sait décrypter le langage ecclésiastique, le texte du Conseil Famille et société de la Conférence des évêques de France, qui a servi de support pédagogique à bien des rencontres, marque également une avancée notable, en reconnaissant, par exemple, qu’il peut «exister d’autres relations d’amour» qu’entre homme et femme, qui «ouvrent à un autre type de fécondité, la fécondité sociale», ou qu’il convient de «prendre au sérieux les aspirations de ceux (parmi les couples homosexuels) qui veulent s’engager dans un lien stable». Impensable il y a seulement quelques années !

Des évolutions à ce point «sensibles» que ce texte a fait l’objet, de la part de la Cef, d’une publicité, disons… modeste. On devine qu’il est loin de faire l’unanimité parmi les évêques. Certains le jugeant trop audacieux – déviant ? – au regard du Magistère romain qui demeure la règle. En revanche, il rejoint et conforte la position plus «progressistes» de certaines associations catholiques, telles les Semaines sociales de France qui, tout en se prononçant contre le mariage pour tous ont fait connaître, positivement, leur soutien à la proposition de l’Unaf d’instituer un statut d’union civile… donc une forme de Pacs renforcé ! A d’autres, en revanche, ce texte semblera encore trop timoré, rejoignant certaines déclarations similaires sur le divorce, la contraception ou l’avortement.

Propos non moins significatif, même si, comme souvent, on s’est empressé, ici ou là,  d’en relativiser l’audace et la portée : la récente déclaration à Rome, de Mgr Paglia, Président du Conseil pontifical pour la famille, dénonçant toute forme de discrimation envers les homosexuels, dans certains pays du Moyen Orient et d’Afrique, mais surtout se disant favorable à des solutions civiles hors mariage pour les couples homosexuels.

Ce débat-là, éclairé par les sciences humaines, l’enseignement du Magistère et la recherche théologique, il appartient au peuple chrétien et à ses médias de s’en saisir, de le nourrir, de le faire vivre, et pouquoi pas dans tel ou tel diocèse, avec l’assentiment de l’évêque du lieu, sans attendre que l’institution s’autorise à en prendre l’initiative. Même si on peut le regretter !

Les raisons de mon choix…

J’entends déjà quelques amis se récrier : tiens tu te réveilles donc ? Il était temps ! Que n’as-tu tenu ce langage au cours des derniers mois, au lieu de t’enfermer dans un discours de refus du mariage pour tous ?

Ma réponse est simple même si elle n’a pas toujours été facile à vivre : il m’a semblé, comme citoyen, que la loi Taubira portait sur le mariage civil, pas sur l’homosexualité. Elle devait être appréciée, bonne ou mauvaise, à partir de ses critères propres, de la pertinence de la solution qu’elle prétendait apporter au problème posé. Et que cela était totalement indépendant de la manière dont l’Eglise gérait, bien ou mal, pour elle-même, la question de l’homosexualité. Ce qui m’a conduit, c’est vrai, à rejoindre l’épiscopat dans sa critique du projet de loi, sans renoncer à l’interpeller à nouveau aujourd’hui sur la question homosexuelle. (6)

Pas d’amour sans justice et sans vérité. 

A mes amis chrétiens que mes propos auraient pu blesser, durant cette période, je voudrais dire ceci : je puise dans la Bible, qui est notre héritage, la conviction qu’il ne peut y avoir d’amour véritable sans justice et sans vérité. Avec d’autres, j’ai mené, loyalement et sans haine, un combat qui me semblait être de justice vis à vis des enfants, et de vérité au regard de la nécessaire différenciation des sexes dans le mariage. Le message d’amour de l’Evangile ne me semble pas en deça de ces exigences.

Demain, lorsque le processus législatif sera arrivé à son terme, la loi sera la loi et je suis un démocrate. Pour autant, je crois que si un Parlement est légitime à trancher entre le permis et le défendu, il ne l’est pas à prétendre départager le vrai du faux, le bien du mal, qui sont d’une autre nature ! Sous mon acquiescement citoyen je revendique donc une totale liberté de pensée et d’action.

Au cours de ces derniers mois j’ai, involontairement, porté des coups. J’en ai reçu. J’ai perçu combien des arguments qui se voulaient «neutres» et «de raison» pouvaient être ressentis comme blessants par certaines personnes homosexuelles ; combien il pouvait être difficile de ne pas se déchirer avec ses propres amis ; combien le regard d’estime que l’on portait jusque-là sur certaines personnes pouvait soudain se voiler. Pour autant, aujourd’hui comme hier, tout homme est mon frère !

Demain nous, chrétiens, entrons en Carême. Ce peut être le temps pour redécouvrir la sagesse du désert, l’exigence de l’apaisement et le prix du silence.

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  1. Et bien en amont et au-delà de la seule initiative épiscopale.
  2. Ou sur la GPA déjà réclamée par certains.
  3. Le Nouvel Observateur du 30 janvier écrit, p.26 : « C’est une avalanche de lettres qu’a reçu « le Nouvel Obs » pour exprimer une franche hostilité au « Mariage pour tous » (…) Beaucoup des courriels émanent d’abonnés à « l’Obs » ou de « lecteurs réguliers » et ayant voté parfois François Hollande, qui disent se sentir « méprisés » par les difficultés rencontrées par les manifestants à être reçus par le Président de la République. »
  4. Eric Conan  et Jean Dominique Merchet, Marianne, 27 janvier 2013.
  5. Ce qui ne veut pas dire qu’elle ne devra pas un jour s’interroger vraiment sur les conséquences, pour l’annonce même de l’Evangile, d’une attitude permanente d’opposition, face à toute réforme sociétale : divorce, contraception, avortement, pacs… et aujourd’hui mariage pour tous !
  6. Position inconfortable qui risque fort de condamner cet article à être décrié ou tout simplement ignoré à la fois par les tenants du mariage pour tous comme par ceux qui estiment que l’Eglise catholique est dans la vérité à maintenir fermement son enseignement sur l’homosexualité.

4 comments

  • l’apartheid est terminé,mettre du sel dans son humanité

    l’aco a fait un texte empreint de dignité

    merci a eux

  • Comme homosexuel, je tiens à souligner la haute tenue de votre réflexion dans ces débats.

    La difficulté majeure était la pluralité des questions imbriqués. Le risque était la confusion, qu’avaient intérêt à entretenir certains, de part et d’autre, car la confusion servait leur combat idéologique. L’honnêteté consistait bien sûr à opérer les distinctions nécessaires pour conduire une réfléxion posée, mettre en évidence les enjeux, les présupposés de chaque option.

    On a voulu nous faire croire (et beaucoup l’ont cru sincèrement) que la question centrale de cette réforme était l’acceptation de l’homosexualité par la société. Or, la question véritable, comme vous nous avez aider à le voir, était l’organisation de la filiation.

    Bien sûr que l’acceptation de l’homosexualité était aussi en jeu. Mais d’autres solutions étaient possibles, pour progresser dans ce domaine. Le vrai débat était – et reste aujourd’hui – la question de la parentalité, de la différence des sexes comme élément structurant pour un enfant. Sur ce terrain, il y a des options incompatibles. C’est là que va continuer le débat.

  • Merci René pour cette analyse que je trouve très pertinente. Je reste très attaché à l’idée que tu défends toujours dans tes écrits et qui consiste a mettre en garde contre toute forme d’exclusions que l’église pourrait avoir à l’encontre de certains de ses fidèles …

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