L’Eglise ne donne pas de consigne de vote, mais…

 

Si la Conférence des évêques de France se contente d’appeler les catholiques à hiérarchiser les «éléments de discernement» en vue de leur vote, certain texte romain se révèle, lui, plus suggestif !

Le 26 septembre 2011, le Conseil permanent de la Conférence des évêques de France rendait public un «Message à l’approche des élections» à l’attention des catholiques Un texte sans grande surprise, dont le mérite néanmoins, est de rappeler quelques enjeux sociétaux fondamentaux ainsi que des «éléments de discernement» devant permettre à chacun de mieux fonder et orienter son choix.

Un paragraphe du texte vaut ici, d’être cité : «A chaque citoyen, à chacun de vous, donc, il revient d’examiner comment les programmes et les projets des partis et des candidats traitent ces différents points, et de déterminer si ces approches sont cohérentes ou non avec la société dans la quelle nous voulons vivre. A chacun de vous il reviendra aussi de hiérarchiser ces différents points en vue du vote.»

 

Hiérarchiser ces différents points, certes, mais à partir de quels critères ? Telle est bien la question que chacun se pose et à laquelle, d’évidence, la note n’entend pas apporter de réponse. Allons droit au but : dans ce discernement, les exigences de justice sociale, d’accueil des migrants, de recherche d’un mode de vie et de croissance plus respectueux de l’écologie et du droit des peuples à accéder à leur propre développement pèsent-elles du même poids que le refus de l’euthanasie, du mariage homosexuel ou d’un durcissement du concept de laïcité ?

Un texte du cardinal Ratzinger…

Il est un texte, que la note de la Cef ne fait pas figurer parmi ses «références bibliographiques», mais qui semble pourtant «incontournable» et cela pour au moins trois raisons : la première c’est qu’il existe ; la seconde qu’il propose, précisément, une grille de discernement ; la troisième qu’il sert d’argument à une certaine sensibilité parmi les catholiques de France, pour affirmer que parmi les points «non négociables» évoqués par le texte, ceux concernent la défense de la vie et de la famille, doivent l’emporter sur ceux qui parlent de justice sociale, de partage des richesses ou d’accueil de l’immigré.

Qu’en est-il vraiment ? Le texte en question est une note doctrinale de la Congrégation pour la Doctrine de la Foi, en date du 24 novembre 2002, signée du cardinal Joseph Ratzinger. Son titre : «Questions sur l’engagement et le comportement des catholiques dans la vie politique». (1)

Le texte est dense et sans ambiguité. Il ouvre sur une référence à Thomas Moore, saint Patron des hommes politiques, vénéré pour avoir «refusé tout compromis». Le ton est donné et soulève déjà la question de fond : comment peut-on échapper au compromis en matière de choix politique ? Après avoir rappelé que «les fidèles laïcs ne peuvent absolument pas renoncer à la participation à la politique…», le texte fonde sur l’existence d’une loi naturelle qui s’impose à tous de manière non négociable, l’impossible justification d’un «pluralisme éthique» assimilé à une forme de «relativisme moral».

Le pluralisme éthique est jugé illicite !

 

Citons le texte : «La conscience chrétienne bien formée ne permet à personne d’encourager, par son vote, la mise en œuvre d’un programme politique ou d’une loi dans lesquels le contenu fondamental de la foi et de la morale serait évincé par la présentation de propositions différentes de ce contenu ou opposées à lui. (…) L’engagement politique en faveur d’un aspect isolé de la doctrine sociale de l’Eglise ne suffit pas à répondre totalement à la responsabilité pour le bien commun.» Et ceci encore : «La laïcité (doit être) comprise comme autonomie de la sphère civile et politique par rapport à la sphère religieuse et ecclésiastique, mais pas par rapport à la sphère morale.»

 

Bref : obligation semble être faite à tout croyant de participer au débat politique au travers d’une «pluralité des options temporelles», qui réfute pourtant aussi bien tout «pluralisme éthique» que toute hiérarchisation subjective des critères de choix ! Pas facile à mettre en œuvre ! L’idée même de «moindre mal» semblant, ici comme souvent dans l’enseignement de l’Eglise, jugée illicite.

Hollande – Sarkozy : calotte blanche ou blanche calotte  ?

Ramené à notre débat franco-français du moment, dans l’hypothèse simplificatrice d’une second tour néanmoins assez vraisemblable (2), cela donne le questionnement suivant : est-il possible à un catholique de voter pour François Hollande malgré ses propositions sur l’euthanasie et le mariage homosexuel, quitte à se battre par la suite contre l’adoption de ces textes ? Est-il possible de voter pour Nicolas Sarkozy – hostile à ces deux évolutions de société –  malgré son évidente allégeance à un libéralisme économique dont les excès ont été dénoncés maintes fois par les encycliques pontificales, ou son refus d’accorder aux immigrés des droits considérés par l’Eglise comme légitimes ? Même si la lettre du texte semble renvoyer l’un et l’autre candidats dos à dos… et le croyant à l’obligation morale de faire un choix «impossible», on sent bien où va la préférence de la Congrégation. Et, soyons honnête, quels qu’en soient les motifs, ceux d’une majorité de catholiques de France si l’on en croit les sondages (3).

Elle soulève, entre autres, cette question, formulée en ces termes mêmes, par nombre de catholiques : défendre la vie de son origine à sa fin naturelle ne suppose-t-il pas de la défendre aussi durant cette «période intermédiaire» qu’est tout simplement une existence humaine ? Ce qui suppose que soient également respectés des droits : à l’éducation, au travail, au logement, à la santé, à la justice sociale ? (4)

Plus largement et durablement, son contenu interpelle aujourd’hui la conscience chrétienne sur l’universalité de la loi naturelle, dès lors que l’Eglise catholique semble revendiquer l’exclusivité de son interprétation (5), et sur le refus de tout compromis en matière de choix politiques, dans des sociétés laïques et sécularisées. On pense ici à Péguy à propos de la morale de Kant : «Il a les mains pures, mais il n’a pas de mains».

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  1. La Documentation catholique n°2285 du 02.02.2003
  2. Au premier tour, certains considèrent que seule Christine Boutin présentait un programme conforme à l’enseignement de l’Eglise ; d’autres que François Bayrou, malgré quelques ambiguïtés, représenterait un moindre mal…
  3. Voir Pèlerin n°6738 du 19 janvier 2012.
  4. Les mêmes suggèrent que les 30 évêques qui se sont récemment associés à la  marche pour la vie, puissent demain, rejoints par d’autres, se mobiliser autour d’une marche pour le droit au travail ou le respect des migrants.
  5. On pense par exemple à l’évocation par l’Eglise de la Loi naturelle, pour fonder son interdiction des moyens artificiels de contraception.

 

7 comments

  • Christine Boutin présenterait un programme conforme à l’enseignement de l’Eglise ? Je n’en suis pas si sûr que cela ! Ou alors ça veut dire que son programme économique et social est donc aussi conforme à l’Enseignement de l’Eglise ? Ou alors ça voudrait dire que l’Eglise admet le trafic d’influence, l’évasion fiscale, le capitalisme libéral ? La finale du chapitre 5 de Matthieu ne parle pourtant pas de morale familiale…

  • Le devoir de tout militant chrétien socialiste est d’agir à l’intérieur même du parti auquel il reste FIDELE afin de le contraindre à évoluer sur la question cruciale de la fin de vie dans le respect de la personne et de son accompagnement . N’était ce pas le Dr.KOUCHNER, Ministre de la Santé socialiste à l’époque, qui a encouragé le développement des soins palliatifs et donné du poids à l’action des bénévoles d’accompagnement des malades. N’est ce pas un gouvernement socialiste avec Mr. BADINTER , qui a aboli la peine de mort…….Il faut tenir bon et avoir confiance.
    (Marie-France, ancienne bénévole d’accompagnement des malades en unité de soins palliatifs).

  • René, tu peux voir chez Koz ce que j’ai répondu à un post assez proche; les exigences de l’Eglise sont fortes, il y a celles que les évêques ont rappelé, la lettre de Benoît XVI sur l’écologie,…on ne trouvera aucun partie qui puisse se dire porteur de la doctrine sociale de l »Eglise dans son intégralité et il me semble que, parfois, le parti de Christine BOUTIN entretient la confusion. (que signifie « faire tomber le tabou de l’immigration? dixit CB) Pour ma part, tu le dit, je l’ai dit et redit, chacun votera en conscience.

  • Le parti socialiste est devenu un parti idéologue et angélique. Les arguments avancés par les socialistes concernant l’Euthanasie manquent de profondes réflexions sur la fin de vie. Ils oublient de parler des dérives certaines comme le connaissent certains pays ayant légalisé le suicide assité.
    Légaliser l’euthanasie c’est se déresponsabiliser de la fin de vie ; c’est institutionnaliser cette pratique, c’est permettre à la communauté de décider si la vie de cette personne vaut la peine ou non, de décider de quotas de rentabilité pour la sécurité sociale et mutuelles complémentaires. Ce malade est-il bénéfique de le soigner ? Ne coûtera-t-il pas trop cher à la société ?
    Cela me rappelle certains états européens ayant légaliser la déportation pour se débarrasser de certaines communautés.
    Pas de loi car c’est très dangereux, la société peut s’en servir pour se débarrasser des êtres qu’elle taxerait de non conformes (handicap très lourd, personne trop vieille, trop de filles, trop de garçons….).
    Le parti socialiste espère-t-il peut être faire des économies à ce sujet, en lançant un plan de rigueur de ce style ?
    Pour moi, il s’agit d’une régression et non d’une avancée. Le plus important c’est de permettre à tout un chacun d’aborder une fin de vie sereine avec des soins appropriés. Ca c’est le progrès et non l’euthanasie.

  • @Virginie. Je ne comprends pas ce que signifie votre post. « Regardez bien… » Puisqu’il me renvoie au texte de la Congrégation pour la doctrine de la foi de 2002 que j’ai abondamment cité. Que vouliez-vous dire ?
    @Rosew. Je ne pense pas qu’à ce jour le PS soit aussi machiavélique, concernant l’euthanasie. Il tente simplement de répondre à une forte demande sociétale, nourrie par les inlassables campagnes de l’ADMD avec la complicité des médias. En revanche les risques que vous évoquez sont bien réels. Néanmoins certains ont réfléchi à la portée plus générale d’une telle évolution de notre droit. Dans son livre : « La bataille de l’euthanasie », Tugdual Derville cite (p.111-112) Jacques Attali : « Dès qu’il dépasse 60/65 ans, l’homme vit plus longtemps qu’il ne produit et il coûte alors cher à la société ; il est bien préférable que la machine humaine s’arrête brutalement plutôt qu’elle ne se détériore progressivement » Et de conclure : « L’euthanasie deviendra un instrument essentiel de gouvernement. »

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