Des visages, des mains, des confidences, des prières, quelques larmes et beaucoup d’amour.
De vous à moi, j’ignore totalement si la vierge Marie est réellement apparue à Bernadette dans la grotte de Lourdes, le 11 février 1858. Et je sais gré à mon Eglise de ne pas me faire obligation d’y croire. J’ai toujours eu du mal à comprendre pourquoi Marie, si silencieuse dans les Evangiles et au travers de l’Histoire, était soudain devenue si bavarde au XIXe siècle, pour nous livrer tant de banalités ! Même si l’essentiel, c’est vrai, se confond souvent avec le plus banal. Et je retiens de la lecture déjà lointaine du “Lourdes“ de Ruth Harris (1) qu’à la même époque, nombre d’autres jeunes pyrénéennes déclarèrent avoir vu, elles aussi, une Dame en blanc, apparitions jamais entérinées par la hiérarchie catholique.
Mais je sais aussi ma tendresse de toujours pour la petite Bernadette. Et mon attachement aux sanctuaires, depuis le temps où je fréquentais tous les ans le pèlerinage aveyronnais de septembre, comme brancardier – mon père étant alors Président de l’hospitalité diocésaine – ; comme plus tard lorsque, directeur de Pèlerin, je participai le 15 août au Pèlerinage National d’où notre hebdomadaire tirait son origine et son nom. Je crois qu’on “juge un arbre à ses fruits“ (Mat.7-16) et les fruits de Lourdes m’ont toujours semblé beaux et bons.
Les intuitions spirituelles d’un grand artiste peuvent suppléer aux insuffisances de sa foi.
Le film documentaire de Thierry Demaizières et Alban Teurlai qui vient de sortir en salles, ce 8 mai, est de ces fruits savoureux. L’un des réalisateurs se dit agnostique, l’autre athée. Ce qui confirme la belle intuition du père Marie-Alain Couturier (2) lorsqu’il écrivait : « Les intuitions spirituelles d’un grand artiste peuvent suppléer aux insuffisances de sa foi (…) mieux vaut encore pour le salut de l’art chrétien le génie sans la foi, que le croyant sans le talent. » Je ne pense pas que cette œuvre du septième art prétende à la qualification d’art chrétien mais elle nous console, sur le sujet, de bien des caricatures, mièvreries ou reconstitutions pieusement édifiantes.
Les beaux fruits de Lourdes sont cette liberté avec laquelle les malades et handicapés, mais aussi les petites gens sont accueillies ici “chez eux“ en toute simplicité et vérité. Nous avons parfois perdu l’habitude de les voir vivre au milieu de nous, avec nous, comme nous. Nous avons désappris à croiser leur regard au motif qu’ils pourraient lire dans nos yeux comme le reflet d’une image dégradée d’eux-mêmes qui exacerberait leur souffrance… Alors que c’est notre narcissisme seul qui en pâtirait !
Je garde le souvenir d’une rencontre, sur l’esplanade du Rosaire, avec une jeune femme qui n’avait plus de visage mais un revêtement de peau sans relief doublement percé à la hauteur des yeux puis d’un nez absent et d’une bouche. Où porter mon regard ? Quelle attitude avoir ? Quelle qualité de sourire ? Elle était là chez elle autant que moi. Je garde, de tant de pèlerinages, le souvenir de malades qui nous demandaient de les excuser pour tout le tracas qu’ils nous causaient. Qui priaient moins pour leur guérison que pour celle de leurs voisins de chariot ou de brancard. Qui espéraient trouver sur les bords du Gave, face à la Grotte, la force morale d’assumer leur vie de souffrance, une fois retournés chez eux.
Et nous-mêmes nous interrogions sur notre hypocrisie à les servir cinq jours par an si nous devions les oublier pendant les trois-cent soixante suivants…
Eh bien c’est cela que j’ai retrouvé dans le film. L’humble et forte vérité de Lourdes. Ces visages souvent marqués par l’origine sociale, la pauvreté, la souffrance et la maladie, derrières lesquels on devine la soif de vivre et une infinie confiance en Marie. On accompagne au pied de la grotte, le papa d’Augustin et de Jean Baptiste auxquels les médecins ne donnent que quelques années à vivre et qui vient demander « la force d’accompagner la maladie de ses deux enfants » , les prostituées du bois de Boulogne qui, comme Bernadette avec Marie, attendent « qu’on les regarde comme une personne », l’adolescente au physique ingrat qui voudrait tant que les « insultes subies au collège s’arrêtent » et tant et tant d’anonymes qui portent leur demande au fond du cœur.
Je voudrais demander la force d’oser demander la guérison.
« On est tellement nombreux à attendre quelque chose… Des miracles, il n’y en a pas beaucoup » regrette une femme. « A Lourdes on a l’impression que la Vierge Marie nous console, surtout ceux qui n’ont pas de mère. Ici, il y a des riches, des pauvres, des aveugles, des boiteux, comme il y a deux-mille ans auprès de Jésus. » entend-on parmi les caravanes des gens du voyage ; « J’ai été battu, humilié, souillé. Je suis né homme mais j’ai besoin de me travestir. J’ai peur de finir seul. Mais je sais que les putes auront leur place dans le Royaume des Cieux… » murmure un homme épuisé et sans âge. Et ces paroles encore d’un quadragénaire cloué sur son fauteil par la maladie de Charcot : « Je n’ose pas demander ma guérison. Pourquoi moi et pas les autres ? Mais je voudrais demander la force d‘oser demander la guérison. »
La caméra sait se faire intimiste sans devenir impudique. Elle donne à voir et à entendre l’expression d’une foi populaire jamais tournée en dérision. Elle rend avec un naturel qui tient parfois de la surnature, le dévouement sans condescendance ni fausse compassion d’infirmières et hospitaliers bénévoles, souvent très jeunes. Ici l’Eglise, tellement vilipendée pour les dérives criminelles de certains de ses clercs, se fait sous nos yeux compagne de route des plus humbles, des plus fragiles. Et l’on en sort bouleversés de découvrir à l’écran tant de scènes qui paraissent tirées des Evangiles. Et aussi quelques miracles, fussent-ils symboliques, comme l’effort, lisible sur son visage, de cet homme privé depuis longtemps de tout usage de la parole après s’être défénestré par dépit amoureux, et qui, en réponse au prêtre qui, fraternellement – prophétiquement – l’invite à dire malgré tout quelque chose, finit par laisser surgir du plus profond, à l’adresse de ceux qui l’entourent et le servent, un à peine perceptible : « Je vous aime très fort ».
Dans la salle où j’ai vu le film… nous étions quatre ! Courrez avant que Lourdes ne soit plus que le souvenir d’une fugitive et lointaine apparition.
(1) Ruth Harris, Lourdes, histoire des apparitions, des pèlerinages et des guérisons. Ed. Jean-Claude Lattès 2001, 600 p.
2) Marie-Alain Couturier, La Vérité blessée, Nouvelle édition : Cerf 1990, 446 p.
J’ai vu Lourdes, samedi 11 mai. Il y avait du monde dans la salle, mais le public était plutôt âgé. Dommage, ce film admirable s’adresse à tout le monde : jeunes et vieux, malades et bien portants, croyants et athées, pauvres et riches… Ce qui fait sa force, c’est qu’il parle à tous. Je salue ta critique mon cher René. Pour moi qui ne connait Lourdes qu’au mois de novembre, lors des assemblées plénières des évêques de France, sans aucun pèlerin ou presque, ce film est une révélation. Personnellement, je ne crois pas aux apparitions de la Vierge, pas plus à Lourdes qu’ailleurs. En revanche, si la foi existe, je l’ai rencontrée dans ce film intitulé Lourdes.
Je suis partie à contre coeur à Lourdes. Je refusais les bondieuseries, disais-je alors. Mais l’aumônier d’hôpital auquel je devais succéder voulait absolument que j’y aille. Je suis partie furieuse, mais partie.
Et je suis tombée à genoux devant la procession des personnes malades. J’ai compris ce que signifiait voir le Christ dans le visage de tout homme.
Ben ça, c’est un miracle.
Merci René, vous donnez vraiment envie de voir ce film !
Je viens d’aller voir ce film et merci vraiment, René, de nous l’avoir recommandé.
Ce film est magnifique, bouleversant, d’une grande délicatesse et d’une belle qualité de regard, des réalisateurs aussi bien que des personnes filmées, handicapés ou brancardiers.
C’est la force de ce film: montrer que dans un lieu qui exalte ( au moins en en apparence) le religieux surnaturel , c’est au contraire ce que nous avons de plus concrètement et authentiquement humain en nous même qui peut s’exprimer le plus fortement . Pour avoir plusieurs fois accompagné des pèlerinages et des malades à Lourdes , ce qu’il y a de plus troublant , de plus déstatibilisant , c’est bien cette ambivalence entre ce que ce lieu dit de lui même et ce que l’on y vit . L’église qu’on aime et celle qui nous insupporte inextricablement liées et complémentaires . De quoi démonétiser durablement toutes nos étiquettes et nos jugements à priori .
Ah Lourdes ….. Je me souviens étant bénévole à la cité St Pierre et ayant aidé une personne âgée et handicapée me disant « Je n’a rien à vous donner mais pour vous remercier je vais vous réciter un poème… »
J’irai certainement voir le film , merci René de m’y inciter
10 000 pèlerins handicapés/an quand 730 000 français qui cumulent trois formes de handicaps et une dizaine de millions au moins une.
La fréquentation du pèlerinage est passée de 800 000 à 450 000 en 12 ans.
Le nombre de lits de l’hôtellerie de Lourdes baisse et s’embourgeoise.
Mais l’article de René traite surtout de l’art, du film et plus profondément, à travers la citation de M-A Couturier, de la relation entre art et foi *.
La citation de M-A Couturier date des années 50, elle mérite d’être lue avec, en tête, la tempête venue du Vatican de Pie XII et d’A. Ottaviani qui mis à rude épreuve, notamment les dominicains de France. Oui, la foi est affaire d’intuition, au moins autant que de savoir, de règles, de rites, Jésus n’a-t-il pas choisi pour compagnons et compagnes des gens du peuple, et n’est-ce pas avec des gens rejetés par la bonne société qu’il a engagé des dialogues parmi les plus évocateurs de sa vie publique. Affaire d’intuition donc, et même plus, affaire de génétique puisque tous, baptisés ou non, ayant vécu avant ou après JC, sommes fils de Dieu. Cette intuition, cette paternité, Germaine Richier les confirma en écrivant de son travail pour la chapelle du plateau d’Assy » … je crois que ma conversation avec le Christ de terre, de bois et de conviction a donné un assez beau résultat », sachant que son crucifix donna lieu, avec l’œuvre du juif Chagall, à une cabale intégriste qui conduisit l’évêque d’Annecy a priver, pendant 20 ans, les millions de visiteurs de cette chapelle, de la possibilité d’une rencontre de foi simple, par l’intermédiaire de cette œuvre majeure.
* https://www.cairn.info/revue-transversalites-2008-2-page-187.htm
merci René pour ton commentaire sur Lourdes, je suis allé le voir et j’en suis sorti bouleversé.
un beau film plein d’amour et d’humanité: à voir par tous ceux qui se demandent pourquoi Lourdes et aussi par les autres.
Le film « Lourdes » est vraiment super bien fait et reflète tout à fait ce qu’est Lourdes !
Je pense qu’il pourrait être un bon support pour faire connaître la cité mariale !
On y aperçoit des malades ainsi que des hospitaliers en accueils et lors de diverses cérémonies !
J’ai beaucoup aprécié, Jean-Baptiste avec son père Patrick en l’occurrence mais aussi les autres « malades » représentantés dans le film…. tous aussi touchants les uns que les autres !
Je ne compte pas les nombreux pèlerinages que j’ai pu effectuer tout d’abord comme hospitalière puis comme « malade ».
Je suis l’aînée d’une fratrie de 6 enfants et l’un de mes frères, le numéro 3 de ma fratrie était polyhandicapé. Mon rôle de « soeur aînée » m’a ouvert mes yeux vis à vis des plus handicapés que moi malgré mon très jeune âge de l’époque (entre 3 ans 1/2 et 7 ans 1/2). Mon jeune frère est décédé à l’âge de 5 ans 1/2 d’1 ancéphalite en 1966.