Sainteté et… communication

La béatification, parfaitement légitime, du pape  Jean-Paul II, n’en pose pas moins quelques questions, non moins légitimes, sur les modèles de vie chrétienne qu’entend promouvoir l’Eglise catholique.

 

Je ne fais pas partie de ces « catholiques critiques » (catholiques ?) qui jugent illégitime la béatification de Jean-Paul II au motif qu’il aurait « couvert » directement ou indirectement des affaires de pédophilie, qu’il aurait « torpillé » en Amérique du Sud, la théologie de la libération par aversion personnelle et crainte du communisme ou… tout simplement, parce qu’il aurait été, en matière de mœurs, un pape « réactionnaire ».

 

Je pense, et cela me semble difficilement contestable, que Jean-Paul II restera dans l’histoire de l’Eglise, un pape d’exception. Et je ne vois pas la nécessité de développer ici des arguments que chacun a bien en mémoire. Cet homme là était un homme de Dieu. Sans contestation possible, même si sur certains de ses choix concernant la « gouvernance » de l’Eglise, on peut être en désaccord avec lui. Mais au nom de quoi ces réserves devraient-elles influer sur un procès en béatification, demain en canonisation ? Il y a quelque chose d’assez étonnant à voir cette irruption de la société civile dans la vie de l’Eglise, avec la prétention de lui imposer ses critères de béatification. A écouter certains, le partage de l’humanité ne se ferait pas, selon la belle expression de l’abbé Pierre en réfutation au clivage croyants/non-croyants :  entre « les idolâtres de soi et les communiants » mais entre… les pro et les anti préservatif ! Misère !

 

La première question qui nous est posée est néanmoins celle de la rapidité de cette béatification. Je sais bien que Saint-Antoine de Padoue fut déclaré saint un an seulement après sa mort et Thomas Becket deux ans après sa décapitation… là où Jeanne d’Arc dut attendre cinq siècles, et sans doute aussi la nécessité pour le Vatican d’arracher aux catholiques de France leur ralliement à la République. Mais il est amusant de voir l’institution vaticane, si prompte à dénoncer le goût immodéré de la modernité pour le « tout, tout de suite », adopter cette même logique, lorsque ça l’arrange. Je conserve en mémoire, comme tout un chacun, les « santo subito » du 8 avril 2005, jour des obsèques de Jean-Paul II, savamment orchestrés par les Focolari. Mais après tout, ils ne faisaient jamais qu’exprimer l’opinion commune à bien des catholiques à travers le monde. Et, pour ma part, j’ai toujours été sensible à l’idée de « vox populi… » telle qu’elle nous est transmise par la tradition. Oui, les croyants ne se trompent guère sur ceux qui sont vraiment les « amis de Dieu ».

 

Mais précisément. La vox populi des premiers siècles n’appelait aucune officialisation, de la part d’une instance quelconque, pour s’autoriser à invoquer la protection de ces saints par acclamation. Et l’on sait qu’il a fallu attendre le Xè siècle pour que tout cela trouve un début de codification. Acclamé par la vox populi, porté dans le cœur par des millions de fidèles, Jean-Paul II aurait bien patienté un peu et respecté les règles « prudentielles » en vigueur si on lui avait demandé son avis. S’il en a été autrement, c’est sans doute que le Vatican avait intérêt à cette accélération et c’est là que nous entrons dans le registre de la communication.

 

Béatifiant son prédécesseur, Benoît XVI s’inscrit dans la « continuité » de son ministère apostolique. Dans son homélie, dimanche, il a redit, fortement, l’attachement de Jean-Paul II à l’enseignement du Concile dont « l’esprit », pourrait-on dire… était bien le « Saint Esprit ». Quoi qu’en pense les milieux traditionnalistes, gaussant depuis des lustres sur le fait que la troisième personne de la Trinité  n’avait pas répondu à l’invitation de Jean XXIII puis de Paul VI. Saluons cette déclaration sans ambiguïté de Benoit XVI dont on sait, par ailleurs, qu’il renouvellera à l’automne le geste de Jean-Paul II conviant les représentants de toutes les religions à Assise. Mais cette continuité porte également sur les modèles de vie chrétienne, et de sainteté, proposés à l’édification des fidèles. On sait que 80% environ des béatifications et canonisations concernent des clercs ou des religieux et religieuses. L’Eglise nous rappelle, certes, que tout baptisé est appelé à la sainteté mais comme aurait pu le dire Coluche, « pour ceux qui ne seront ni pape, ni cardinal, ni évêques, ni martyrs, ni religieux, ni religieuse… ce sera très très dur !  »

 

Et pour ceux qui, ayant été, le cas échéant, évêques, prêtres, martyrs… ne seraient pas tout à fait dans ligne du Magistère romain, ce ne sera pas simple non plus. Mgr Romero, assassiné dans sa cathédrale (comme Thomas Becket ) attend toujours. Mais il vivait en Amérique Latine, près des pauvres, comme Dom Helder Camara que Rome n’eut pas l’élégance ( je devrais dire l’intelligence) de faire cardinal. Preuve qu’il est plus facile de parler des pauvres en chaire que de reconnaître les « vertus » de ceux qui se font réellement proches d’eux, au nom de l’Evangile. On connait la phrase célèbre de Helder Camara : « Quand je donne à manger aux pauvres on me traite de saint. Et quand je demande pourquoi ils n’ont rien à manger, on me traite de communiste. »  Sans doute, aux yeux de Rome, a-t-il trop « forcé » sur la deuxième partie de la phrase.

 

« Saint-homme », s’il en est, dans le cœur des Français, l’abbé Pierre ne sera sans doute jamais porté sur les autels. Trop d’ombres demeurent attachées à sa vie dont cet « aveu » d’avoir « connu » la femme, même si c’est pour souligner qu’il n’en éprouva aucune satisfaction réelle. Saint-Augustin et Charles de Foucault, pour m’en tenir à eux seuls, ont surmonté l’obstacle de la sexualité qui semble tellement effrayer le Vatican. Quant aux moines de Tibhirine, on est surpris de leur non béatification… à moins que, là encore, il ne soit plus facile de s’émerveiller dans les homélies, du testament spirituel de Christian de Chergé, que de reconnaître dans sa vie et celle de ses frères l’illustration de cette phrase de l’Evangile :  « il n’y a pas de plus grand amour que de donner sa vie pour ceux qu’on aime »… surtout s’ils sont musulman.

 

Preuve, et c’est bien là que je voulais en venir, que la fidélité à la papauté, aux stratégies vaticanes ou à l’Eglise institutionnelle, sont sans doute plus « payantes » pour accéder à la béatification ou à la canonisation, que la simple fidélité à l’Evangile. Dur, dur !

 

Et il y aurait également beaucoup à dire sur les « miracles » qui permettent d’authentifier ces saints et bienheureux. Là encore, je souhaite que mes propos soient bien compris. Je ne mets pas en doute la guérison de Sœur Marie Simon-Pierre et il ne m’appartient pas de me prononcer sur son caractère miraculeux. Je pose une simple question de journaliste. J’ai lu, ici ou là dans la presse, que la canonisation de Jean Paul II serait sans doute d’autant plus rapide qu’il y aurait, à ce jour, quelque 200 témoignages de guérison à l’invocation de son nom. Est-ce vrai, est-ce faux ? je n’ai pas, ici, les moyens de vérifier. Si cela est vrai, on peut émettre l’hypothèse qu’au moment où la guérison de Sœur Marie Simon-Pierre a été retenue et déclarée miraculeuse, d’autres dossiers étaient en instance entre les mains des autorités vaticanes… et peut-être d’autres choix possibles ! Mais imaginez seulement que le miraculé ait été un militant syndicaliste chrétien, atteint de Parkinson, et adhérent à la CGT… Impensable !

 

Bref ! et sans procès d’intention (vous me connaissez…) cela tombe bien, tout de même, que la miraculée soit une religieuse et qui plus est dans une congrégation des Petites Sœurs des maternités, quand on connaît le combat incessant de Jean-Paul II contre l’avortement. Tenez, je vais être honnête jusqu’au bout : si la guérison a réellement été octroyée par Dieu, par l’intercession du désormais bienheureux Jean-Paul II, on peut comprendre que là où il se trouve il ait été plus sensible à la supplication concernant une religieuse au service de la vie. Je le dis sans ironie aucune. Raison de plus pour que l’Eglise propose également au peuple chrétien d’autres visages de sainteté permettant à d’autres serviteurs de l’Evangile, engagés dans d’autres combats, au côté des pauvres, des immigrés, des musulmans… de trouver aussi un bienheureux « de leur sensibilité », susceptible de faire monter leur propre supplique jusqu’à Dieu ! Question d’équité au regard du principe d’égalité des fils de Dieu !

 

Bref voilà une béatification bien comme il faut. Un pape incontestable dont la béatification vient conforter la papauté en ces temps difficiles, CQFD, et une miraculée présentée, à travers sa guérison, comme modèle, sans doute, de ce que devrait être toute vie chrétienne : à l’abri du commerce de chair et toute donnée à la protection inconditionnelle de la vie.

 

Je n’ai pas souhaité produire ce texte avant la béatification d’hier. Car je ne voulais pas paraître me désolidariser des catholiques qui ont fait, le cœur en fête, le pèlerinage de Rome… ou qui, sur FaceBook ont pour la circonstance changé leur portrait par celui du pape défunt…  Mais je me sens autorisé de demander aujourd’hui à mon Eglise – comme je l’ai fait hier sur l’antenne de LCI – une plus généreuse ouverture à d’autres visages de sainteté, représentatifs des différentes formes de vie chrétienne au service du même Evangile. Est-ce trop ?

 

 

 

12 comments

  • oui bonsoir

    je vous retrouve avec plaisir!
    oui je partage votre demande
    comme celle de la gynéco qui a prié en ce dimanche de la miséricorde pour que notre Eglise soit en actes témoin de cette miséricorde divine……
    celle qui vient des entrailles d’une mère

  • A ma connaissance, la procédure de béatification doit être introduite toujours introduite au niveau du diocèse dans lequel celui qui a la réputation de sainteté est decédé. La première décision est donc diocesaine. Cela veut dire que c’est au diocèse de Paris d’introduire la cause de l’Abbé Pierre, de Recife celle de Helder Camara, et celui d’Alger pour les moines de Tiberhine. A moins de partir du principe que c’est le vatican qui bloque ces procédures diocesaines (ce que je ne pense pas), ce sont les autorités diocésaines respectives qui sont en « cause ». A propos de l’Abbé Pierre, je pense que vous accordez plus de poids à la question sexuelle que le Vatican et cela me surprendrait beaucoup que cela bloque une éventuelle procédure de béatitification. Les exemples de saints ayant fauté dans l’histoire sont trop nombreux pour que ce cas soit un obstacle. Le seul obstacle qui pourrait émaner du Vatican si la procédure arrivait à son niveau résulterait de la crainte d’une tentative d’instrumentalisation de l’Abbé Pierre par une partie de l’Eglise. Je pense par ailleurs que vous ne tenez compte du fait que l’Abbé malgré sa popularité en France et dans le monde francophone, n’était pas tres connu en Italie. Quant à la béatification de Romero, Benoit XVI a dejà donné sa position ici (http://www.generation-benoit16.com/Foi-et-politique-a-bord-de-l-avion.html)

  • Oh, que oui, les questions de notre cher René sont pertinentes.

    Pourquoi faire si vite pour JP II ? Même si je pense qu’il a fait de son mieux, compte tenu de sa culture et de son histoire, ou même, un peu mieux que ce que ce contexte permettait, ce qui fait que pour moi, il mérite sa mise en position d’exemple.

    Mais..
    * mais, il est indiscutable qu’un évêque assassiné dans sa cathédrale, comme le P.Oscar Romero est un martyr, même si ses assassins se disaient catholiques. Et comme tel, je ne comprends pas le retard mis à sa canonisation pure et simple;

    * mais je fais le même raisonnement pour les martyrs de Tibhirine

    * mais je comprends mal le retard à la béatification de Charles de Foucault… etc.

    Bref, je partage largement le point de vue de ce blog de notre René Poujol, tout en me disant que je touche là au coté trop humain et politique de ces monsignorini (= petits monsignori), ambitieux qui sont attirés par le pouvoir et gravitent autour du siège de Pierre.

    Puisse celui qui est assis sur ce siège de Pierre ne pas être étouffé et paralysé par ces porteurs de dentelles et de capes…

  • Oui, brillant au sens de lumineux, apaisant, réconciliant, bref un commentaire qui renvoie à a Source… Grand MERCI !

  • La route est encore longue…
    et qui sait? Un jour peut-être tous les chemins ne mèneront plus forcément à Rome!

  • Pour Mike : s’agissant de l’abbé Pierre (mais cela ne contredit pas votre raisonnement) je crois qu’il est resté incardiné toute sa vie au diocèse de Grenoble, et non à celui de Paris. Merci de votre réflexion.

  • Oui la béatification et la canonisation ont en effet une dimension politique parce qu’elles ont une dimension pastorale .Dans la béatification l’Eglise nous donne un exemple de vie, il est donc normal qu’elle nous donne un exemple qui cadre mieux avec ce qu’elle enseigne. Pour des raisons de pastorale et de communication il est plus facile pour l’Eglise de donner en exemple une Marie Madeleine qu’une samaritaine, une mère Teresa qu’un abbé Pierre.

  • Très intéressant, très subversif aussi.
    Très grande culture, religieuse notamment (heureusement), de René. Le transfert est très enrichissant.
    Il y a peu de siècles, on aurait brûlé le blasphémateur pour bien moins que cela, avec quelques « douceurs » préliminaires…
    J’adopte bien volontiers l’essentiel du brillant exposé. Avec d’autant plus de facilité que je serais bien en peine de pouvoir en contester, arguments à l’appui, l’analyse historique ancienne et récente.
    Je me dis que, décidément, aujourd’hui, quel que soit le domaine, l’autorité est contestée, d’autant plus qu’elle est éminemment humaine, donc faillible (en l’occurrence, sécularisation du Vatican). Une autorité contestée est forcément affaiblie. Et de proche en proche, il n’y a plus d’autorité du tout. Philosophiquement, mais surtout pratiquement, ça me pose question. Sans que j’aie le moindre début de solution d’ailleurs, tant deux forces s’opposent : la nécessité du chef (on sait ce que donne l’inverse ailleurs…), la non moindre nécessité de transparence et contrôle démocratique. Où se situe la bonne position du curseur intermédiaire ? Il me semble que les grands penseurs grecs n’étaient pas démocrates, pour des raisons évidentes de soumission de la politique à trop d’émotion.
    Par contre, l’aspect « sexualité » qui – en douce – revient en fil rouge dans le discours, m’interpelle particulièrement. Pour ma part, je crois que c’est la grande erreur de l’Église que de l’avoir diabolisée, au lieu de l’assimiler comme la fonction la plus noble, la plus merveilleuse de la Création. Le Christ fut bien moins exigeant (et j’accepte volontiers le contrôle des experts). La solution n’était pas dans la burqua des idées mais bien dans l’éducation responsable, c’est à dire appuyée sur des valeurs (respect d’abord, maître-mot).
    Alors, pour quelqu’un comme moi qui s’est fait piéger par l’angélisme (Sœur Emmanuelle a écrit que c’était la pire des choses), qui, jeune, fut obsédé par un idéal de « pureté », qui a reçu ce boomerang en pleine figure, et ça fait très très mal, je suis extrêmement choqué par les affaires de pédophilie et par les indulgences des autorités (quand elles n’y sont pas mêlées). Non, pas eux ! Pas les moralisateurs ! Pas ceux qui ont asphyxie ma jeunesse ! (avec de lourdes conséquences pour toute la vie).
    René m’ayant paru ranger cela au rayon des accessoires seconds, je tenais à apporter un éclairage différent.

    • Merci Jean-Jacques de votre commentaire. Deux aspects retiennent mon attention. Sur les questions touchant la sexualité, j’ai le sentiment d’avoir souvent abordé le sujet dans ce blog ( notamment sur la pédophilie) et l’on ne peut pas à tout propos reparler de tout. Sans doute aurai-je l’occasion d’y revenir à la faveur de quelque actualité. L’autre interpellation me semble tout particulièrement pertinente. Elle pose la question du minimum de déférence nécessaire (et d’obéissance) vis à vis de toute autorité, sans laquelle cette autorité se trouve mise en danger. C’est une vraie question. Et j’avoue bien volontiers qu’on m’interpelle parfois durement, depuis les rangs catholiques, m’accusant de contribuer à affaiblir une institution déjà mise à mal… Mais là encore, difficile de répondre en trois lignes. Autorité n’est pas autoritarisme. L’Eglise n’est pas une démocratie mais elle a connu, au cours de l’Histoire, plus de pratiques démocratiques qu’on imagine : élection des évêques et des prêtres par acclamation au cours des premiers siècles, vote à la majorité lors des premiers conciles, des textes qui constituent aujourd’hui le dogme, votes encore au Concile de Vatican II… On peut comprendre que les catholiques de notre temps se « rebellent » à être consultés, démocratiquement, dans les synodes diocésains, tout en sachant qu’ils n’auront aucune part dans la décision finale et que certaines recommandations (contraception, ordination d’hommes mariés, place des femmes dans l’Eglise, accès des divorcés remariés aux sacrements…) ne remonteront même pas à Rome qui considère la question de son seul ressort ! J’y reviendrai !

  • Un grand Merci pour cette petite réflexion qui, au risque de ne pas être politiquement correcte, permet une autre vision en ces temps d’adulation collective.
    Pour ma part, tout jeune baptisé, je dois confesser que cette béatification me laisse un peu « froid ». Ayant peu connu Jean Paul II, je comprends toutefois la charge émotionnelle et sentimentale qui a pu attacher une grande partie des croyants à ce pape.
    Sans diminuer la beauté et la vérité de cette béatification, jeune adulte en recherche, j’aimerai que l’église nous donne plutôt dans notre appel à vivre l’évangile au plus près, au coeur, des modèles qui fassent rêver, des fous, des lumières pour notre temps et notre vie.
    Au lieu de cela, oui on sent un certain calcul, vers des choix qui rassemblent l’église, et des motivations un peu humaines..
    Mais l’église est faite d’hommes, et c’est ce que j’essaie de dire à mes amis récalcitrant à l’église catholique, la source c’est l’évangile. Allons et restons à la source.
    Il nous faut surement pardonner à l’église des faiblesses et des choix qui semblent parfois un peu trop humains.
    Si l’église a en effet besoin d’un chef, il nous toutefois espérer qu’elle évolue vers moins de temporalité afin d’être plus témoin.

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