Si l’Eglise m’était BD-contée, j’y prendrais un plaisir extrême

Si l’Eglise m’était BD-contée, j’y prendrais un plaisir extrême

Une approche iconoclaste mais fidèle à l’histoire, qui libère et donne à penser. 

( Merci à Christine Pedotti et Anthony Favier pour leur reprise amicale de cette recension dans Témoignage Chrétien)

C’était de toute évidence une gageure : raconter « l’incroyable histoire de l’Eglise » en bande dessinée. Et en un seul volume. Le résultat est à la hauteur du pari : 584 pages grand format (25 x 18 cm) . Avec des textes du sociologue et politologue Olivier Bobineau et des milliers de dessins de Pascal Magnat. Pour moi un petit chef d’œuvre de pédagogie iconoclaste portée par un humour ravageur. Autant dire que ce n’est pas un pavé à mettre entre toutes les mains. Ou plutôt si ! Car derrière le rire parfois mordant on découvre une institution et une communauté deux fois millénaire dont l’histoire échappe ici, par grâce, à tout présupposé narratif édifiant ou spiritualisant. Et cette lecture-là nous fait du bien car elle nous libère, nous rend disponibles pour une adhésion personnelle – éventuelle – à la foi chrétienne, dépouillée de tout enjeu purement patrimonial ou  idéologique. 

Soyons clair : je ne possède pas la culture nécessaire pour prétendre juger ici de la qualité du texte. Des spécialistes pourront sans doute chicaner à partir de leur propre approche peut-être ni plus ni moins objective. Pour ma part, je n’ai rien décelé qui m’ait semblé hérétique ou volontairement faussé dans le propos. Et ce n’est pas rien, je vous l’assure, que de présenter la pensée d’Augustin ou de Thomas d’Aquin en quelques pages, tout comme la réforme Grégorienne, le schisme d’Orient et d’Occident, le Concile de Trente ou ceux de Vatican I et Vatican II. Ou de condamner des figures de sainteté incontournables ( Benoît, Ignace, François d’Assise…) ou des grands penseurs/acteurs chrétiens (Lammenais, Lacordaire, Ozanam…) à un traitement en quelques vignettes. Mais on sait gré à l’auteur (aux auteurs) de nous offrir là une traversée de l’histoire religieuse devenue compréhensible dans ses enchaînements chronologiques par son incarnation, son enracinement dans la réalité politique, sociale, culturelle des siècles successifs : croisades, déchirements de l’Europe monarchique, révolution française, montée du communisme et du nazisme… Comme il nous offre un décryptage des basculements opérés dans la marche des idées tant par la scolastique, que par l’humanisme de la Renaissance ou le « je pense donc je suis » de Descartes. Notre France laïque et sécularisée et sa composante ecclésiale sont la résultante de tout cela. 

Les dessins de Pascal Magnat font merveille par leur créativité, leur imagination, leur audace, leur truculence, la variété des plans, la richesse des contrastes et des couleurs. Et ce n’est pas rien, non plus, d’avoir « croqué » le narrateur et complice Olivier Bobineau, quelques centaines de fois, en costumes d’époques, sans nous lasser. Pourtant le choc est rude, dès les premières vignettes, de découvrir un Jésus « sémite » à la chevelure bouclée et au nez busqué aux antipodes de l’imagerie christique habituelle que nous aimons. Au point de faire douter un instant le lecteur croyant des raisons profondes de son attachement au Nazaréen : le physique ou l’enseignement et la vie ? Les gags visuels se succèdent, soutenus de « bulles » parfois hilarantes comme pour évoquer le schisme d’Occident et le poids des papes italiens : « un pape, un pape, oui mais un Panzani ! » la création de la fiscalité pontificale au XIIIe siècle : « In money we trust » ou la résistance farouche au roi et au pape de quatre évêques jansénistes en 1717 : « tous ensemble, tous ensemble, ouais, ouais. ». Avec parfois, c’est vrai, un sourire crispé comme à la vue d’un Hitler en croix ou recevant la communion… Pour d’autres ce sera l’irruption de Coluche ou de Pierre Desproges dans le récit ; l’image de Jésus nageant dans l’oculus de l’ostensoir ou le doigt d’honneur à leur hiérarchie de deux jeunes ecclésiastiques en goguette. Mais on se surprend à accepter tout cela sainement ! 

Bref, voilà un outil culturel – plus que religieux – bien dans la tradition d’un certain esprit français. Et de très grande qualité : par son souci d’exactitude, son talent pédagogique et le parti pris d’un recul visuel et textuel ironique qui dédramatise et désacralise le récit et au final rend à l’Eglise institutionnelle, héritière de l’empire romain, ce qui parfois appartenait à César, et à Dieu ce qui est à Dieu. Si vous avez besoin d’idée de cadeaux pour les fêtes… 

L’incroyable histoire de l’Eglise, Olivier Bobineau et Pascal Magnat, Ed. des Arènes BD, 584 p. 33 €. 

14 comments

  • Ou comment noyer le poison, pour refuser de voir encore l’imposteur. Venant d’un « catholique en liberté », oxymore mortel s’il en est, depuis la nuit des temps déjà, rien ne nous sera décidément épargné par ces « gentils » cathos qui à chaque crime travestissent leur histoire sanguinaire, histoire de demeurer coûte que coûte dans la « barque de Pierre » – la belle imposture – qui n’en finit pas de dériver… 😉

    P.S. : BD contée, contrairement à une certaine actualité fâcheuse, ce n’est pas Bandez comptez, ne soyons pas complotistes…

    • A vous lire c’est à croire que c’est moi qui ai investi huit années de travail à la réalisation de cette BD, unquement pour « noyer le poisson » Ichtus of course !

  • Toute tentative de faire connaître l’histoire de l’église est bonne à prendre . N’ayant pas lu cette BD je m’abstiendrai bien évidemment de la commenter .
    Trois réflexions cependant .
    1)- Concernant le physique de Jésus , j’ai toujours pensé qu’il devait plus ressembler à Yasser Arafat qu’à l’éphèbe blond vénitien, aux yeux bleus des peintures du Quattrocento ( et je ne parle pas des horreurs de l’imagerie du XIX° siècle )
    2) – Sur le plan des idées
    – Je n’oublie pas , en matière de gouvernance de l’église , l’apophtegme attribué à Cyprien de Carthage (évêque de Carthage au III°siècle :  » Quod omnes tangit, ab omnibus tractari et approbari débet » ( ce qui concerne tout le monde doit être débattu et approuvé par tout le monde ) . Qui a dit que la démocratie devait rester une idée ignorée dans l’église ?
    -Je n’oublie pas non plus la rupture culturelle que fut l’interdiction en 1277 d’enseigner les thèses d’Averroès qui fragilisa Thomas d’Aquin et avec Guillaume d’Ockham , sépara le foi de la connaissance . A la science et à la raison , la connaissance ; à la foi , la croyance . Ce qui modifia profondément la fonction du prêtre .La mission sacerdotale n’est plus l’enseignement et l’explication , mais la médiation entre la terre et le ciel et l’exemple d’une vie conforme à celle du Christ .. Le prêtre devient le distributeur de grâces sacramentelles et le témoin du Christ . Conséquence , le christianisme ne fut plus réservé à une élite cultivée mais pénétra les couches populaires puisque son accès ne dépendait plus du seul savoir .

    3) Enfin le XIII° siècle avec Guillaume d’Ockham consacra la séparation du profane et du sacré et introduisit la séparation de l’église et de l’Etat . Pis ou mieux deux maitres de l’université de Paris ont affirmé dans leur livre « défensor pacis  » qu’il n’existait pas de pouvoir spirituel indépendant, que toute autorité particulière de l’Eglise résulte d’une usurpation , que l’église doit être soumise à l’Etat et que le pouvoir ne procédait ni de Dieu ni du roi mais du peuple.

    Ce petit rappel rafraîchissant , pour nous faire souvenir que l’obscurantisme institutionnel qui est la cause des scandales d’aujourd’hui ne fut pas toujours la culture de l’Eglise . Ou nos évêques ont ils appris l’histoire de l’Eglise ?

    Mon commentaire est inspiré par l’émission » Déo et débats » diffusée hier soir ,consacrée aux scandale des abus . J’ai été frappé que le trouble sincère exprimé par les participants débouchait chez presque tous par  » un coup de pied à suivre  » vers le champ spirituel , tant il semble impossible d’avoir dans l’église une réflexion strictement institutionnelle . Ce qui était possible au XIII ° siècle , à savoir envisager séparément les champs de la gouvernance et de vie spirituelle , semble aujourd’hui hors de portée des « voix autorisées » de la sphère catholique .
    Une regrettable régression qui empêche de poser correctement la question des abus dans l’église et donc d’y apporter des solutions satisfaisantes .

  • Pourrait-on échanger un jour sur la différence qui existe entre « les religions institutionnalisées qui se disent Église » et l’Église inaugurée par le Christ comme « communauté fraternelle » ?

    • @ Michel Betoule
      Il me semble que sur ce blog les débats sont possible. Je l’ai découvert il y a un peu plus d’un an et la richesse des débats et des billets postés par René Poujol me plaisent beaucoup. C’est une chance que d’avoir un tel lieu d’échange et d’enrichissement personnel en ce qui me concerne.
      Mais permettez moi de vous dire que je ne me laisserai pas enfermer dans des discussions où les catégories sont imposées et bloquées. Du type « les religions institutionnalisées qui se disent Église ». Car, je ne suis pas sur, dans un tel cas, d’être totalement dans un échange … en liberté.

      • à Dominique LUCAS
        Croyez-moi, j’apprécie tellement ce blog « d’échanges » que je ne me permettrais pas ni « d’enfermer, ni imposer, ni bloquer » quoi ou qui que ce soit.
        J’invite seulement à échanger sur le thème : »Comment peut-on définir en quelques mots simples l’Église inaugurée par Jésus ».
        L’expression « les religions institutionnalisées qui se disent Église » m’est inspirée par la critique de Jésus (Évangile) concernant des règlementations trop rigoureuses « imposées » dans Sa propre religion. Par exemple, concernant le Shabbat, des directives strictes qui le détournaient de son sens spirituel.
        (Comme c’est le cas dans bien des religions. Ce n’est que mon ressenti.)

  • Je comprends que mes avis exprimés précédemment peuvent conduire à des considérations difficiles, voire pénibles. Je me permets néanmoins de souligner leur importance (sans rien imposer) :
    Dimanche dernier (20 nov., sur France 2), un débat « interreligieux » s’est tenu de 8h30 à 11h portant sur la FRATERNITÉ.
    Dimanche prochain (27 nov.) à 10h30 l’échange habituel portera sur « LE CHEMIN DE LA PAIX »
    N’est-ce pas là un thème primordial, comme l’a souligné Jésus qui nous demande d’en TÉMOIGNER, au moins mentalement/spirituellement (= notre Foi, notre idéal choisi), même si nos faiblesses nous freinent dans leur application.

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