Une grande espérance

Une grande espérance

La rencontre qui s’ouvrira mardi, autour du pape François, des huit cardinaux nommés pour le conseiller sur la réforme de la Curie et la gouvernance de l’Eglise, marquera dans doute une date importante dans l’histoire de cet encore jeune pontificat. 

 

G8 au travail

Et ce qui devait arriver, arriva ! Depuis la publication dans la revue jésuite Etudes, du long entretien accordé par le pape François, la cathosphère bruisse jusqu’à l’étourdissement, de l’inévitable débat sur le degré de rupture qu’introduiraient ou non, ses propos par rapport à ceux de ses prédécesseurs. Au point de remettre à l’honneur la vieille comptine de notre enfance, revisitée pour la circonstance : «Je te tiens, tu me tiens… par l’herméneutique !»

 

 

Les ruptures du Concile

 

On nous avait déjà fait le coup, si je puis dire, avec le Concile Vatican II qu’il fallait lire, résolument, selon la seule herméneutique de la continuité. A cela un argument qui se voulait de poids : c’était, de la volonté même du pape Jean XXIII, un concile pastoral qui, de ce fait, ne pouvait introduire aucune rupture dogmatique dans la vie de l’Eglise. Une vision des choses  qui se heurte à deux objections. La première est que, ce Concile dit pastoral a produit des textes dont deux portent, justement, le titre de «constitution dogmatique» (sur l’Eglise et sur la Révélation divine) et que des théologiens ont identifié dans l’enseignement de Vatican II une vingtaine de déclarations de type dogmatique, sur lesquelles on ne reviendra pas, représentant une évolution suffisamment significative pour qu’on puisse, ponctuellement, parler ici ou là de rupture.

 

La seconde objection est qu’il n’y a pas de ruptures que dogmatiques. Lorsque Gérard Leclerc, fervent partisan d’une herméneutique de la continuité, convient : «Il est vrai que le mot rupture est susceptible de déclinaisons différentes.» il assène là une évidence dont il semble refuser, par ailleurs, de tirer les conséquences. Que l’on me pardonne cette facilité, mais relisez le Syllabus de Pie IX qui condamne en vrac : les idées modernistes, le progrès, la démocratie, les droits de l’homme, la liberté de conscience… et dites-moi si l’on peut lire dans la foulée Gaudium et Spes, selon une herméneutique de la continuité ! Balivernes ! Comprenons-nous bien, il ne s’agit pas ici de plaider que Vatican II fut un concile de rupture,  mais qu’il a su créer les ruptures nécessaires pour permettre à  l’Eglise de mieux se situer dans la continuité, la fidélité à sa Tradition, toujours à approfondir.

 

Une interview dynamite ?

 

Il en est de même de l’entretien du pape François aux revues jésuites. Personne, à ma connaissance, même dans la presse non-confessionnelle, n’y a lu une quelconque remise en cause «de la loi et des prophètes». Alors, pourquoi nous rejouer l’air de la continuité qui semble avoir pour unique finalité de minimiser, nier, voire même délégitimer, la part d’infléchissement ou de rupture que ces propos peuvent représenter par rapport au passé ?

 

Lorsque Rémi Brague écrit : «François refuse avec raison de se focaliser sur les questions dites de « morale sexuelle ». Mais soyons honnêtes. Est-ce que ce sont vraiment les curés qui « voient du cul partout » ?» On a envie de l’inviter à méditer l’observation de notre ami Koz : «Interrogez (les Français) dans la rue et demandez-leur ce qu’est un catholique, je crains fort que beaucoup nous répondent que c’est quelqu’un qui est contre l’avortement et l’euthanasie, et le sexe avant le mariage, plutôt que quelqu’un qui croit en Christ et aime son prochain.»

 

Que les prêtres ne fassent pas une «fixette» sur le sujet n’empêche pas que ce soit-là le message entendu par nos concitoyens. Pas, comme on le prétend trop facilement, à cause de la perfidie des médias, mais parce que, de fait, trop de textes romains, au cours des dernières décennies, ont donné le sentiment que les «gardiens» du Magistère, eux, faisaient bien une «fixette» sur la morale sexuelle.

 

Lorsque le nouveau pape nous dit son intention de passer à autre chose,  ne peut-on, raisonnablement, parler de rupture dans le choix des priorités pastorales ? Et l’on pourrait multiplier les exemples. Ce qui, personnellement, me fait ratifier l’intuition d’un Jean-Pierre Denis sur Radio Notre-Dame ou d’un Patrice de Plunkett, sur son blogue, lorsqu’ils parlent, symboliquement bien entendu, de «dynamite» à propos de l’interview du pape François. Dans une institution qui paraissait figée à l’extrême, voilà que les simples « ouvertures » du pape prennent, en effet, un relief singulier.

 

Dieu, tout à la fois père et mère…

 

J’ignore si le retour de l’enfant prodigue de Rembrandt, fait partie des œuvres picturales chères au cœur du pape François. Mais assurément, il ressemble au père de la parabole évangélique, qui, dans le tableau du maître Flamand pose tendrement, sur les épaules de son fils repenti, une main d’homme… et une main de femme, comme pour mieux signifier combien Dieu est pour nous, tout à la fois, père et mère. Et sans doute, comme lui, son représentant sur terre. Alors que dans un passé encore récent il semblait entendu que la fonction papale dut ressortir uniquement du registre de l’autorité magistérielle et du rappel de la loi, laissant aux prêtres (qui, en effet, «ne voient pas du cul partout») le soin pastoral de l’accueil, de la compréhension, de l’accompagnement et du pardon.

 

Un «partage des tâches» depuis longtemps mis à mal par la pratique moderne des médias. Ils ignorent – et donc ne donnent pas à voir – ce qui peut se passer dans l’intime d’une relation entre un fidèle et un prêtre, ce qui pour eux ne fait pas «événement», mais se font l’écho des initiatives romaines, dont la philosophie a longtemps été de rappeler la sainte doctrine, et la morale, «à temps et à contre-temps». Sans trop se soucier de la façon dont cela pouvait être reçu. Avec pour effet pervers le «ressenti» dont Koz se fait l’écho, le «pastoral» étant confiné au privé, et le «doctrinal» émergeant seul dans le débat public, ce qui a longtemps été le souhait de l’institution catholique.

 

On peut donc lire dans l’attitude constante du nouveau pape, depuis son élection, plus qu’un simple infléchissement dans la «communication» de l’Eglise, dont son prédécesseur avait d’ailleurs reconnu les erreurs et les manques ; le vrai désir de passer à un autre mode de présence de l’Eglise au monde, tels que l’avaient souhaité les pères du Concile. N’en déplaise aux chantres de l’herméneutique de… l’immobilisme.

 

Dire au monde qu’il est aimé de Dieu

 

C’est dans ce contexte que s’ouvre, mardi 1er octobre, à Rome, la première rencontre du pape avec la commission des huit cardinaux désignés pour l’aider dans sa réflexion sur les réformes à engager dans le gouvernement de l’Eglise, notamment au travers de la Curie, ce qui est très précisément le souhait exprimé par le collège des cardinaux réunis dans l’avant-conclave. Vendredi, il a prévu de se rendre, avec eux, à Assise, pour la fête de Saint-François. Difficile de dire si ce déplacement s’accompagnera de l’annonce de premières décisions…

 

Posez la question à un tenant de l’herméneutique de la continuité, il vous répondra en citant tel passage de l’entretien du pape François publié dans les Etudes : «Nombreux sont ceux qui pensent que les changements et les réformes peuvent advenir dans un temps bref. Je crois au contraire qu’il y a toujours besoin de temps pour poser les bases d’un changement vrai et efficace. Ce temps est celui du discernement.» Interrogez un partisan de l’herméneutique de la rupture, il vous citera… la phrase qui suit immédiatement la précédente : «Parfois, au contraire, le discernement demande de faire tout de suite ce que l’on pensait faire plus tard. C’est ce qui m’est arrivé ces derniers mois.» Vous avez-dit jésuite ?

 

Autant dire que le pape François fera très exactement ce qu’il a prévu de faire. En revanche on peut s’attendre à ce qu’il illustre, une nouvelle fois, la parfaite maîtrise qui est la sienne de cette communication non-verbale qui est aussi Parole d’Eglise et qui, depuis son élection, est reçue par beaucoup comme une grande espérance.

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

7 comments

  • Comme Vatican II par rapport à la Tradition, je ne crois pas qu’il faille parler de rupture; pour ma part, j’ai un grand respect pour Benoît XVI qui, sur certains dossiers, a eu le courage de les faire aboutir alors qu’on les avait laissé dormir avant (pédophilie, Légionnaires,…). Tout autant, la qualité de ses textes, très pédagogiques et revenant au fond, refusant entre autre le relativisme.

    J’ai lu l’interview de François comme les paroles d’un pasteur et c’est sans doute ce qui le fait percevoir par certains comme le signe d’une rupture; dans la communication, peut-être.

    Mais je ne crois pas qu’il y ait de différence sur le fond, la façon de les aborder l’étant elle.

  • Pastoral, vous dis-je pastoral, voilà le mot magique pour faire comme si rien ne changeait jamais. Pas de rupture parce que « c’est pastoral », c’est un pasteur, ce sont « des paroles de pasteur ». Cf le commentaire de Régis de Berranger.
    C’est d’ailleurs aussi ce qui s’est passé avec Jésus, pas de rupture avec le judaïsme, juste une parole de « bon » pasteur.
    Merci René, pour le moins, on s’amuse! Et il avait longtemps qu’un pape ne nous avait pas donnée des occasions de rire.

  • Très juste, mon cher René.
    Je souscris complètement à ton propos pertinent.

    L’Église remet un peu d’ordre dans les priorités.
    Pour le dire brutalement : un peu plus d’Évangile et un peu moins de dogmes. Un peu plus de miséricorde et un peu moins d’interdits. Un peu plus d’amour et un peu moins de règlements.

    Ça fait du bien.

    En revanche, ceux qui privilégient, semble-t-il, le respect de la lettre à l’esprit de la loi, répètent à l’envi depuis la publication de cet entretien que non, non, rien n’a changé.
    Il n’y aurait que les médias, qui ne comprennent jamais rien à l’Église, et quelques catholiques de gauche, forcément de gauche, pour croire que François parle autrement que ses prédécesseurs.

    Curieuse attitude.

    Si les paroles du pape rencontrent un plus large écho et, surtout, un écho plus favorable, pourquoi minimiser le phénomène ?
    Comme s’il fallait, par pur dogmatisme, préférer la tradition immobile au mouvement incontrôlable du Verbe.

    Dans le fond, l’essentiel n’est pas là. Mais dans l’annonce du message évangélique.
    Si la parole du Christ devient plus audible, grâce au pape, soyons heureux.
    Ne boudons pas notre joie. N’en déplaise aux grincheux.

    • Tout à fait d’accord avec vous, François – comme bien souvent…- à ceci près toutefois aujourd’hui: ce n’est pas encore l’Église qui remet un peu d’ordre dans les priorités, mais le pape! La question reste de savoir s’il, et quand, il sera suivi.
      En tout état de cause, ce qui est dit est dit et ce n’est pas la moindre des choses lorsque l’on sait l’importance que notre société contemporaine attache au verbe. Les paroles du pape François, parce que paroles d’Évangile, sont déjà libératrices pour beaucoup.
      J-C.H

  • Réflexion intéressante, je me permets seulement cette remarque : si les gens de la rue voient surtout les chrétiens comme des moralisateurs, c’est peut-être aussi parce que les médias ne s’intéressent à eux que sur ces sujets. Il suffit de voir ce que les journalistes retiennent d’un discours du pape.

    Je crois également que certains théologiens, comme Xavier Thévenot, ont fait beaucoup de mal en faisant croire que la morale était seulement un ensemble de préceptes, et que les préceptes « romains » n’étaient que des idéaux inaccessibles.

    • Pascal, vous ne serez pas surpris que je sois, une fois encore, en désaccord. Je tiens Xavier Thévenot pour un grand théologien moraliste. Il nous a fait sortir d’une lecture « idéaliste » de la morale en prenant en compte les acquis des sciences humaines qui nous invitent à toujours resituer les « interdits » dans le contexte historique qui a présidé à leur élaboration. Et j’observe que le pape François nous invite à aller dans ce sens lorsqu’il déclare : « Ainsi, la compréhension de l’homme change avec le temps et sa conscience s’approfondit aussi. Les exégètes et les théologiens aident l’Église à faire mûrir son propre jugement. Les autres sciences et leur évolution aident l’Église dans cette croissance en compréhension. » Ce qui le conduit sur l’homosexualité, à ce propos dont je devine qu’il doit vous chagriner :  » Lors de mon vol de retour de Rio de Janeiro, j’ai dit que, si une personne homosexuelle est de bonne volonté et qu’elle est en recherche de Dieu, je ne suis personne pour la juger. Disant cela, j’ai dit ce que dit le Catéchisme. » Ca, c’est du Thévenot ni plus ni moins !

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