Nucléaire : choisir les yeux ouverts !

Je ne sais s’il faut organiser dare-dare un referendum sur le nucléaire. Mais se contenter de nous dire qu’il est forcément inoffensif puisqu’il nous est nécessaire me semble ressortir d’une (fausse) tautologie totalement tintinesque !

Que les écologistes français en rajoutent dans l’exploitation du drame qui semble se jouer au nord du Japon, sans doute ! Mais, pourrait-on dire, c’est de bonne guerre. Je ne suis pas écolo au sens idéologique du terme. Mais je dois avouer mon irritation, depuis les récents événements, à entendre de bons esprits nous expliquer que le nucléaire reste sans danger, que la France maîtrise parfaitement la technologie et que ce qui arrive au pays du Soleil Levant ne saurait se reproduire chez nous. Et grand Dieu, par quel miracle ?

Le plus insupportable est l’argumentation qui nous est opposée. Ici, on nous explique que le nucléaire est devenu à ce point indispensable au maintien de notre mode de vie, qu’il ne saurait… être dangereux ! Curieuse logique, assurément. Là, on nous assène benoitement que l’exploitation du charbon dans les mines et le creusement de forages  pétroliers a fait, à travers l’histoire, infiniment plus de victimes que n’en a jamais produit l’industrie nucléaire. Un ami journaliste explique sur son blog, dans le même esprit, que l’explosion de la navette Challenger ou le crash d’un avion de ligne n’a jamais empêché la Nasa de poursuivre son programme, ni les compagnies aériennes leur activité. Peut-être ! Sauf qu’on sait évaluer le risque d’un crash aérien : quelques centaines de victimes ; celui d’un coup de grisou : sans doute le même nombre de mineurs ensevelis… C’est une tragédie ! Mais circonscrite dans le nombre de victimes, dans l’espace et dans le temps. Qui peut nous dire le prix humain à payer pour l’explosion d’une centrale nucléaire, et dans quel rayon autour du site ? Qui peut nous dire ce que deviendront les milliers de tonnes de déchets ensevelis dans des conditions de sécurité impossibles à évaluer puisque, par définition, nous n’avons aucun recul ? Nous refera-t-on le coup des frontières étanches ? Tchernobyl est encore présent à nos esprits. Certaines estimations chiffrent à 60 000 le nombre de « liquidateurs » décédés, à la suite de l’explosion  et à 165 000 le nombre de ces mêmes liquidateurs handicapés à vie (sur les 600 000 engagés dans l’opération). On sait que l’OMS parle de 4 000 victimes… Qui a raison, qui à tort ? Mais qui peut soutenir que l’ampleur du drame qui s’est joué là ne tient qu’au nombre des morts ?

J’entends bien que la France est peu susceptible d’être confrontée un jour à un séisme d’une telle amplitude, à plus forte raison à un tsunami. Mais sont-ce là les seuls dangers possibles ? Je ne veux pas majorer le risque terroriste, mais il existe. Et qui peut nous assurer que notre pays, en paix depuis le second conflit mondial, ne sera jamais plus en guerre ? Que donnerait un tir de missile sur nos centrales ? Peut-être les experts ont-ils la réponse. Qu’y a-t-il d’inconvenant à la leur demander ?

Jeune journaliste dans les années soixante-dix, au plus fort de la contestation antinucléaire, je me souviens avoir interviewé un syndicaliste CFDT, ingénieur chez EDF. Son analyse était alors – il la partageait avec bien d’autres – qu’un pays se fragilisait à concentrer ainsi toute sa production énergétique en aussi peu de sites. Qu’un ennemi viendrait plus facilement à bout de quelques centrales que d’une centaines de barrages répartis sur le territoire… Idéologie ou simple bon sens ? La sagesse nous invite à ne jamais mettre tous nos œufs dans le même panier.

Comprenons-nous bien : je ne suis en train de plaider ici pour la fermeture de nos centrales. J’entends que le nucléaire fournit aujourd’hui 85% de notre électricité et que nous n’avons connu aucun accident majeur dans l’hexagone. Mais le Japon non plus… jusqu’à ce jour ! A l’heure où le vieillissement de nos centrales pose la question de leur renouvellement, est-il illégitime de se demander si d’autres choix, complémentaires ou substitutifs, ne pourraient pas être engagés ? Est-il irresponsable de se demander les raisons du volte face gouvernemental concernant l’énergie solaire qui déstabilise nombre de ménages ayant investi sur cette énergie propre, et toute une filière industrielle fabriquant des panneaux photovoltaïques aujourd’hui menacée ? Est-il utopique de nous demander, avec le pape (Caritas in veritate) et le Conseil Famille et Société de la Conférence des Evêques de France (Grandir dans la Crise)* si un autre modèle de croissance et de développement, plus sobre en énergie, ne nous permettrait pas « d’être davantage », au risque, peut-être de consommer moins ou différemment ?

Si un débat peut nous aider à éclairer ces différents points, au nom de quel principe nous l’interdire ? Si la démocratie est en crise dans notre pays, c’est bien parce que sur tout sujet, le pouvoir nous explique toujours que la question est trop complexe pour échapper à l’arbitrage des seuls experts. Et que les seuls réellement compétents sont, comme par hasard, ceux d’EDF et d’AREVA dont l’intérêt est précisément de nous « vendre » le nucléaire !  Le choix officiel de la France est qu’il y a plus gagner qu’à perdre à faire le choix du tout nucléaire. Et qu’il nous faut, dès lors, assumer le risque, même théorique, d’un accident majeur. Que seuls des irresponsables et des démagogues peuvent prétendre le contraire. Les  événements dramatiques que vit aujourd’hui le Japon nous permettent d’affirmer – me permettent d’affirmer – que dans une démocratie, sur des questions aussi cruciales, les citoyens ont le droit d’être informés, de débattre et de trancher. N’en déplaise aux « réalistes ».

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* Grandir dans la crise, Bayard/Cerf/Fleurus-Mame, 100p.; 5€

3 comments

  • Que ces choses méritaient d’être dites, cher René. Merci.
    Je n’en ajouterai qu’une seule : l’augmentation de la radioactivité générale dans le biosystème de la planète a un impact sur toutes les formes de vie, pas seulement l’espèce humaine. Certes certaines, telles les insectes, sont plus résistantes. Mais cette augmentation de la radioactivité peut durer longtemps, très longtemps (le césium 135 a une période radioactive de 2,3 millions d’années). Qui peut bien dire comment la biosphère va se comporter sur de si longues durées ? Le ciel y pourvoira-t-il tout seul ou devons-nous l’aider ?

  • Ingénieur j’ai été confronté à ce type de problématique (déchets industriels dangereux, incinérateurs de grandes agglomérations).
    Deux observations me semblent importantes:
    – Oui, le pb majeur est celui des modes de vie, consuméristes et gaspilleurs (« L’art du gaspillage » Vance Packard, Calmann-Lévy 1962, coll dirigée par R. Aron). Depuis sa publication (1960 Etats-Unis) les méthodes de gaspillage intensif se sont perfectionnées, ont imprégné finement les institutions et les textes (ONU est ses orgnes spécialisés, OCDE, UE). Que je sache, la promotion de la frugalité n’est faite que de manière schizophrène: on en parle, on l’invoque, et les actes montrent le contraire. Il s’agit pour la sensibilité écologique commune (nous le sommes tous) des redoutables pbs de l’emploi et de la transition d’une logique à une autre.
    – La durée de vie des centrales est un pb lié à la qualité de l’entretien, en particulier préventif. Les incinérateurs ont été longtemps considérées, en France, comme ayant une durée de vie modérée (25 30 ans) pour une disponibilité annuelle limitée à 6000h. La généralisation de la récupération d’énergie a fait prendre conscience qu’avec une disponibilité de 7500h, le vieillissement était moindre à condition de faire des arrêts moins fréquents mais plus longs ( préparés programmés); ainsi, une durée de vie de 50 ans et plus est raisonnable. En fait, souvent ce genre d’installation se retrouve obsolète plus du fait des évolutions scientifiques, technologiques et réglementaires, que du fait d’une inaptitude à faire ce pour quoi elle a été conçue, à un prix raisonnable.

    Pour finir, notre chère Eglise peine à prendre le virage de l’après communisme et se crispe face à l’inéluctable poursuite planétaire d’une sécularisation qui peut se faire sans affecter la transmission religieuse -à condition de s’adapter à temps, d’accompagner guider le mouvement au lieu de chercher à s’y opposer au risque de se perdre!-. A côté, la question de la frugalité fortement liée à celle des inégalités de richesses mérite une grande attention et devient urgente.

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