Jean Sulivan est mort il y a quarante ans ! Un livre hommage nous restitue la figure de ce prophète des temps modernes.
Prêtre-écrivain, tout à la fois romancier, poète et essayiste publié chez l’un de nos plus prestigieux éditeurs, Gallimard, Jean Sulivan a marqué se son empreinte des générations de jeunes catholiques. Parce qu’ils ont trouvé en lui, à travers une écriture de feu, une invitation à briser tous les carcans, y compris celui de la religion, pour redécouvrir leur liberté intérieure d’enfants de Dieu et oser une parole personnelle qui, à son tour, puisse se révéler libératrice pour d’autres. Le livre hommage que publient les éditions L’enfance de l’arbre (1) regroupe, notamment, une soixantaine de témoignages qui attestent, pour aujourd’hui, de la force de l’œuvre. (2) Et invitent à « Croire à une Eglise qui ne commencerait pas par se méfier de la liberté intérieure des «“chercheurs de Dieu“ » (3)
Joseph Lemarchand est né en 1913, dans une famille bretonne. Ordonné prêtre en 1938 il devient aumônier d’étudiants puis professeur de lycée à Rennes, en même temps qu’animateur du cinéclub « La chambre noire ». Mais une profonde crise existentielle lui fait prendre du champ par rapport à son statut clérical, même s’il ne sera jamais en rupture avec son Eglise. C’est en 1958 qu’il publie son premier roman Le voyage intérieur. Sa bibliographie compte une trentaine d’ouvrages. A la question : « Comment êtes-vous devenu écrivain ? » il avait coutume de répondre : « Quand j’en ai eu assez d’être prêtre. » « Ecrire, commente Jean Lavoué qui édite l’ouvrage, pour se défaire de la dépouille de feu l’abbé Joseph Lemarchand. »
Susciter des hommes libres
En ces années de pré-Concile Vatican II (4) Jean Sulivan vit l’expérience douloureuse d’une Eglise qui lui semble n’avoir plus de connexion avec la vraie vie des gens. Parce qu’elle est enferrée dans le conformisme, la morale, la doctrine, les rites. Aux antipodes de ce qu’il perçoit des Evangiles. Avec ce paradoxe, que ses contemporains parmi les plus généreux vont désormais chercher dans l’athéisme l’expérience de libération à laquelle ils aspirent alors même qu’elle est au cœur du message chrétien. De sorte que la « liberté des enfants de Dieu » ne lui semble désormais accessible qu’à ceux qui acceptent de vivre leur foi « en exilés » Ce sera son choix.
En avril 1961, présentant l’un de ses ouvrages (Ligne de crête), le journaliste Henri Fesquet alors chef de rubrique religion au Monde écrit : « D’une plume légère, (Jean Sulivan) dessine avec talent le visage d’une foi vivante, personnelle et adulte, capable de tenter les esprits » rebelles » et » solitaires « . C’est pour eux en effet que ces pages ont été écrites afin de les aider à découvrir, au delà de certaines apparences trompeuses, que » l’Église n’a pas été faite pour conduire des hommes domptés, mais pour susciter des hommes libres « . La plume de Sulivan ne sera pas toujours légère, car l’histoire des hommes est souvent tragique, le romancier en sait quelque chose, mais tout est dit.
Sulivan est convaincu que si « On reçoit sa langue, on crée sa parole ». Ce qui est également vrai pour la vie de foi. Si sa parole, à lui, devient libre, ce n’est pas pour s’ériger en maître, mais pour éveiller chacun de ses lecteurs à sa propre liberté. D’ailleurs, leur dit-il : « Tout ce que j’ai à vous dire, vous le portez déjà en vous ». Et d’ajouter : « Soyez ce que vous êtes et l’autre, peut-être, sera conduit à devenir ce qu’il est. »
Soixante lecteurs témoignent de leur rencontre avec Sulivan et son œuvre
On comprend aisément qu’au tournant des décennies 60-70, dans un monde en pleine effervescence, la découverte d’une telle pensée ait pu bouleverser de jeunes adultes en quête de sens à donner à leur vie. D’ailleurs, Sulivan écrit lui-même : « Le seul lecteur qui compte est celui qui, lisant un livre, soudain blessé par l’amour, prend feu et devient apôtre. Tant qu’un écrivain n’a pas trouvé dix ou cent lecteurs comme celui-là, il reste infirme, même s’il tire à cinq-cents mille. » Les soixante lecteurs et lectrices qui, dans cet ouvrage, témoignent de ce que la rencontre de cette œuvre a représenté pour eux, illustrent à merveille combien Sulivan fut un « éveilleur ». Ce qui donne raison à Christian Bobin lorsqu’il écrit : « Un vrai livre, ce n’est pas quelqu’un qui nous parle, c’est quelqu’un qui nous entend, qui sait nous entendre » (5) A lire ces soixante témoignages, on pouvait craindre les redites. Pourtant, rien de tel, sinon une commune dette de reconnaissance à son endroit, que chacun formule néanmoins avec ses mots personnels tirés de sa propres expérience.
Le plus déroutant, à la lecture de ces pages – parce que ce n’est pas ce que spontanément on imaginait – est que ce caléidoscope précise moins le portrait de l’auteur qu’il ne décrit la richesse de son héritage. Et l’on imagine que Sulivan en aurait tiré quelque malicieuse satisfaction. Au terme de cette plongée, c’est une confidence de mon fils qui m’est revenue à l’esprit. Je l’entends encore me dire, au soir d’un anniversaire “décimal“ qui avait rassemblé autour de moi nombre de mes amis : « Je suis un peu jaloux de savoir qu’ils te connaissent depuis plus longtemps que moi. » J’espère une semblable réaction de la part de nombreux lecteurs de ce livre, nourrissant leur désir d’aller plus loin dans la découverte de Sulivan et de son œuvre.
Moi, lecteur de la onzième heure
Je dois ici un aveu aux lecteurs de ce blog : bien que son nom me fût familier, je n’avais jamais lu Jean Sulivan, lorsque me fût proposé, au printemps dernier, de m’associer à cet hommage. Que faire : me rattraper en cachette au risque du mensonge, décliner l’offre ? Ou me risquer à incarner le “lecteur de la onzième heure“ ? C’est ce que j’ai finalement décidé en accord avec l’éditeur. Il fallait opérer un choix. J’ai retenu l’alpha et l’oméga de ses écrits qui ouvrirent mes lectures de l’été : Le voyage intérieur (1958) son premier roman et L’Exode (1980), son dernier livre, sorte de testament spirituel ; avec en prime, pour meubler l’entre deux, Petite littérature individuelle (1971) où il développe un thème qui m’est cher : l’écriture !
Et je le dis dans ma contribution : ma joie et mon étonnement furent grands, de découvrir une telle proximité de pensée avec ce que j’ai pu exprimer moi-même, il y a un an, dans mon livre « Catholique en liberté », sans m’être jamais nourri de sa pensée. A croire qu’inconsciemment j’avais fait mon miel de rencontres et de lectures qui lui étaient redevables. A moins que François Mauriac n’ait raison lorsqu’il écrit dans sa Vie de Racine : « L’individu le plus singulier n’est que le moment d’une race ! » Peut-être Sulivan, avec une musicalité qui lui est propre, à travers une parole singulière, fut-il le témoin d’une génération qui, à ce moment précis de notre longue histoire, ne pouvait que porter l’exigence d’une parole libre contre les prêts à penser institutionnels.
« Ne vous effrayez pas, croyants de toutes races… »
Autant dire que son plaidoyer n’a pas pris une ride. Et que quarante ans après sa mort, on a le sentiment d’une pensée prophétique pour notre temps . Un temps qui, concernant l’Eglise, est aussi un temps de crise. Sans doute par incapacité, pour elle, d’affronter l’exigence d’une nouvelle inculturation dans le monde contemporain dont Vatican II, quoi qu’en pensent aussi bien ses chantres que ses détracteurs, ne fut qu’une timide esquisse. Et ce n’est pas la moindre de mes surprises d’avoir trouvé, dans un portrait de l’auteur en date du 13 juillet 1968 (trois ans seulement après la fin du Concile) l’évocation qu’il faisait déjà des « généreux bergers » (les Pères conciliaires) qui n’avaient pas perçu que « le temps qu’ils ont mis à faire dix pas, les hommes vivants se sont éloignés de cent. » (6)
Longtemps homme d’exil au sein même de son Eglise, par exigence de fidélité à l’Evangile, Sulivan allait découvrir que son espérance était proche de celle de l’Exode (titre de son livre ultime). Et que c’était là une espérance pour tout homme en marche, même par temps d’effondrement : « Quand la parole d’Exode n’est pas entendue, elle surgit d’ailleurs, là où l’on ne l’attend pas. Dieu parle n’importe où. Dieu n’a pas notre respect du sacré. (…) Quand ceux de votre clan n’ont plus rien à vous dire, quand rien ne vous dit plus rien, ne vous effrayez pas croyants de toutes races, agnostiques, athées : une autre parole cherche passage. » (7)
- Avec Jean Sulivan, dans l’espérance d’une parole. Ed. L’enfance de l’arbre, 2020, 380 p. 20 €. Le livre peut être commandé en librairie ou directement chez l’éditeur : L’enfance de l’arbre, 3, place Vieille Ville, 56700 Hennebont. Joindre 3,50 € de frais d’expédition pour un exemplaire, 6,50 € pour deux exemplaires, gratuit à partir de trois. https://www.editionslenfancedesarbres.com/
- A l’invitation de l’éditeur Jean Lavoué, je figure parmi ces contributeurs, au côté d’une dizaine d’amis : Michel Cool, Guy Coq, Claude Goure, Jean-Claude Guillebaud, Marc Leboucher, Paul Legavre, Guy Legrand, Robert Migliorini, Bertrand Révillion et Robert Scholtus.
- Bertrand Révillion, p. 135
- C’est en 1959 que le pape Jean XXIII annonce la convocation d’un concile œcuménique qui se tiendra à Rome, en quatre sessions, de 1962 à 1965.
- Christian Bobin, Autoportrait au radiateur, Ed. Gallimard, 2000.
- Portrait par Henri Guillemin, p. 59
- Jean Sulivan, L’exode, Gallimard 1980, p.139 et p.34
Photo © Nathalie Poujol
PS. Je suis bien conscient que c’est la consonne « d » et non le « t » qui termine le patronyme de l’auteur, ce qui jette quelque suspicion sur la pertinence de mon titre (le marchant n’est pas le marchand). Mais comme pour les Dupont-Dupond des albums de Tintin, la sonorité est la même. Et avouez que voir un écrivain plaider avec une telle passion pour que chacun sorte de son immobilisme et se mette en Exode, alors qu’il se nomme Lemarchand, a de quoi exciter l’imagination ! Pardon pour les puristes ! Je n’ai pas résisté !
petit texte de Jean Sulivan
On nous a mis dans la tête que le but de la vie, c’est de réussir en occupant des fonctions, en gagnant beaucoup d’argent, en acquérant du prestige
Ce n’est pas vrai: le but de la vie c’est de rajeunir.
Chaque homme naît vieux, emmailloté dans des mots, des préjugés qu’on lui inculque .Devenir jeune, c’est se libérer des entraves de la peur, ne plus céder aux pesanteurs sociales, devenir joyeux, même avec ses cicatrices.
Le plus grand service que nous puissions rendre à la société, ce n’est pas de réussir, d’acquérir de la considération, c’est de devenir libres et joyeux.
Toute la nature en qui nous sommes immergés nous rappelle que nous ne sommes qu’un passant sans demeure éternelle ici. Que lrien donc ne doit être pris au tragique, que l’essentiel est de survivre, c’est-à-dire de faire exister ce qui est immortel en nous.
( Jean Sulivan 1913-1980)
Prêtre
« Souriez à ce qui naît », écrivait Jean Sulivan vers la fin de « Itinéraire spirituel ».
Enraciné, Jean Sulivan. Ecrivain de quelque part.
D’autant plus « raciné profond » qu’il est conscient
que nous sommes « entrés au désert de l’âme »
et qu’il lui faut ouvrir la terre, entendre une parole d’où pourrait jaillir une source…
Haut souvenir de l’homme Sulivan, et de l’oeuvre.
Si vous n’avez jamais plongé dedans allez-y sans mesure.
Une nourriture. Sans jamais être prétentieux, ce qui est rare dans le milieu (clérical et littéraire).
Je dois avouer que c’est à Jean Sulivan que je dois d’être resté dans l’église catholique .catholique .
A l’heure des choix lorsque l’on entre dans son âge d’homme , la découverte de son œuvre m’a permis de comprendre qu’entre les adhésions de connivences et les rejets de principe , démarches opposées relevant d’une même logique , il y avait la voie exigeante et sans illusions sur soi même d’un chemin spirituel sur le quel les « étiquettes » d’appartenance proclamée n’ont plus de sens .
« Hommes sans loi, ils portent leur loi en eux , non écrite plus exigeante que vos codes « (Matinales)
Toute ma vie , l’oeuvre de Jean Sulivan a balisé mon chemin .
Aussi ce fut pour moi une grande joie que Jean Lavoue me propose de participer à cette œuvre de reconnaissance collective ; j’ai pu enfin signifier tout ce que mon chemin de vie doit à Jean Sulivan .
« Gais encore qu’ils marchent à l’obscur….Qu’ont ils à voir avec Jésus ? Je ne sais….mais le ton d’une voix, tel geste , un regard , un repas pris ensemble, un geste qui signifierait »
Ps :Dans sa contribution Jean Debruynne rappelle qu’il a rencontré Jean Sulivan chez mon oncle Jean Pierre Bagot , autre homme libre , prêtre, traducteur du tome 2 des mémoires de H Küng et surtout de l’œuvre d’E Drewermann .
La chaîne invisible qui relie ceux qui se rejoignent sur le chemin de » l’Exode » (dernier livre de Sulivan . )
Sans vouloir offenser qui que ce soit je voudrais souligner que cette « épouvantable » église ante-conciliaire qu’on se plait à vomir avec un entrain admirable c’est quand même elle qui nous a fait connaître Jésus
C’est bien Dominique, on vous retrouve tel qu’en vous-même !
Ben oui, l’Eglise de mon enfance était pleine de défauts,je ne le conteste nullement,il n’empêche que c’est bien grâce à elle (et d’autres bien sûr) que le christianisme a continué de se développer .
A lire certains on dirait qu’avant le Concile nous étions dans l’obscurité la plus totale et que depuis nous sommes passés à la lumière.
Le Concile a remédié à certaines défaillances parfois très graves d’ailleurs et heureusement,Pour autant l’Eglise continue de boîter de façon différente sans doute mais boîte toujours et je crains fort que cela dure encore longtemps…
L’Eglise d’avant Vatican II était pleine de défauts et l’Eglise d’après Vatican II aussi, notamment sur le plan liturgique dans les années 60 et 70.
Mon itinéraire est bien différent de celui de Sulivan et de celui de la plupart des contributeurs de ce blog.
Il m’a fallu le détour par les liturgies orientales puis la rencontre d’un ami aveyronnais de René pour retrouver humblement notre Eglise, la richesse et la justesse de la liturgie quand elle est au service de la Parole de Dieu, car rien n’est plus urgent et plus important que de porter et de faire résonner cette Parole de Vérité et de Vie ; ainsi comprise, la liturgie prend sens ; elle devient joie et consolation, elle reconstruit l’homme en l’unifiant et en l’orientant vers son Dieu qui se fait proche de ceux qui le cherchent et qui l’invoquent.
Merci pour cette rencontre avec Jean Lavoué et Joseph Lemarchand même si j’ai vaguement entendu parlé de J. Sulivan, je n’ai encore rien lu de lui.
Ces rencontres m’ont conduit à lire l’article de Jean Lavoué (Ouest France 21/10/2020), qui aborde les causes de la crise existentielle de 1958, puis le passionnant « Ab-Christianisation. Écarts et départs dans le clergé breton (1960-1990) » de 2012 par l’historien breton Yvon Tranvouez*, dont Joseph Lemarchand. Passionnant travail qui montre la diversité des parcours, évoque l’instant où « ça » commence à tanguer et la place de la question matérielle (de quoi vivre). J’en suis enfin passé à l’ouvrage de Jacques Lagrove « Appartenir à une institution. Catholiques en France aujourd’hui » (Paris, Economica, 2009) dont la recension** » se termine par la citation de la phrase finale du livre: « Face à une uniformisation qui enlève toute portée à [la] “diversité”, c’est-à-dire aux conflits légitimes […] la “sortie de crise” ne peut être que l’exclusion de fait, ou le départ sur la pointe des pieds, de celles et de ceux qui ne se croiront plus entendus et respectés. »
Écrivant ce qui précède j’ai en tête des témoignages de prêtres restés et partis, ceux publiés de Jean Massin (parti 1952), Gérard Loizeau (parti 1978), Gérard Bénéteau (resté) et d’autres reçus à titre privé (1 parti en 4ème année de grand séminaire au Canada en 1958, ordonné 20 ans plus tard dans une église orthodoxe, un autre parti après la crise de 1964, qu’il a vécue de l’intérieur, quia marqué le désaccord profond entre les équipes nationales MRJC et JEC et l’épiscopat.
Je dois un peu à toux ceux-là d’être encore catholique … « parti » selon l’institution.
* file:///C:/Users/user/AppData/Local/Temp/ETHN_124_0761.pdf
** https://www.cairn.info/revue-francaise-de-science-politique-2011-2-page-322.htm
Je ne voudrais offenser personne et ne connais pas Jean Sullivan.
Bien qu’appartenant, je pense, à la génération de la plupart qui participent à ce blogue, j’étais trop jeune au moment de Vatican II, ne me suis pas absolument pas intéressée aux suites de ce conciles, trop occupée par les luttes syndicales et politiques des années post 68, comme beaucoup de jeunes de ma génération.
Mais je me demande comment on peut rester dans l’Eglise, tout en voulant devenir des « hommes libres «, à moins de faire sa propre religion, en prenant ce qui semble juste et en délaissant le reste. Cela me semble bien ambiguë…
Et, au nom de quoi, délaisser le reste dont les rites ou autres « carcans « qui peuvent faire sens pour beaucoup de croyants tout aussi respectables ?
En disant cela, je ne vise pas le statut du prêtre, la place de la femme etc…mais les sacrements qui ont un sens spirituel. Sinon, on peut toujours se tourner vers d’autres spiritualites…
Et la dimension verticale de la foi me parle bien davantage…car elle est rencontré avec Dieu tout à la fois transcendant et immanent.
Quant à l’Eglise, je lui sais gré d’avoir transmis un message de haute spiritualité inspire de l’Evangile, bien que j’ai perdu toute confiance en elle. Elle reste donc à la fois un beau souvenir et une source de déceptions et de souffrances.
Bref, je suis perplexe…, sans vouloir, encore une fois, offenser personne.
Mais je pense que vous n’offensez personne. Une phrase de Jacques Madaule, écrite à la mort de Suliva, pose bien le dimemmne de ce que fut sa vie et avec lui de millions d’hommes et de fmmes sans doute : « Comment concilier la liberté des enfants de Dieu et la fidélité à l’Eglise ? » Je serais tenté de dire : à chacun de construire sa réponse en toute loyauté ! Il ne s’agit pas de prendre ce qui nous agrée et de laisser ce qui nous déplait. Mais, en bonne théologie, de savoir déjà distinguer l’essentiel de l’accessoire ; et de continuer à creuser l’intelligence de la foi qui, Dieu merci, est l’expérience même de l’Eglise depuis ses origines.
On peut très bien respecter la « religion populaire » (je ne dis pas tolérer mais bien respecter), la foi du charbonnier qui était celle de mes grands parents et aspirer pour soi-même à une autre forme de spiritualité. Et accepter la transdendance divine sans se croire obligé de rendre un culte aux serviteurs de Dieu.
Tout cela repose sur de fausses oppositions. Oui, il y a place pour le doute et les questionnements dans la foi. C’est même le cœur de l’aventure spirituelle. Je dirais presque : son critère d’authenticité.
Merci pour votre réponse.
Je vais y réfléchir…
J’adresse un merci à Marie-Christine pour son commentaire dans lequel globalement je me retrouve. Et j’adresse le même merci à René pour sa réponse qui offre de pertinentes interpellations que je qualifierai d’inspirées, parce qu’elles ouvrent plus qu’elles ne jugent ou enferment.
(Je précise que je ne connaissais pas non plus Jean Sullivan)
Vous semblez parler de la « religion populaire » en vous en défiant quelque peu (peut-être que mon verbe est mal choisi, et excusez m’en).
Il me semble que la religion populaire est celle par laquelle s’exprime la foi des pauvres du monde.
Dans notre pays, la France, bien des personnes très pauvres n’ont que cette manière de s’exprimer. Elles y trouvent la liberté, et aussi une libération de ce qui les enferme.
« Ce que tu as caché à des sages et des instruits, tu l’as révélé aux tout petits » (Mt 11, 25), en comprenant bien que les « népioï » dont il est question ce sont ceux qu’on prend pour des enfants, ceux qui sont dépendants, ceux qui sont mal vus par et exclus de la communauté.
Il faudrait réhabiliter la « religion populaire », me semble-t-il.
Ce qui n’empêche pas du tout à tout un chacun de suivre sa recherche personnelle, et de ne pas « pratiquer » cette religion populaire. À chacun sa route, – mais pour autant je ne prône pas le « relativisme » comme aurait dit Benoît XVI. Non, pas du tout. Simplement laisser sa place aux très pauvres, leur laisser la place et la parole, puisqu’aussi bien nous avons à apprendre d’eux. (Développer nous mènerait plus loin).
Il faudrait affiner ce que j’écris, sans doute, ou en écrire plus au long.
Mais je pense que vous comprenez ce que j’écris. Et que ce n’est pas polémique sous ma plume.
Bien à vous en tout cas, et merci de votre clarté et bienveillance.
« Réhabiliter la religion populaire » , riche idée assurément, mais le problème c’est que certains par excès de zêle à la suite du Concile ont voulu la bannir du jour au lendemain et ont fait fuir les classes populaires. Le résultat c’est qu’effectivement les futurs prêtres sont pour la plupart issus de la bourgeoisie plus ou moins aisée. Il est vrai cependant que certains malgré leur origine bourgeoise on ne peut plus évidentes arrivent tout de même à se faire apprécier de gens très simples
A René Poujol :
Je vous relis et je constate que je vous avais lu un peu trop vite !
Vous écrivez bien : « respecter la religion populaire », et vous précisez : »non pas seulement tolérer »).
D’accord donc.
Oui, j’avais noté aussi cet « écart » dans la compréhension.
Sur « religion populaire » j’ai connu un médecin ami de G. Marchais très impliqué dans la vie sociale et sanitaire d’Ivry Sur Seine (avec entre autre Monique Maunoury)* au milieu de « gens » dont la « foi populaire » en le communisme et le catholicisme a été perturbée par le vieil épisode des prêtres ouvriersen France, comme ailleurs plus récemment avec la théologie de la libération qui, selon moi, ont été une des erreurs »Politique » (p majuscule) majeures commises par l’institution, du même ordre que celle commise au 19ème siècle envers la franc-maçonnerie, à l’autre « bout du spectre social ».
* « Un contrebandier d’idées: le docteur François Goust » pages 30 et 31 de « Ivry Ma ville, n°100 mars 1982 » https://fr.calameo.com/read/000008101e4193c7e1940.
J’ai, quant à moi, découvert Jean Sulivan à peu près en même temps que vous, René, voici un an ou deux. Un ami me l’a fait connaître, frappé par la similitude de nos interrogations – bien modestes me concernant, et pourtant souvent déchirantes – à nous trois.
Voici ce qu’il écrit dans Matinales :
« J’essaie seulement de vous orienter vers ce lieu qui n’est pas un lieu, qui vous est inconnu comme à moi, qui fait peur, mais sans lequel nous ne saurions vivre, nous autres, n’est-ce pas, qui entendons parfois l’Evangile se parler en nous. »
Et encore :
« L’un des grands sages de l’humanité, l’inventeur du christianisme, a-t-il seulement jamais existé ? L’utopiste qui voit dans l’amour la fin ultime, la rédemption, le comptenteur du plaisir, le socialiste-prophète qui a su que les pauvres posséderont la terre, le consolateur des faibles, mû par le ressentiment, le Dieu qu’adore l’Eglise et dont elle s’est servie afin de justifier sa tentative de domination, temporelle quand les circonstances s’y prêtent, spirituelle dès que les commandes lui échappent : sa robe sans couture n’en finit pas d’être déchirée. »
Tout cela, intuitivement, me parle.
Je me sens assez décalée par rapport à vous tous qui prenez la parole sur ce blog plus légitimement que moi, me semble-t-il. En tout cas, plus savamment. Après avoir découvert Dieu, le Christ, et de ce fait de façon quasi automatique, l’Eglise, à l’âge adulte et bien après cette grande affaire de Vatican II, mon expérience de cette dernière (l’Eglise) s’est avérée en tous points dramatique, depuis le début.
Certes, on me l’a fait remarquer, sans l’Eglise je n’aurais pas connu la Parole. Mais je me demande souvent si ce n’est pas la seule chose – admirable, éblouissante – qu’elle m’ait transmise. Pour le reste, je suis comme Marie-Christine : ma perte de confiance en l’Eglise est totale. Cette Eglise qui s’est trouvée dans l’incapacité, et vraiment c’est peu dire, de faire advenir pour moi la liberté promise par le Christ, malgré le grand désir, le besoin vital que j’en avais. Et le Christ en dehors de l’Eglise, je perçois mal ce que cela signifie. Il y a là un incessant déchirement.
Jean Sulivan, qui n’a de fait jamais complètement quitté l’Eglise, tout en prenant ses distances, me semble brûlé par cette question… J’ai trouvé chez lui des pistes, des chemins faisant intimement écho en moi, pas de réelle réponse. En cela il m’apparaît juste et honnête.
Je ne sais si je suis claire, je suis en tout cas trop longue. Donc, merci René, pour votre belle invitation à lire ce grand poète et infatigable « chercheur » de Dieu.
Deux petites remarques me viennent à l’esprit en vous lisant :
La première : C’est assez récemment que je me suis rendu compte que nombre d’intellectuels français et non des moindres avaient été prêtres ou religieux et étaient sortis de l’Eglise au XXe siècle : sociologues, historiens, philosophes, psychanalystes, anthropologues … de renom incontestable pour beaucoup qui ont fait carrière dans l’Université, au CNRS et ailleurs. L’intellectuel important que fut Michel de Certeau, jésuite (un compagnon de route de François Roustang, l’auteur de l’article prémonitoire sur « Le troisième homme » (1966) qui sortira de la compagnie de Jésus peu après) s’est lui-même éloigné sans avoir quitté l’institution. Le bilan d’une telle échappée intellectuelle hors de l’institution cléricale est impressionnante et dit quelque chose aussi sur sa situation actuelle.
La seconde remarque : à mon avis, tout le monde n’est pas obligé d’avoir « la foi du charbonnier ». On peut s’échapper de l’Eglise et aller faire un tour au désert, c’est peut être même nécessaire pour prendre la mesure des questions que nous nous posons et des réponses correspondantes (et trop bien ajustées) que nous formulons : on constate alors que ni les unes ni les autres n’existent en dehors de l’histoire qui est la leur : contrairement à de nombreuses idées reçues (nous aimons la zone de confort qui est la nôtre), elles ne traduisent aucune forme d’intemporalité ou d’universalité. La question : Dieu existe-t-il ?, chaque être humain dispose-t-il d’une âme immortelle ? ou toute autre question que nous nous posons, sans même nous apercevoir qu’elles sont le produit exclusif de la culture chrétienne occidentale qui nous façonne depuis quinze siècles et encore aujourd’hui, ce sont des questions qui prennent tout leur sens ou leur valeur dans un cadre délimité et précis. Aucune culture (allons jusqu’au bout : aucune « foi ») ne peut concevoir les « vérité » qu’une autre a imaginées et sur lesquelles cette dernière a construit son propre monde et développé son intime conviction de l’homme. C’est la raison pour laquelle un échappement (même temporaire) peut être l’occasion d’une véritable exploration de soi-même. C’est en découvrant de l’intérieur que vous ne rejoindrez jamais un chamane bouriate ou même une « religion » définie généralement (et autoritairement) dans les critères occidentaux (depuis les grandes explorations à partir du XVIe siècle) que l’opération d’étiquetage qui vous a façonné (je parle pour moi) n’est pas « vraie » ou n’est plus « suffisante ». Il faut alors partir en voyage avec quelques lectures pour tout bagage.
« généreux bergers » (les Pères conciliaires) qui n’avaient pas perçu que « le temps qu’ils ont mis à faire dix pas, les hommes vivants se sont éloignés de cent. »
Quelqu’un d’autre a écrit que certains ont attrapé le rhume aussitôt que le pape Jean XXIII a demandé l’ouverture des fenêtres de l’Église, pour s’ouvrir au monde justement. Aussitôt Vatican II terminé, les fenêtres se sont refermées.
« Quand la parole d’Exode n’est pas entendue, elle surgit d’ailleurs, là où l’on ne l’attend pas. Dieu parle n’importe où. Dieu n’a pas notre respect du sacré. (…) Quand ceux de votre clan n’ont plus rien à vous dire, quand rien ne vous dit plus rien, ne vous effrayez pas croyants de toutes races, agnostiques, athées : une autre parole cherche passage. »
Je trouve ma consolation en cette citation de Jean Sulivan dans L’Exode. Car, je suis parfois dans un sentiment de culpabilité pour avoir publié KANISA. Vatican II n’aurait pas eu lieu
La lecture de Jean Sulivan a été, pour moi, « petit chrétien d’incertitude », selon la belle expression du même, absolument fondatrice. Elle m’a réappris à m’aimer, après trente années d’errance et de recherche. L’un des ouvrages qui m’a le plus marqué est son « Dieu au-delà de dieu », à propos duquel Gallimard n’avait pas remarqué que le second « dieu », sous la plume de l’auteur, ne comportait pas de .majuscule, ce qui, bien sûr, changeait tout ! Le même texte avait paru quelques années plus tôt, sous le titre de « Paradoxe et scandale », qui en disait long sur la démarche de Sulivan. Les citations sont innombrables, extraites de son oeuvre, qui pourraient, aujourd’hui, interpeler. J’en proposerai une, illustrant la sordide actualité de la planète : « La révolte ne peut naître que lorsqu’on est bien nourri, et la dignité ne commence qu’avec la révolte ».(In « D’amour et de mort à Mogador ».). Un regret cuisant : la disparition de l’Association qui a fait vivre son oeuvre et son nom.
Jean Sulivan, en effet, resté prêtre mais en « électron libre », ouvre un espace où la religion cède la place à la recherche de Dieu, la doctrine au renouvellement de sens, la réclamation et la revendication à l’accueil et à l’attente.
C’est moins rassurant, moins confortable, ça peut même être déchirant. Mais là il y a du souffle, du dépouillement, de la liberté, de l’espace. Ça respire.Toutes choses tellement difficiles à trouver – à voler ? – dans une Eglise qui se regarde le nombril de façon assez désespérante et ne supporte ni contradictions, ni critiques, ni questionnements. Et qui « tient » (plus trop bien) justement parce qu’elle est inamovible.
J’avais lu que l’Association avait disparu, mais ne m’en souvenait plus. C’est bien dommage. Où trouver du souffle à présent ? Le chemin est bien solitaire.
Anne, le problème , me semble-t-il, c’est que les confessions qui sont partisans du changement et l’appliquent en conséquence ne se portent pas mieux que l’Eglise catholique. Certes les Evangéliques ont actuellement le vent en poupe mais qu’en sera-t-il dans 20 ou 30 ans???
Oui Dominique, je le sais hélas ! Je pense que c’est l’institution qui fausse tout, spécialement en ce qui concerne les choses de Dieu. Elle fait perdre malgré elle le sens du nomadisme, du dénuement, du « pas de pierre oû reposer la tête » si chères au Christ, ou plutôt qui disent le Christ (cet « Evangile qui se parle en nous », écrit Sulivan, qui bat en nous comme un coeur) par leur vérité sans fards et sans barrière de sécurité. Je n’ai bien sûr aucune solution.
Pour mieux connaitre Jean Sulivan, voici une rencontre qui a eu lieu via Zoom ce mercredi 16/12, organisée par l’Abbaye de St Jacut et Jean Lavoué : témoignages, interventions, archives, etc.