Les rumeurs régulières sur une réintégration imminente des disciples de Mgr Lefebvre, laissent pour le moins perplexe…
(Avertissement : ce billet a été posté sur mon blogue, le 18 mai, sous le titre Intégration des Lefebvristes : (pas) demain la veille… Quelques messages reçus en privé m’ont donné à penser que ce titre n’était pas compris. Et notamment qu’il pouvait laisser entendre que je minimiserais le « risque » que malgré les contradictions et les freins que je signale, le pape François ne finisse, malgré tout, par officialiser une décision de réintégration qui ne serait pas – comme mon papier l’indique – sans conséquences objectives, ni sans réactions négatives de la part d’une partie du « peuple de Dieu ». C’est pourquoi, sans modifier le contenu de l’article que j’assume totalement, j’ai décidé d’en modifier le titre.)
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C’est devenu un véritable serpent de mer. Voilà des mois, pour ne pas dire des années, que des rumeurs venues de Rome laissent entendre l’annonce imminente d’une réintégration de la Fraternité sacerdotale Saint-Pie-X (Lefebvristes) dans le giron de l’Eglise catholique. (1) Certains avaient même avancé – en vain – la date du 13 mai dernier, à l’occasion du centenaire des apparitions de la Vierge à Fatima, connaissant l’attachement des traditionalistes à ce lieu de pèlerinage et à son message.
Vers une prélature personnelle aux pouvoirs élargis
Si un doute demeure sur l’échéance, une chose semble acquise : cette réintégration pendra la forme d’une prélature personnelle. C’est là une structure juridique, définie par les articles 294 à 297 du Code de droit canonique. Innovation du nouveau code promulgué en 1983, il semble que cette structure ait été fortement inspirée par l’Opus Dei qui en est, à ce jour, l’unique bénéficiaire. Encore faut-il bien comprendre de quoi il retourne. Vice-doyen de la faculté de droit canonique à l’Institut catholique de Paris, le père Cédric Burgun rappelle : « il s’agit là d’un statut canonique permettant à des prêtres ou diacres appartenant à une communauté pastorale et missionnaire particulière, présente en diverses régions dans un ou plusieurs pays, d’être rattachés non aux évêques dits «Ordinaires» des territoires diocésains où ils se trouvent, mais à un Prélat unique, nommé par Rome et ne rendant des comptes qu’à Rome, comme c’est d’ailleurs le cas de tout évêque. » (2)
Les textes fixant cette prélature personnelle seraient prêts. Ce qui contribue à nourrir, régulièrement, la rumeur d’une décision imminente. Pourtant une inconnue demeure qui ne serait pas sans conséquence. Des sources, proches du dossier, avancent que s’agissant le la FSSPX, les contours de la prélature personnelle auraient été modifiés, élargissant ses libertés. A ce jour, un évêque diocésain reste libre d’accueillir ou non une communauté dans son diocèse, même si, par la suite, sa «gestion» interne lui échappe. Les nouveaux textes ouvriraient le droit à une communauté bénéficiant d’une telle prélature personnelle de s’installer dans tout diocèse de son choix, sans accord nécessaire préalable de l’Ordinaire. (3) Avec quelles conséquences ? Nous avons posé la question au canoniste. Pour le père Cédric Burgun : « cette disposition, si elle était confirmée, représenterait une forme de «révolution» dans le droit canonique. Avec des implications à ce jour difficiles à évaluer. S’il est exclu, par exemple, qu’une telle communauté puisse s’approprier une église, même non-affectée, sans l’accord de l’évêque, elle pourrait très bien, par contre, construire un nouveau lieu de culte sur un terrain dont elle aurait fait l’acquisition en toute liberté. »
Les contours obscurs d’un «préambule doctrinal»
Pour l’heure, contrairement à ce qu’on peut lire ici ou là, ce ne serait donc pas la rédaction des décrets concernant la prélature personnelle qui ferait problème et retarderait la réintégration des Lefebvristes, mais bien l’acceptation par la FSSPX d’un «préambule doctrinal» qui, sous le pontificat de Benoît XVI, supposait la reconnaissance des textes du Concile Vatican II. Ce qui, on le sait, est impensable pour les disciples de Mgr Lefebvre. A Rome, Mgr Pozzo, Secrétaire de la Commission Pontificale Ecclesia Dei, chargée des relations avec la Tradition, reconnaissait en effet récemment : «La réconciliation se fera lorsque Mgr Fellay adhèrera formellement à la déclaration doctrinale que lui a présenté le Saint-Siège.»
La question reste néanmoins posée de savoir si, sous le pape François, les mêmes exigences de reconnaissance des textes du Concile figurent dans la déclaration doctrinale. Et il faut admettre que, sur ce point, les informations les plus contradictoires circulent. Au mois de juin 2016, la Croix faisait état d’exigences «revues à la baisse» de la part du Vatican. Le quotidien catholique rapportait des propos de Mgr Pozzi selon lequel l’acceptation du Concile ne constituait pas un «pré-requis» à cette reconnaissance. Selon lui, les difficultés de la FSSPX sur certaines questions : liberté religieuse, liturgie… n’étaient pas un obstacle.
Le pape François jugerait certains textes de Vatican II «non négociables»
Certes, on le sait, les Pères conciliaires ont tenu à différencier parmi les seize documents issus de leurs travaux : des Constitutions dogmatiques – sur l’Eglise ou la Révélation – qui n’ont pas le même statut qu’une Constitution pastorale comme «Gaudium et Spes» très critiquée en certains milieux, ou, à plus fortes raisons, de simples décrets – sur l’Œcuménisme par exemple – ou des déclarations, telles celles qui ont trait à la Liberté religieuse ou aux relations avec les religions non-chrétiennes.
Pour autant, des témoignages convergents donnent à penser que le pape François considère que certains acquis du Concile tels la liberté religieuse, l’œcuménisme ou le dialogue interreligieux, quel que soit le statut objectif des textes qui les définissent, restent des acquis «non négociables» de Vatican II. Quoi que puisse en dire par ailleurs Mgr Pozzo, ce qui n‘est pas fait pour clarifier la situation.
En fait, si aucun pape ne peut se résigner au schisme Lefebvriste, chacun réagit à sa façon et avec sa sensibilité. On sait le pape François particulièrement attentif au sort des fidèles rattachés à la Fraternité Saint-Pie X. C’est à leur intention qu’il a reconnu dans un premier temps la licéité des absolutions accordées par les prêtres de la FSSPX, puis celle de la célébration des mariages, selon certaines dispositions, déjà contestées au sein de la FSSPX. Une politique des «petits pas» d’autant plus délibérée, commentent certains observateurs, qu’en son for intérieur il ne croit pas vraiment à une réconciliation prochaine avec la hiérarchie de la FSSPX.
Une réintégration qui ne mettrait pas un terme au schisme
Dans l’avion qui le ramenait de Fatima à Rome, le pape François a déclaré qu’avec les Lefebvristes «les rapports actuels sont fraternels»… ce qui a encore relancé les spéculations. Sauf que les signes donnés par les intéressés sont plus contrastés ! Au mois d’avril 2016 le pape recevait au Vatican, et cela pour la première fois, Mgr Fellay supérieur général de la FSSPX. Signe évident d’apaisement. Quelques semaines plus tard, dans un communiqué, le même Mgr Fellay dénonçait «la grande et douloureuse confusion qui règne actuellement dans l’Eglise» et «jusqu’au pape lui-même», avant de préciser que la FSSPX «ne recherche pas avant tout une reconnaissance canonique, à laquelle elle a droit en tant qu’œuvre catholique.» Si une porte doit être ouverte ou fermée, il semble que la question soit momentanément tranchée !
Mais il faut aller plus loin. La difficulté majeure semble venir du fait que Mgr Fellay, qui poursuit malgré tout ses négociations avec Rome, est en fait très contesté dans ses propres rangs. Beaucoup lui reprochent des silences jugés impardonnables. Silences évoqués le 12 mai dernier sur un site intégriste, dans un article intitulé « Purge (encore!) dans la FSSPX » (4). Je cite « Silence avant, pendant et après le Synode sur la famille ; silence sur l’instauration d’un “divorce catholique » lors de la réforme des procédures de nullité de mariage ; silence sur Amoris Laetitia ; silence sur la réhabilitation de Luther et l’accueil solennel de sa statue au Vatican, le 13 octobre dernier. » Et le rédacteur de l’article de poursuivre : « La subversion vient de cette ligne libérale imposée depuis 2011 par Mgr Fellay, ligne qui l’emmène dans tous les reniements entrainant la FSSPX sous le joug des autorités conciliaires qui, quant à elles, n’ont changé en rien, c’est le moins que l’on puisse dire ! Mgr Fellay réalise tout simplement ce que lui-même a auparavant qualifié tant de fois d’opération suicide“.
On aura tout compris si l’on se souvient que le mandat de Mgr Fellay à la tête de la FSSPX se termine dans deux ans et qu’à cette date il n’a aucune chance d’être reconduit dans ses fonctions. Sa seule planche de salut serait, de fait, l’obtention pour la FSSPX d’une prélature personnelle qui lui donnerait, d’ici là, un statut officiel de Prélat. Sans doute le Saint-Siège a-t-il également compris qu’au-delà de ce délai, tout sera à reprendre à zéro ! Mais le risque est bien réel de voir la frange la plus dure de la FSSPX ne pas reconnaître ce statut octroyé par Rome et donc rester en dissidence. Osons cette évidence : quel que soit le volontarisme de Mgr Bozzo sur le dossier, il est probable que le pape François est parfaitement conscient que ce ralliement tant attendu – et peut-être nécessaire – ne mettra, en fait, aucun terme au schisme lefebvriste, les autres évêques de la Fraternité ne se considérant pas tenus par cet accord. Tout ça pour ça ?
Se réconcilier avec le pape… ou avec l’Eglise ?
Ajoutons à cela une ultime question, qui correspond au ressenti profond de nombreux fidèles laïcs mais sans doute aussi de prêtres et d’évêques. Si chacun peut souhaiter la fin d’une séparation, encore faut-il que les conditions du retour du fils prodigue soient parfaitement claires. Les Evangiles (Lc 15,21) rapportent ce propos du fils repenti au père qui l’accueille : « Père, j’ai péché envers le ciel et contre toi. Je ne mérite plus d’être appelé ton fils ». Difficile de lire dans la prose et l’attitude de la FSSPX l’esquisse de l’ébauche d‘une telle contrition. Peut-on imaginer qu’une réintégration puisse résulter d’un simple accord d’appareil «au sommet» entre le successeur de Pierre et le supérieur de la FSSPX ? S’il y a un jour réconciliation, ce qui suppose un vivre ensemble, ce ne pourra être qu’avec l’Eglise dans sa réalité tangible dont Vatican II nous enseigne qu’elle ne se réduit pas à la seule hiérarchie mais couvre l’ensemble du peuple de Dieu : pape, évêques, prêtres et fidèles.
Dans un article récent, le correspondant permanent de la Croix à Rome, rapportait les propos de la Commission Ecclesia Dei, selon laquelle la réintégration des prêtres et fidèles de la FSSPX serait une opportunité pour l’Eglise de France. « Combien reste-t-il de pratiquants en France ? 4 % ! Les 150 000 fidèles de la Fraternité sont de vrais soldats du Christ : pour une Église de France qui a du mal à dire la vérité de la foi, ils seront une vraie force militante. » Avant d’ajouter, sans doute pour faire bonne mesure, que les lefebvristes représenteraient de solides alliés pour ceux qui prônent une lecture très traditionnelle du Concile. « Une lecture en lien avec la Tradition que même le pape ne peut changer. » On ne saurait plaider avec plus d’à-propos et de diplomatie pour le « succès » d’une réintégration dont la perspective demeure à ce jour bien floue ! Les évêques, les prêtres, les diacres et laïcs qui aujourd’hui font vivre les communautés et portent le souci de la mission, apprécieront !
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C’est en 1970 que Mgr Marcel Lefebvre fonde la Fraternité Saint-Pie X et le séminaire traditionnaliste d’Ecône. Il est excommunié en 1988 pour avoir sacré quatre évêques sans l’autorisation de Rome.
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Les mêmes articles du code de droit canonique précisent que des laïcs peuvent être associés à la tâche missionnaire de la communauté, selon des dispositions définies dans les statuts. Or, on sait que l’un des problème aujourd’hui soulevés par le fonctionnement de l’Opus Dei, est précisément le flou qui entoure le rôle des laïcs, les statuts qui en précisent les contours n’étant pas publics… Des craintes similaires sont d’ores et déjà évoquées pour la FSSPX. Par ailleurs, des associations comme l’AVREF, Association de défense des personnes victimes de dérives sectaires, dans l’Eglise, redoutent qu’un tel statut ne renforce l’impunité de la FSSPX – comme c’est déjà le cas pour l’Opus Dei – notamment dans les affaires de pédophilie, l’extra-territorialité dont ils bénéficient leur permettant plus facilement de déplacer les personnes, sauf vigilance particulière de Rome… Ce que le passé ne confirme pas toujours.
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On peut imaginer l’intention qui est de prendre acte de l’implantation de communautés FSSPX à travers le territoire nationale, même si c’est « hors sol » au niveau canonique.
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La purge dont il est ici question concerne le relèvement de leurs fonctions de 7 doyens du district de France signataires d’une lettre dans laquelle ils s’élevaient contre les remerciements de Mgr Fellay à l’adresse du pape François pour sa décision concernant la reconnaissance des mariages célébrés par les prêtres de la FSSPX sous certaines conditions.
Je me garderai de commenter les propos d’experts en droit canonique. Je laisserai également de côté les tensions internes à la FSSPX. En revanche, je m’interroge sur un enjeu de cette démarche. Faire preuve de « fraternité » , cela me semble indispensable. La reconnaissance de la licéité de l’absolution accordée par des prêtres de la FSSPX ou des mariages qu’ils ont célébrés peuvent être considérés comme des points positifs. Ou, alors, qu’avons-nous fait de la miséricorde ? Mais je ne sui pas certain que le « retour au bercail » de ces 150 000 fidèles de cette FSSPX serait sans incidence pour un catholicisme français déjà menacé par une tentation identitaire….
Assimiler les fidèles de la FSSPX à des identitaires me paraît dangereusement réducteur.
Le problème, c’est que les interrogations soulevées par Mgr Lefebvre demandent une explication d’ordre théologique. Or, il semble que les questions de fond soient oubliées au profit de tractations et de manœuvres de basse politique (loin des enjeux métaphysiques). Vérité et charité doivent s’unir et guider les efforts de rapprochement.
Je ne les réduirai pas à des « identitaires » car la question me semble plus complexe, en effet, et nécessite un travail théologique pour lequel je suis incompétent. Pour autant, c’est une dimension qui, me semble-t-il, ne peut être ignorée.
Là on est d’accord.
La théologie ressemble dans ce cas au pouvoir. Ce genre de théologie n’a-t-il pas fait fuir suffisamment de chrétiens -modérés mais non tiède, plutôt pas riches en plus- qu’il faille leur infliger une douche froide de plus ? A moins que, notre Pape qu’on dit rusé, se dise qu’en satisfaisant ses fondamentalistes, l’institution sera contrainte de choisir entre le christianisme libéré que Vatican II a tenté de préfigurer, et la religion archaïque qui vire à la secte. Cette religion, dite chrétienne par habitude, est surtout à la remorque des pouvoirs « forts » depuis que le dieu-empereur Constantin espéra sauver l’empire. Le danger est dans la confusion, … mais qu’importe puisque malgré ces médiocres vicissitudes, le miracle des évangiles demeure intact au cœur des âmes enfantines!